Une photo de Michèle Alliot-Marie en gros plan, titrée In memoriam et projetée sur un écran géant annonçait les réjouissances dès notre arrivée à la conférence de presse du lancement du site atlantico. "atlantico.fr", écrit en minuscules, s’affiche en haut à gauche de la page d’accueil du site, suivi du slogan "un vent nouveau sur l’info"  : que d’assonances en "o" pour ce nouveau pure-player qui ne veut pas être étiqueté de droite mais ne considère pas non plus le "libéralisme comme un gros mot" selon son rédacteur en chef Jean-Baptiste Giraud. On qualifiera donc le pure –player de "libéral" pour éviter tout amalgame déplaisant.

Donner une conférence de presse à la Cantine, lieu de réflexion et de travail collaboratif d’acteurs du numérique n’était pas anodin pour les fondateurs du site d’information en ligne Atlantico. Le cadre était bien choisi pour lancer un site qui s’était fait tant désiré depuis l’annonce de sa création en juin 2010. Substituant à la page d’accueil une présentation PowerPoint bien rodée, les fondateurs ont expliqué l’objectif d’atlantico. "Facilitateur d’infos", le site est aussi né d’une "frustration de consommateur" selon Jean-Sébastien Ferjou, directeur de la publication, à savoir "le manque dans le paysage français de sites mêlant agrégation de contenus et analyses à la manière du Daily Beast ou du Huffington Post aux Etats-Unis". On peut voir dans le nom choisi une référence à un autre magazine, The Atlantic, mensuel américain spécialisé dans l’actualité politique et internationale. Si les fondateurs reconnaissent le travail de Rue89, Slate et Mediapart, ils affirment s’imposer comme "le chaînon manquant entre une rédaction classique et un agrégateur de contenus". S’inscrivant d’emblée dans la demande d’informations sur Internet, les fondateurs ont aussi souligné leur désir de répondre à une exigence de "fiabilité" des consommateurs.

Après être revenu sur la nécessité du Web dans le paysage médiatique actuel, Jean-Sébastien Ferjou a souligné le côté novateur d’atlantico dans son refus de traiter l’information selon la grille de lecture traditionnelle. "On a voulu briser la hiérarchisation de l’information en ne mettant pas de rubriques type : société, économie, etc…" On trouve donc sur atlantico par ordre de préférence les "pépites" qui sont les informations de l’actualité à chaud, les "plus importantes" autrement dit celles qui buzzent. Puis vient la rubrique "Décryptage" qui s’intéresse aux sujets plus en profondeur avec un rendez-vous hebdomadaire le "politico scanner" ou la "minute geek". Celui qui fait la Une actuellement est une analyse de l’allocution du président par Chantal Delsol, philosophe et historienne des idées politiques. Viennent ensuite des rubriques "Opinion",  "Dossiers", "RDV" et "Atlantico light" spécialement dédié à l’actualité people. Quant à son modèle économique, le site est gratuit et le restera pour le moment. Si les deux représentants n’ont pas voulu révéler le budget exact des trois principaux investisseurs du site (Charles Beigbeder, Xavier Niel, Marc Simoncini), le directeur de la rédaction et les co-fondateurs restent les principaux actionnaires (51%) et 49% des parts pour les "buisness angels" dont la levée de fonds s'estime à un million d'euros. Comme le montre un article du site Rue89, la plupart des actionnaires sont orientés à droite.

Le site se démarque clairement d’un site d’opinion ou d’un simple agrégateur de contenus. En s’offrant les services d’Hugues Serraf, blogueur politique, qui se décrit comme un "libéral de gauche" et a déjà rédigé des chroniques pour Rue89, l’équipe d’Atlantico cherche à affirmer sa diversité et son aspect "généraliste". Le journaliste s'est d'ailleurs exprimé aujourd'hui sur son blog à ce sujet. La ligne éditoriale qui reste un peu floue, cherche avant tout à éviter "le prêchi-prêcha et la dérive "morale" qu’on trouve souvent dans le traitement de l’information" ajoute Jean-Sébastien Ferjou. A une équipe qui réunit une dizaine de journalistes, s’ajoute un "portefeuille de contributeurs" ainsi que des signatures connues comme Gilles Klein, Anita Hausser, Christian de Villeneuve, Yves Derai, Michel Gariba, Christian Delporte, Sophie de Menthon ou encore Julien Winock. En plus de ces signatures, les auteurs du site veulent aussi aller chercher des experts dans la blogosphère (comme le montre l’article de décryptage du remaniement ministériel par les blogueurs) et se servir du "temps de cerveau disponible" pour aller à la recherche de la source de l’information. 

A coup de formules comme "l’innerview" à la place de "l’interview", on discerne aussi dans cette démarche une culture assumée de l’audience, qui traduit une conception du journalisme issue du milieu de la télévision. A travers cette idée, l’objectif est de se former "une notoriété, une marque" et d’atteindre un trafic de 600 000 visiteurs d’ici un an. Se voulant ancrés dans le "monde actuel" et prêts à s’adresser à la "nouvelle génération", les créateurs d’Atlantico ont terminé leur présentation par une petite référence cinématographique SF  : "Les mondes de Minority Report ou de Bienvenue à Gattaca, on n’en est pas loin aujourd’hui avec la révolution Internet."

Avec des grandes formules, une volonté de se situer dans les nouvelles problématiques Internet du "datajournalism" et des "rich media", atlantico trouvera-t-il sa place au sein des pure players ? Il semble qu’en cherchant à satisfaire tous les goûts, le site n’a pas encore défini une ligne éditoriale claire ni cibler son lectorat potentiel, si ce n’est le public féminin sur lequel les fondateurs ont insisté. Se défendant de toute tendance "militante" ou d’être un "prescripteur d’opinion pour les présidentielles", ne voulant ni séduire les "ultra-militants" ni les "adorateurs du capitalisme", ne voulant être ni "trop branché", "ni trop café du commerce", ni "parisianno", atlantico sait ce qu’il ne veut pas sans avoir trouvé sa véritable raison d’être. Le site paraît pourtant bien marqué à droite comme l’analyse un journaliste de Mediapart. Reste à savoir s’il privilégiera le débat d’idées de tous horizons et s’il arrivera à équilibrer sa production de contenus propres et sa fonction d’agrégateur de contenus. Lancé hier, atlantico a déjà recueilli de nombreux commentaires (élogieux ou non), notamment sur la page qui expose les motifs de sa création

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"La droite investit le web" par Charlotte Arce

Pour aller plus loin:

Gilles Klein, "la naissance d'atlantico vu par les médias", atlantico.fr, le 1er mars 2011