Pourquoi Facebook est important ? Parce que nous sommes en train de voir émerger le futur standard d’échange de données personnelles sur Internet.
Les analyses du phénomène Facebook se sont lourdement transformées depuis son émergence, en seulement quelques mois. Après avoir été une tendance du web 2.0, Facebook est devenu le site qui reliait l’identité numérique à l’identité réelle des gens, puis le business model du futur, et enfin le danger pour les libertés publiques et la vie privée des citoyens. Le tout à travers une débauche sans cesse croissante d’articles et de commentaires dans des médias de plus en plus variés.


Plus qu’un outil, une application

Il est clair que le potentiel de l’outil est de nature à justifier cet intérêt. Comme avec le mail ou la messagerie instantanée, il est aujourd’hui possible de passer sa journée sur Facebook sans aller sur le web. Le réseau social n’est plus seulement un service, il est devenu une application.
C’est parce que Facebook est devenu une application que les gens commencent à se poser des questions sur les usages qui en découlent. Ceux des autres d’abord, c’est-à-dire les différents modèles économiques qui permettent de rentabiliser le temps passé sur le site. Ils sont d’autant plus difficile à lister que l’ouverture de l’infrastructure de Facebook aux développeurs tiers permet l’apparition continue de nouveaux applicatifs, et que la structuration du site en micro-communautés rend impossible la dissémination de ces applications à l’ensemble du réseau d’un bloc. Elle force les développeurs à opter pour des stratégies de marketing et à rentrer en concurrence les uns avec les autres.
C’est aussi parce que Facebook est devenu une application que les gens commencent à se poser des questions sur leurs propres usages. On voit ainsi fleurir depuis quelques semaines des articles consacrés à la protection de la vie privée. Les analyses prospèrent personne ne semble se rappeler que les législations européenne et française interdisent la constitution de fichiers contenant des préférences politiques ou religieuses. Quel que soit l’intérêt des journalistes pour ce sujet, il reste encore superficiel. De la même façon que Youtube s’est construit en parallèle du droit d’auteur, il semble que Facebook soit en train de se bâtir à coté de la réglementation de la vie privée.


Un modèle économique peu inventif

Enfin, c’est bien sur parce que Facebook est une application que les milieux économiques commencent à s’intéresser à son modèle économique. Faire tourner un site de cette taille représente un coût. Les nombreux ralentissements qui affectent Facebook en sont la preuve. Les premières analyses mettaient l’accent sur le potentiel offert par la constitution d’une base de donnée relativement complète des usagers, sur les possibilités offertes par les différents mécanismes d’avatar (achats de cadeaux à 1$, service premium, etc.), ou sur l’opportunité de faire payer les applications tierces pour améliorer leur qualité de service (afficher les photos du widget slide.com plus rapidement). Face à ces possibilités infinies, l’annonce du modèle économique prôné par Marc Zuckerberg n’a pas manqué de décevoir puisqu’il ne s’agissait ni plus ni moins que d’une mise en application du manuel du targetting marketing : enregistrer le comportement du consommateur, le revendre aux annonceurs et espérer que le consommateur ainsi bien "ciblé" endosserait les produits et irait en faire la promotion à ses amis. Quel que soit l’angle sous lequel on le prenne, le modèle semblait bien trop naïf pour convaincre : ce n’est pas parce que les joueurs de world of warcraft ont pu élaborer des communautés qui leurs sont propres et qui participent à la valorisation du jeu vidéo de Blizzard qu’on doit croire que le modèle est réplicable si facilement et espérer que les Facebookiens iront aveuglément faire la promotion du dernier produit de coca cola.


Facebook comme protocole

Il ne semble pas vraiment pertinent de remettre en cause l’intérêt des utilisateurs pour les réseaux sociaux. Les problèmes rencontrés aujourd’hui ne fléchissent pas l’intérêt de ces applications. les chiffres sont éloquents : 114 millions de membres en juin 2007 pour MySpace, 40 millions de membres pour Facebook. En revanche, tout le monde semble vouloir déterminer la  valorisation de ces sites par analogie avec les sites web, c’est-à-dire en faisant une projection de leur capacité à proposer du trafic, des services premium, et une audience la plus qualifiée possible pour les annonceurs.
Cette analogie me semble erronée pour une raison simple, mais difficile à se représenter : Facebook n’est pas un site internet, c’est un protocole. Facebook n’est pas un site web, c’est une infrastructure, l’équivalent d’un logiciel de mail comme hotmail ou gmail, sauf que sur Facebook on échange des données personnelles plutôt que des emails.
Autrement dit, il ne faut pas penser Facebook comme si c’était un site internet. Facebook est un standard d’échange de données personnelles entre des individus. Ce standard a même un nom : FBML pour Facebook Markup Language dont Facebook.com n’est que l’application principale. Et comme ils peuvent créer des sites webs en HTML, d’autres développeurs peuvent utiliser le FBML pour créer des applications sur Facebook comme "iLike" ou "vampire."  
Or, jusqu’à l’annonce d’Open Social par Google, Facebook était considéré comme le standard le plus ouvert, celui qui permettait aux plus de développeurs de construire des applications tierces interopérables entre elles et avec l’application principale. À ce jour, il n’existe pas de standard ouvert à proprement parler, et même si le W3C discute de "social protocol" depuis 1998, il n’a jamais pu réellement aboutir à une norme qui soit globalement utilisée. Il existe bien des initiatives comme FOAF (friend of a friend) qui permet de décrire les relations entre individus et s’appuie sur RDF (ressource description format, un standard du W3C), mais il n’est pas beaucoup utilisé (à part sur quelques blogs).
Nous ne sommes donc pas face à une guerre entre des sites web sociaux qui essaient d’avoir le plus gros trafic possible. Nous sommes face à la guerre des nouveaux standards du web : qui contrôlera désormais les échanges de données personnelles entre internautes ? FBML, FOAF ou Open Social ?
La question est d’autant plus importante que le choix semble aujourd’hui se limiter aux standards définis par 3 grands acteurs privés : MySpace, Facebook et Open Social. Aucun de ces formats ne semble vraiment s’ouvrir au public ou à ses représentants. D’une certaine façon, ce qui se joue aujourd’hui, c’est un peu l’équivalent de ce qui se jouait entre AOL et Compuserve avant le croisement de TCP/IP et de HTML au tournant des années 90 : des formats de données concurrents essaient de se tailler un domaine réservé le plus vaste possible pour s’imposer comme standard universel.
A titre d’exemple, il était alors impossible à un utilisateur de AOL de se rendre sur un site Compuserve. De même qu’il est aujourd’hui impossible à un compte Myspace d’importer ses contacts sur Facebook.
Deux solutions sont envisageables. À l'image de ce qui s’est passé dans l’univers de la bureautique, il est possible qu’un standard s’impose grâce aux règles du marché et devienne la norme de fait que les usagers seront obligés d’utiliser. Ou bien, à l’image du web, des standards ouverts émergeront peu à peu pour permettre à chacun de créer des applications et de développer des services interopérables les uns avec les autres.
On ne comprendrait plus aujourd’hui qu’un abonné Orange ne puisse pas envoyer d’email à un abonné Neuf Telecom. Il ne faut pas oublier que beaucoup de gens utilisent maintenant plus leurs messageries Facebook ou Myspace que leur logiciel ou leur boîte mail.