L'idée d'un guide de l'email surprend. L'outil est aujourd'hui passé dans "l'infra-ordinaire", s'est fondu dans l'évident et le quotidien, le non réfléchi. Tout le monde sait s’en servir: il suffit de cliquer sur envoyer.
Ce que Shipley et Schwable nous font comprendre, c'est que ce clic n'est pas un geste anodin, et que le bon usage va bien au-delà de la maîtrise technique. Janet Malcom, qui évoque l'ouvrage dans The New York Review of Books (27 septembre 2007) parle d'une "boîte de Pandore" qui peut ruiner des amitiés, des mariages, des carrières, des vies. On trouvera à ce propos dans l’ouvrage quelques cas réels de démission de cadres après un mail peu courtois à leur secrétaire, envoyé en copie à toute l’entreprise.
Pour les auteurs, le risque ne vient pas tant d’une erreur de destinataire que du fait que « les gens ne sont pas eux-mêmes dans un e-mail ». On sait depuis Mac Luhan que le media conditionne le message ; le courrier électronique aurait quant à lui « tendance à encourager la part la moins angélique de notre nature », à nous rendre mesquins et maladroits. Il s’agit de plus d’un média particulièrement « froid », avec une définition de l’information très basse : c’est au récepteur de compléter avec sa propre subjectivité les quelques phrases lancées à la légère . D’où la nécessité d’en rajouter toujours dans la chaleur et la gentillesse. Une astuce : les points d’exclamation, qui connoteront des énoncés factuels d’une pointe d’enthousiasme agréable. Tout l’enjeu est dans le choix des mots et la restitution optimale des affects, pour limiter les erreurs d’interprétation. C’est vrai de l’épistolaire en général ; c’est plus pressant encore lorsque la communication est rapide, voire impulsive, dématérialisée, potentiellement publicisée auprès des mauvaises personnes.
Comme guide quotidien, l’ouvrage est donc utile pour les générations confrontées au digital sans être tombées dedans quand elles étaient petites. On prendra notamment des leçons des jeunes, qui semblent déjouer avec beaucoup de naturel les pièges de l’e-mail.
Comme analyse psychosociale, il est aussi indispensable pour rappeler que chaque média, de l’e-mail au téléphone en passant par le petit papier circulant en classe, a ses propres règles d’émission, de réception, de rituels interpersonnels, et que toute nouveauté demande un temps d’adaptation et d’erreur qu’on sous-estime à tort. C’est une leçon pour les jeunes aussi.

Laura Pynson


Send: The essential guide to Email for Office and Home, David Shipley and Will Schwalbe, Knopf, 247 pp, 14,94 euros.

Source: New York Review of Books, 27 septembre 2007