Un numéro de la revue de la Ligue des Droits de l'Homme, "Homme&Libertés", qui analyse le rôle de la justice pénale dans la régulation de notre société.

Que ce soit en tant que ministre de l’intérieur à partir de 2002, candidat à l’élection présidentielle en 2007 ou président de la République, Nicolas Sarkozy a toujours montré une grande appétence pour le droit pénal. Cette matière est en effet un support naturel à une politique en grande partie orientée par la volonté de répondre à la demande de sécurité de la part de nos concitoyens.

Souhaitant dépasser le constat quantitatif   , la revue "Hommes et Libertés" (n°149) a voulu procéder à une analyse des mouvements à l’oeuvre dans le champ de la justice pénale.

L’objectif affiché par la revue publiée par la Ligue des Droits de l’Homme est de permettre au lecteur de "prendre de la hauteur", selon le rédacteur en chef Pierre Tartakowsky, et ce, dans une matière dont on mesure presque quotidiennement combien elle est soumise aux aléas de l’actualité.

Henri Leclerc   , Antoine Garapon   , Christian Mouhanna   , Daniel Zagury   , Jean Danet   et Jean-Pierre Dubois   , analysent dans ce dossier certains aspects de la justice pénale qui en structurent les débats.

A la lecture des contributions composant ce dossier intitulé "Quelle justice pénale ?", trois lignes de force peuvent être dégagées dans les réformes pénales successives qui sont en réalité révélatrices d’un état de notre société :

- les finalités devant être assignées à la peine
- la montée de l’individualisme
- la recherche d’efficacité.


Une peine en quête de sens

La question posée par certains des auteurs, et notamment H. Leclerc, est de savoir quelle est la finalité assignée à la peine pénale. Partant du constat que la justice est "une administration qui a pour fonction de punir", l’avocat retrace à grands traits le cheminement historique et philosophique de la notion de peine, rappelant utilement les principes énoncés par C. Beccaria et consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : légalité, nécessité et utilité de la peine   .

L’adoption et la consécration de ces principes traduisent l’évolution qui a conduit dans un premier temps à différencier la peine de la vengeance. Dans un deuxième temps, il a été possible d’extraire l’intérêt privé lésé pour porter le débat sur le dommage créé à la société entière et devant être traité en tant que tel.

A la suite de Beccaria et de Target dans son rapport au Conseil d’Etat sur le code napoléonien   , il est admis que l’aspect dissuasif de la peine résulte moins de sa sévérité de la peine que de sa certitude. La peine se voit reconnaître une véritable utilité sociale. Elle apparaît comme une mesure de "défense du corps social". Cependant, cet utilitarisme a engendré deux sortes de politique pénale diamétralement opposées.

D’une part, il peut conduire à une justice pénale où la notion de faute n’est plus nécessaire car la peine devient une "mesure" préventive et conduit potentiellement à une sorte de "police sanitaire" (H. Leclerc). Dès lors, il va s’agir de devancer la commission de l’infraction, d’utiliser les moyens disponibles pour "détecter" des indices attestant d’un terreau propice à la délinquance et de prendre les mesures adéquates. On se rappellera de la proposition visant à signaler les indices d’une certaine prédisposition à la délinquance chez les très jeunes enfants, reprise récemment dans un rapport du secrétaire d’Etat à la Justice sur la prévention de la délinquance chez les jeunes.

D’autre part, le concept de la peine visant à défendre le corps social a pu servir de base philosophique à l’adoption de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Dans ses dispositions originelles, l’ordonnance visait à adapter la réponse pénale à la situation particulière du délinquant encore mineur. Primait alors la recherche de mesures éducatives plutôt que répressives. Force est néanmoins de constater que les multiples réformes de l’ordonnance ont quelque peu modifié l’équilibre trouvé à l’époque.

Pour H. Leclerc, trois lois votées depuis 2005 sont emblématiques des objectifs qui sont aujourd’hui assignés à la peine. Ainsi, l’article 132-24 du code pénal réécrit par la loi du 2 septembre 2005 définit les fonctions de la peine. Celle-ci doit concilier "la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions". La notion d’intérêt de la victime permet de s’interroger sur les liens qu’entretiennent la peine et l’idée de vengeance.

La loi du 10 août 2007 instaure les "peines planchers" inspirées des "mandatory minimum sentences" américains. La réponse pénale est graduée en cas de récidive et ne laisse en théorie que peu de latitude au juge pour tenir compte de la situation du délinquant présenté devant lui. Il y a actuellement plus de deux millions de prisonniers aux Etats-Unis.

Enfin, la loi du 28 février 2008 relative à la rétention de sûreté opère une déconnection entre la privation de liberté et la peine. En effet, un individu ayant purgé celle-ci peut être maintenu en "rétention" dès lors qu’il est considéré comme dangereux. Si le Conseil constitutionnel a estimé que ces "mesures" n’étaient pas des peines, il leur a cependant appliqué le principe de non rétroactivité des lois pénales.

La notion de dangerosité est étudiée par D. Zagury qui constate, à travers ses recherches mais aussi sa fonction d’expert psychiatrique, qu’elle conduit à des mutations de son travail. Le psychiatre est tenu de plus en plus souvent de dépasser le diagnostic pour s’attacher à émettre un pronostic. La différence entre la pathologie profonde et le trouble tend à s’estomper. Il relève en outre le rapport inversement proportionnel entre la réalité des homicides commis par des malades mentaux (entre un homicide sur 20 et un homicide sur 50) et leur traitement médiatique. Le praticien dénonce par ailleurs l’instrumentalisation qui peut être faite de la psychiatrie et le risque de voir juger un homme "non pour ce qu’il a fait mais pour ce qu’il est".

Dès lors et face à ses mouvements, tant les juges que les psychiatres sont tenus de faire "de la gestion de risques" pour reprendre la formule d’A. Garapon. Il va s’agir de voir dans quelle mesure la peine qui sera prononcée leur permettra de se prémunir d’une éventuelle vindicte pour le cas où le délinquant récidiverait et ce, au risque de nier définitivement le caractère rédempteur de la peine.

Quelle conciliation entre individualisme et ordre public ?

La place accordée à la victime dans la définition des objectifs de la peine pénale conduit à s’interroger sur la place de l’individu dans ce système. Le sociologue C. Mouhana montre les conséquences de l’irruption de l’individu.

Dans un premier temps, celle-ci conduit à une extinction de l’action collective et s’accompagne corrélativement d’une "stratégie de victimisation". La réponse législative pénale ne peut dès lors plus être envisagée de manière globale mais doit résoudre une situation bien individualisée. Elle doit être adaptée au mal qu’a subi un individu ou un groupe d’individu. On assiste ainsi à une pénalisation de certains conflits qui auraient pu être résolus par d’autres modes de résolution des litiges (conflits familiaux ou de voisinage). Pour J.-P. Dubois, on substitue de plus en plus "l’ordre public pénal à d’autres formes d’ordre public (social, politique, administratif), comme si toute faute devenait pénale et comme si tous les rapports [...] devaient être passés au crible de la judiciarisation".

Le prisme de l’individualisme est en outre présent sur un sujet mis en avant de manière très éclairante par J. Danet : la prescription. La fixation du délai de prescription devient un enjeu particulièrement important et peut faire l’objet d’un intense lobbying de la part d’associations de défense de victimes ou de partis politiques. Pour le Directeur de l’Institut d’Etudes Judiciaires de l’Université de Nantes "c’est le signe de ce que les prescriptions sont devenues un enjeu de politique criminelle, une nouvelle échelle de gravité des crimes et délits".

Dès lors, la volonté de répondre aux demandes individuelles plus qu’à la société conduit à de puissants changements dans le fonctionnement même du service public de la Justice.

Le prisme de l’efficacité pénale

Pour A. Garapon, la politique menée n’est pas tant sécuritaire que néolibérale. Il oppose le libéralisme qui prône l’échange et la délibération au néolibéralisme qui postule la mise en place par l’Etat des conditions nécessaires à une concurrence source d’efficacité.

La recherche de cette dernière va naturellement conduire à un traitement statistique de la matière pénale. Ainsi, le chef de la juridiction devra garder à l’esprit le stock d’affaires pendantes mais aussi le flux généré par l’institution.

Dès lors, et compte tenu des implications que peuvent avoir ces statistiques sur le fonctionnement des tribunaux, notamment en terme de dotations budgétaires mais aussi sur les primes octroyées aux agents, la tentation d’un traitement de plus en plus standardisé et uniformisé des dossiers va être de plus en plus grande. Ainsi que le raconte C. Mouhana, il n’est pas rare de rencontrer un substitut de procureur donnant ses instructions par téléphone sans avoir matériellement le temps de connaître un dossier de manière approfondie, créant parfois le sentiment d’être face à une sorte de "call-center juridique".

D’autres maillons de la chaîne pénale sont impactés. La justification de la mobilisation de moyens humains et matériels devient la règle conduisant à un traitement juridictionnel des affaires au détriment de voies alternatives comme les médiations ou conciliations par les agents de police.

Pis encore, pour C. Mouhana, "l’agent public a intérêt à interpeller beaucoup de petits plutôt que d’attraper un gros" pour être statistiquement "rentable". Ainsi, un cercle vicieux peut se former : la judiciarisation des rapports sociaux va nécessairement mobiliser plus de personnes, créer des "stocks" pour lesquels on va rechercher des solutions standardisées qui à leur tour vont créer les conditions d’un afflux plus important d’affaires donnant l’impression d’une fuite en avant.

Au-delà des dysfonctionnements et des dangers potentiels qu’elles mettent en évidence, les contributions composant le dossier publié par la revue Hommes et Libertés offrent une opportunité de s’interroger sur l’état de notre société et du rôle de la justice pénale dans la régulation de celle-ci.

Cependant, ce constat ne peut exonérer N. Sarkozy d’une certaine responsabilité puisqu’en prolongeant ou entretenant dans la matière pénale certains des aspects les moins positifs de notre société il se positionne moins en chef de l’Etat qu’en politique utilisant cette branche du droit à des fins de communication. On se rappellera néanmoins que la justice pénale et le droit pénal sont par définition et nécessité attentatoires aux libertés

 

Lire le dossier de Nonfiction.fr sur l’action de Nicolas Sarkozy dans les domaines de la justice et du droit :

 

- Edito : "Nicolas Sarkozy et le droit : une rupture consommée", par Daniel Mugerin.


- Un point de vue sur le populisme pénal du président de la République, par Adeline Hazan, maire de Reims et ancienne présidente du Syndicat de la magistrature.

 

- Un article sur le financement de l'aide juridictionnelle, par Daniel Mugerin. 

 

- Une analyse juridique de la politique d’immigration et d’asile de Nicolas Sarkozy, par Aurore Lambert.

- Une mise en perspective de l’application de la loi Hadopi et de ses implications, par Bérengère Henry.

- Une interview de Maxime Gouache, président du Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées (GENEPI) et Bruno Vincent, président des anciens du GENEPI, à propos de la politique du gouvernement en matière de justice depuis 2007.

- Une recension du dernier numéro de la revue Pouvoirs sur "La Prison", par Blandine Sorbe.

- Une interview de Maître Virginie Bianchi à propos de la rétention de sûreté, par Yasmine Bouagga.

- Une brève sur le livre d'Olivier Maurel, Le Taulier. Confessions d'un directeur de prison, par Yasmine Bouagga.

- Une interview du sociologue Philippe Combessie autour de son livre Sociologie de la prison, par Baptiste Brossard et Sophie Burdet.