Si les atlas montrent généralement le monde tel qu'il est, "2033. Atlas des futurs du monde" livre ici une audacieuse entreprise de prospective, à travers laquelle il nous est donné à voir le monde tel qu'il pourrait être dans un  peu plus de 20 ans. Alors qu'un tel ouvrage pourrait aisément tomber dans une forme de catastrophisme malsain, il s'agit pour Virginie Raisson d'attirer notre attention sur les évolutions possibles de notre monde.

Cartographier le futur peut paraître un pari audacieux, voire insensé. Qu'on se rassure pourtant sur le sérieux de 2033. Atlas des futurs du monde : même si le titre fait un écho malicieux au film de Stanley Kubrick 2001, L'odyssée de l'espace, l'ouvrage de Virginie Raisson ne relève pas de la science-fiction. Une large partie des cartes et graphiques donne à voir des situations présentes, mais porteuses d'enjeux pour les vingt ou quarante années à venir. Les représentations de situations futures découlent d'une analyse argumentée des situations actuelles. La distinction entre futurs probables, appuyés sur des études prospectives de grands organismes internationaux, et futurs possibles, présentés dans des scénarios-fictions, est clairement établie.

2033. Atlas des futurs du monde est d'abord un ouvrage agréable à feuilleter, du fait de sa mise en page audacieuse. Un équilibre satisfaisant a été trouvé entre illustrations (sur la page de gauche) et les textes d'analyse qui les prolongent (sur la page de droite). Les illustrations sont essentiellement des cartes et une grande variété de graphiques. Chaque double-page s'attarde sur un thème différent, qui fait avancer progressivement le lecteur dans une problématique générale exposée au début de chaque chapitre. Cette progression se fait de trois manières différentes selon les doubles-pages : des problématiques générales illustrées de documents d'échelle mondiale clarifient les enjeux principaux, des études de cas et des documents d'échelle régionale permettent de préciser le propos grâce à des éléments concrets, des “scénarios-fictions” offrent de manière plaisante (ou inquiétante selon les cas !) des prolongements. Ces variations sur chaque thème facilitent une lecture dynamique de l'ouvrage et le rendent accessible pour un large public de non-spécialistes.

Le premier des trois chapitres, “Des vides et des pleins”, est consacré à la situation démographique des régions du monde. Débuter par la croissance démographique dans les pays du sud, le vieillissement de la population dans les pays du nord, les migrations mondiales, l'urbanisation accélérée d'une partie du monde rappelle très a propos que la démographie est le premier facteur des évolutions futures. Tendre d'emblée cette toile de fond assure la solidité du raisonnement de l'auteur durant tout l'ouvrage. Ce chapitre est également l'occasion de mettre à mal, par des arguments précis et rigoureux, quelques idées reçues sur les migrations véhiculées de façon indulgente (ou intéressée) par certains hommes politiques. Une anamorphose montre par exemple la baisse de 21% des effectifs de population en âge de travailler entre 2010 et 2050 en Europe, tandis qu'elle augmente partout ailleurs. C'est une analyse connue, mais peu intégrée par les Européens. Cette présentation graphique la pose comme incontournable et incite à “porter un regard nouveau sur les migrations”   et à considérer les mobilités internationales comme une solution possible aux tensions sur le marché du travail européen. Cette entrée par la démographie permet de comprendre le caractère stratégique dans le futur des ressources, notamment agricoles et hydriques : suffiront-elles à combler les besoins grandissants de sociétés dont la population augmente et se développe ? Conservant la même rigueur, en appuyant son propos sur des études de cas approfondies, l'auteur met en perspective cette question malthusienne dans la deuxième partie. En insistant sur la croissance de la population et la pression qu'elle exerce sur les ressources naturelles, beaucoup d'auteurs néo-malthusiens (et parmi eux un certain nombre d'écologistes) pointent du doigt un danger qui viendrait des pays du sud. Cette façon de présenter les choses n'est pas sans arrières-pensées idéologiques. C'est une façon de déresponsabiliser les sociétés des pays du nord et leur mode de vie prédateur pour l'environnement. Virginie Raisson recentre le débat en rappelant que les menaces sur l'environnement sont “moins liées à la croissance de la population mondiale qu'au mode de vie d'une partie d'entre elle”   . La troisième partie permet d'argumenter encore cette thèse en montrant le caractère insoutenable  pour l'environnement d'une économie dispendieuse en énergie. Les effets d'un possible réchauffement climatique sont ensuite exposés à la fois aux échelles mondiales et locales par des exemples judicieusement choisis. L'auteur met en évidence – grâce à des illustrations percutantes - l'inégalité entre populations des pays du nord et populations des pays du sud face aux changements environnementaux. Les ambiguïtés du “développement durable” sont mises en avant.

2033. Atlas des futurs du monde est un ouvrage de synthèse qui est pourtant très complet. Il réussit la gageure de présenter de manière précise, claire et complète, les grands enjeux qui feront le monde de demain. Ce pari est tenu grâce à des changements d'échelles adaptés aux sujets traités et à une écriture efficace. Le sérieux de ce travail est attesté par les nombreuses sources bibliographiques. On peut regretter que la mise en page innovante soit plus aguicheuse que scientifiquement justifiée. L'audace formelle des graphiques n'est pas mise au service du fond : leur lecture en est rendue inutilement plus difficile, ce qui est dommageable pour un ouvrage s'adressant à un large public. Certaines règles de la sémiologie graphique ne sont pas respectées. On s'étonne devant le choix des couleurs de certaines cartes à l'esthétique douteuse (même si d'autres cartes sont de véritables réussites graphiques). Ces critiques formelles ne doivent pas faire oublier la véritable raison d'être de cet atlas : la mise en scène du futur pour mieux comprendre les grands enjeux présents et non l'inverse. C'est aujourd'hui que des choix de société s'imposent, et c'est en effet un appel à l'imagination et à l'action qui est lancé ici. Le modèle de croissance consumériste des pays du nord, même “verdi”, est mis à mal. Contrairement à l'assertion de Mme. Tatcher (“There is no alternative”), plusieurs voies de développement sont possibles. Les théories de la décroissance, évoquées en conclusion, doivent permettre de mettre en balance les arguments des partisans d'une croissance verte ou d'un développement durable. Le grand mérite de cet ouvrage est de donner de façon simple et précise des clés au lecteur pour nourrir son propre raisonnement et pour participer au débat