Un plongeon frénétique dans l'univers du kitsch, une étude trop fascinée pour être fascinante.

On aura pu le vérifier une fois encore avec Koons et Murakami invités à Versailles, le kitsch n’a jamais eu bonne presse. Objet de nombreux scandales, il a longtemps été dénigré et en premier lieu dans les hautes sphères du monde universitaire. Avec son Empire du kitsch édité chez Klincksieck, Valérie Arrault cherche à inverser la vapeur et tend à mettre fin à cet "ostracisme" qu’elle juge tantôt dépassé tantôt infondé. Plongeons avec elle dans le chaos irisé des références amalgamées par le kitsch et tentons de comprendre sa position.
   
Histoires de famille
   
Dans son introduction (qui prend la forme d’un brouillon où coquilles et abréviations personnelles prolifèrent), l’auteur se charge de dresser le cadre dans lequel évolue le kitsch d’aujourd’hui. Selon elle, la notion se doit d’être repensée à l’aune d’une postmodernité encore émergente. "Cette étroite parenté du postmodernisme et du kitsch recèle une véritable consanguinité", répète souvent Arrault – oubliant sûrement  qu’à toute consanguinité correspond un degré de dégénérescence ou d’infécondité.
À partir de là, s’invente une complexe histoire de famille : le postmodernisme nous est présenté comme "le frère jumeau du kitsch", qui a lui-même pour "cousine" la figure du narcissisme, "fille" de l’individualisme et "clone" du relativisme ! De métaphore en métaphore, la filiation ne s’offre pas immédiatement à la compréhension. D’autant plus que de nombreuses notions ésotériques telles que "pré-postmodernité", "pré-kitsch" ou "post-humanisme" jalonnent ce texte sans jamais être clairement explicitées.
On aurait aimé que Valérie Arrault tempère l’emphase l’amenant à évoquer régulièrement cette prétendue "figure de civilisation aujourd’hui unanimement décrétée dominante" et qu’elle précise sa conception de la postmodernité. L’Ère du vide (1983) de Lipovetsky est constamment convoquée alors que Les Temps hypermodernes (2004) du même auteur sont étrangement omis. Depuis les années 1980 qui virent éclater et s’emballer le débat sur la postmodernité, n’y aurait-il pas eu un changement de paradigme, un changement d’ère que l’auteur aurait discrètement esquivé ?
   
Un modèle anticipateur
  
Après cette introduction, l’ouvrage se découpe en trois grands chapitres. Le premier est consacré au phénomène Las Vegas, le second aux figures de Koons et de Pierre et Giles, le dernier à Disneyland. Même à travers le prisme du kitsch, l’auteur peine à singulariser son étude tant ces cas ont été convoqués dans l’histoire des arts et arts appliqués comme dans l’actualité des parutions.
Ainsi, difficile pour Valérie Arrault de sortir de l’ombre de l’excellent catalogue Dreamlands édité par le Centre Pompidou quelques mois avant la parution de son ouvrage. Chez Arrault, pas d’images percutantes mais des descriptions qui s’éternisent et épuisent le lecteur qui ne sait plus s’il lit un ouvrage de philosophie ou un carnet de voyage halluciné. S’ajoute à cela, un jargon obscur à base de "kitsch kitschéen" et d’"hybridations rhizomiques", d’innombrables assertions frénétiques telles que : "Le kitsch est un modèle anticipateur de la future organisation sociale dont a besoin le nouveau contrôle social" ou encore "Las Vegas est l’atelier où s’opère une structuration psychologique en phase avec le nouvel esprit du monde".
En outre, bien peu d’analyses rigoureuses. Les idées de Donald Winnicott sur l’enfance ou celles de Margaret Mead sur les Primitifs sont littéralement détournées pour expliciter le comportement des joueurs d’argent. Enfin, le Las Vegas d’Arrault semble déjà d’un autre âge : tout y est encore explosion de néons et prospérité sans frein, alors que cette capitale du jeu et des écrans à LED est aujourd’hui le lieu d’une misère de plus en plus ostensible (pour s’en convaincre, lisons les récentes publications de l’Américain Matthew O’Brien).

En bref, à l’instar du kitsch, on peut dire que cet ouvrage est touffu. Interminable feu d’artifice de propositions exubérantes, L’Empire du kitsch nous vend un rêve aveuglant, il annonce une étrange rédemption : une nouvelle société où "toutes les limites de ce qu’on appelait l’être humain sont en passe d’être abolies" et où "le post-humanisme s’autorisera à transformer les caractéristiques physiques, émotionnelles et cognitives de la nouvelle espèce, au gré d’intelligences devenues artificielles, mixées, transformables". Accrochons-nous bien !