La mondialisation est bien souvent réduite aux seuls processus économiques. Voici un ouvrage qui replace le territoire au centre de la réflexion. Avec un support cartographique détaillé, la recomposition des hiérarchies mondiales est mise en évidence dans une planète en mutation.

Michel Foucher est l’un de ces rares géographes qui a su s’affranchir de la discrétion qui semble incomber à la discipline pour s’imposer comme une autorité en matière de géopolitique. Son expérience politique auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes et son rôle d’ambassadeur de France en Lettonie y sont pour quelque chose. Sa dernière fonction en date renforce son statut de géopoliticien de poids : depuis 2009, il est directeur de la formation et des études à l’IHEDN (l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale).


Dans La Bataille des cartes, Michel Foucher s’attache à donner à voir la vitalité de la géographie et son utilité pour mieux comprendre le monde. En s’appuyant sur la cartographie pour asseoir ses analyses, il met en évidence la recomposition des hiérarchies mondiales et l’évolution des visions du monde. Son argument est simple : le temps où la planète était contrôlée par une poignée de nations européennes est désormais révolu. Foucher soutient la thèse d’un système polycentrique, composé de puissances multiples, pour définir cette scène internationale en mutation. Tout l’intérêt de l’ouvrage réside alors dans la description de ces nouvelles puissances, sur les modalités de leur émergence et sur la réorganisation du monde qu’elles entraînent.

L’ ″essai de géographie positive″, comme le définit Michel Foucher, est divisé en trois grandes parties.
La première partie, intitulée ″La grande émancipation″, cherche à mettre en évidence la reconfiguration des hiérarchies mondiales et l’apparition de nouvelles puissances sur la scène internationale. Cette ″grande émancipation″ fait référence à l’affirmation économique et politique de pays dits du Sud jusque là considérés comme des acteurs secondaires. La redistribution des cartes se traduit alors par la revendication d’une ″place au soleil″ par des puissances émergentes telles que le Brésil, l’Inde ou la Chine. Cette partie met en perspective les évolutions historiques des grands découpages du monde et de leur terminologie, du Tiers Monde aux BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) qui sont autant de grilles de lecture des rapports de force internationaux. L’objectif de Foucher est alors de ″représenter cartographiquement le projet géopolitique de plusieurs Etats″ et de démontrer leurs niveaux d’intégration aux dynamiques d’interactions mondiales.


La deuxième partie change d’échelle d’analyse : du cadre national, on passe à une lecture à l’échelle internationale. Dans ″Le globe, le monde, la terre et la planète″, il est décrit la mise en réseaux et en interactions de toutes les parties du monde. Les thématiques abordées sont diverses, mais toutes sont liées, qu’il s’agisse du peuplement, des infrastructures, des enjeux environnementaux ou encore de la sécurité alimentaire. Pour chacun de ces enjeux, Foucher constate un double phénomène d’ouverture et de cloisonnement. D’un côté, ″l’extension territoriale des activités humaines″ n’a jamais été aussi prononcée, que ce soit à l’échelle nationale ou en direction de l’international. D’un autre côté, cette ouverture s’accompagne de crispations et de cloisonnements, notamment autour d’enjeux sécuritaires hérités. Si le monde communique de plus en plus, ce n’est pas pour autant que le dialogue est plus facile : comme le montre les chapitres sur les conflits dans le monde, les crises perdurent (″370 en 2010″ p. 106) et la sécurité internationale (chapitre 8) demeure un enjeu majeur.
La dernière partie ″Le forum et l’arène″ se concentre sur les ″puissances établies″ et leur positionnement sur la scène internationale. Comment les anciens maîtres du monde réagissent à la reconfiguration des hiérarchies mondiales ? Quelle attitude adopter pour rivaliser avec les nouveaux acteurs de la scène internationale ? Comment maintenir sa domination dans un monde en mutations ? Ces différentes questions structurent l’examen des projets géopolitiques nationaux des Etats-Unis, de la Russie, du Japon, de l’Angleterre, de l’Allemagne, de la France et de l’Union Européenne.

Comme l’indique le titre, l’ouvrage La bataille des cartes est très richement illustré. On ne compte pas moins de 63 cartes inédites, réalisées par le géographe-cartographe Pascal Orcier, fidèle collaborateur de Michel Foucher. A cette cartographie contemporaine s’ajoutent de nombreuses illustrations anciennes (cartes, photographies, caricatures…) qui témoignent des héritages historiques. La mise en avant de la cartographie s’inscrit au cœur de l’analyse géopolitique : dans un premier temps, la carte est un support des positionnements idéologiques et politiques des Etats. Mais elle permet aussi, dans une perspective plus scientifique, de mettre en évidence des processus géographiques et territoriaux à l’œuvre dans le monde. En matière de réalisation, la cartographie est d’une facture très classique, mis à part le choix des projections azimutales polaires qui rompt avec les représentations traditionnelles de la planète. Le regard est ainsi incité à repenser la notion de centralité et son relativisme. Les cartes sont toutefois souvent très denses, ce qui a tendance à alourdir la lecture et l’appréhension de la richesse d’informations.

L’ouvrage semble privilégier un public de non-spécialistes, ce qui peut expliquer l’absence de bibliographie en fin de volume et une mention des sources souvent sommaire. Dommage en effet que certaines accumulations de faits, censées appuyer une démonstration, soient partiellement fragilisées par l’absence de sources. On peut alors regretter un choix éditorial qui n’est pas pleinement assumé : parfois trop rapide et dense pour le grand public, le corps du texte laisse sur leur faim les lecteurs accoutumés aux écrits sur la mondialisation et sur les dynamiques géopolitiques internationales.

L’ouvrage de Michel Foucher est donc une bonne introduction pour repenser la redistribution des cartes à l’échelle de la planète. Sa lecture agréable et sa riche iconographie en font un beau livre de géographie. Sans révolutionner l’analyse des effets de la mondialisation sur la redistribution du pouvoir à l’échelle internationale, l’ouvrage constitue néanmoins une très bonne synthèse sur le sujet, à mettre dans les mains de jeunes géographes ou de tout amateur désireux de mieux comprendre la géopolitique de notre planète en mutation