Dans une note datée du 17 novembre 2010 du think tank progressiste Terra Nova, Jean-Philippe Thiellay et Nicolas Delatour - nom qui cache celui d'un haut fonctionnaire familier du projet - font le point sur le projet de construction à Paris, dans le parc de la Villette, d'une grande salle de concert qui permette enfin à Paris d'accueillir les grandes formations symphoniques internationales dans un cadre correspondant aux exigences actuelles.Que ce ne soit pas le cas depuis longtemps est déjà en soi étonnant. Dès 1984 pourtant, comme le rappellent les auteurs de l'article, Christian de Porzamparc, concepteur de la Villette, avait prévu une telle salle. Relancée en 2001, sous le gouvernement Jospin, l'idée, soutenue à fond par la mairie de Paris, s'était concrétisée en 2006 par la création, sous l'égide de la Cité de la musique, de l'association chargée de mener le projet à bien pour 2012. Au terme d'un concours international, les ateliers Jean Nouvel se sont vu confier sa réalisation architecturale. La salle de 2400 places - capacité optimale tant d'un point de vue musical que de celui de la rentabilité - serait notamment accompagnée de cinq espaces de répétition, d'un pôle d'exposition et d'un pôle éducatif. Or les travaux entrepris à l'automne 2009 sont à présent au point mort en l'absence de confirmation, pourtant urgente, de l'engagement de l'État. Un abandon aurait des conséquences désastreuses, financières notamment, puisqu'aux 40 millions de frais déjà engagés s'ajouteraient les dédits à verser à l'architecte et aux entreprises de travaux publics concernées.

 

Les auteurs de l'article ne cachent pas que le projet n'est pas sans risque. Même une fois devenue le port d'attache de l'Orchestre de Paris - la salle Pleyel, son domicile actuel, rénovée en 2006, serait promise au jazz et aux variétés -, la Philharmonie parviendrait-elle à attirer annuellement, dans un quartier excentré, 250 fois 2400 spectateurs que se disputeraient parallèlement l'Opéra-Bastille, le Palais Garnier, l'Opéra-Comique, le théâtre du Châtelet, le Théâtre des Champs-Élysées, la salle Gaveau et le nouvel auditorium de Radio-France dont l'inauguration est annoncée pour 2013 ? Le coût du bâtiment - qui des 150 millions d'euros envisagés est passé à 260 mais risque de monter à 350 et au-delà, vu les retards accumulés - et les coûts de fonctionnement élevés que devront ensuite se partager l'État et la Ville (20 millions d'euros) sont des facteurs décourageants en période de récession prolongée dont la fin est loin d'être prévisible.

 

Face à ces objections, dont certaines ne sont pas nouvelles, Jean-Philippe Thiellay et Nicolas Delatour défendent à juste titre le projet au nom de ses ambitions mêmes. Ils estiment que la Philharmonie de Paris est d'abord une occasion pour la capitale française de se doter d'une salle comparable à celles de Rome, Londres, Berlin et nombre de grandes villes allemandes, espagnoles, japonaises et - naturellement - américaines possèdent depuis parfois fort longtemps. Mais ils y voient aussi une chance, que n'offre guère la situation actuelle, de relever le défi que pose la diminution de l'audience de la musique classique à l'âge électronique, de lui trouver et lui former, dès l'enfance, de nouveaux publics. Ajoutons que d'après Le Monde du 22 novembre (merci, sainte Cécile), le président de la République aurait rendu un arbitrage favorable au déblocage des fonds de l'État   . Pour qui se souvient, comme l'auteur de ces lignes, de l'immense serrement de coeur collectif éprouvé en 1974 le soir de l'inauguration de la salle de concert du Palais des Congrès - l'un des grands désastres culturels de l'après-guerre - il y a là un immense espoir