Ce livre évoque les évolutions et les crispations du catholicisme dans la société française en privilégiant le point de vue social au détriment du point de vue théologique.

En ce début de XXIe siècle, le catholicisme présente parfois un visage peu attrayant, secoué davantage par des crises ou des crispations internes qui conduisent l’opinion publique à une profonde remise en cause de l’institution Eglise que par de vastes débats théologiques. C’est ce constat quelque peu désenchanté qui se trouve à l’origine du livre de Nicolas de Bremond d’Ars, prêtre du diocèse de Paris et sociologue   , intitulé Catholicisme, zones de fracture. Cet ouvrage, divisé en sept chapitres, évoque d’abord le fonctionnement interne de l’Eglise (le mouvement synodal, les paroisses recomposées et la messe dominicale) avant de s’ouvrir à des problèmes sociétaux (les divorcés/remariés, le corps, la pédophilie et la crise intégriste). Comme le sous-titre l’indique, le présent livre s’intéresse au devenir du catholicisme en France. L’auteur pointe ainsi les différents mouvements tectoniques - pour reprendre la métaphore sismique à l’œuvre dans le titre - qui travaillent de l’intérieur l’édifice catholique.


Le fonctionnement interne de l’Eglise


Le premier chapitre concerne le mouvement synodal, intronisé par le concile de Trente, réhabilité par le concile de Vatican II et qui trouve un second souffle en France depuis 1983. Si "les synodes sont des mouvements de redynamisation des fidèles, pour retrouver une base de communication plus forte lorsque le tissu catholique se défait", leurs voeux (souvent relatifs à l’assouplissement de la discipline imposée aux divorcés remariés notamment) ne rencontrent toutefois pas l’écho souhaité auprès de Rome et ne contribuent donc pas au renouvellement du fonctionnement interne de l’Eglise catholique.


De la même façon, face à la démographie cléricale en baisse, la recomposition incertaine des paroisses, qui conduit inévitablement à une concentration des messes dans les centres (chefs-lieux de canton et villes moyennes), ne tend pas forcément à redynamiser de l’intérieur le catholicisme. En effet, on peut se demander si ces restructurations de l’organisation catholique sur le territoire français ont une influence positive ou négative sur les assemblées dominicales, pierre angulaire de la liturgie catholique. L’auteur ne peut que constater le déclin de la pratique dominicale   directement lié selon lui à la recomposition des diocèses et des paroisses. Devant cette désaffection patente, "la revitalisation liturgique semble indispensable si l’Eglise catholique veut maintenir la centralité de la messe dominicale". A la manière du concile de Trente qui avait su, après la forte remise en cause protestante, revaloriser cette messe en modifiant l’architecture des églises (disparition du jubé, apparition progressive du maître-autel, séparation entre le choeur et la nef), la liturgie moderne doit sans doute renouer avec cette théâtralité si bien évoquée par Philippe Martin dans Le théâtre divin : une histoire de la messe XVI-XXe. Cette renaissance, si elle doit se faire, passe aussi par un assouplissement des positions dogmatiques de l’Eglise face au statut des divorcés-remariés. On le voit : le point d’équilibre n’est pas facile à trouver pour l’Eglise entre renouvellement de la forme et renouvellement de la socialité.


L’Eglise et la société


Ce thème de la socialité se trouve précisément au centre de la seconde catégorie de dossiers étudiés dans le livre : si le catholicisme veut apaiser certaines tensions, il lui faut aussi probablement assouplir ses positions concernant les divorcés-remariés, la place officielle des femmes dans l’Eglise (avec peut-être la possibilité de les ordonner prêtres) ainsi que la procréation. Dans un intéressant chapitre intitulé "Le corps de l’Autre, l’autre du corps", l’auteur met en relief une des zones de fracture les plus saillantes qui sépare l’Eglise de la société : en effet, dans une société moderne où l’indépendance du corps est devenue sacrée, la volonté de la part de l’Eglise catholique de maintenir un contrôle des corps apparaît profondément déstabilisante, voire choquante. L’avant-dernier chapitre, consacré à la pédophilie, escamote, par-delà le caractère réellement scandaleux du phénomène, le puissant paradoxe entre la tradition catholique qui, à la suite de Paul, tend à évacuer le désir charnel et la résurgence de ce désir au sein même de l’institution catholique. Si l’auteur a raison de souligner l’émergence d’une construction sociale de la pédophilie à partir du début des années quatre-vingt   et la constitution d’une opinion publique dans l’Eglise catholique romaine qui tend à mettre en cause son autorité propre, il pointe exagérément la dimension sociale de la pédophilie sans évoquer le sujet, il est vrai très complexe, de ses origines.

L’identité du catholicisme menacée?


De fait, l’auteur, cherchant à mettre à jour les zones de fracture qui traversent l’édifice catholique, porte davantage sur la "religion papale" un regard de sociologue que de théologien. Si cet ouvrage a le mérite de mettre en lumière les enjeux thématiques du catholicisme en ce début de XXIe siècle (le rôle des Eglises locales, le discours normatif sur la morale et l’accès aux ministères ordonnés), il passe sous silence un autre phénomène religieux de cette période qui déstabilise lui aussi l’institution catholique : de plus en plus de croyants, en effet, n’hésitent pas à redessiner les contours de leur religion pour faire émerger une nouvelle religiosité. Cette piété de recomposition ouvre d’ailleurs la voie à une autre ligne de fracture plus souterraine, moins visible mais tout aussi réelle : celle qui voit, selon un sondage CSA   de janvier 2007 publié dans Le Monde des religions, seulement  58 % des catholiques croire en la résurrection du Christ. Etape majeure où les fidèles, par-delà la rigidité du système institutionnel, remettent en cause les fondements même du catholicisme et plus largement du christianisme.


Les zones de fracture ne s’apparentent plus dès lors à de simples mouvements tectoniques ou à des crispations du catholicisme dans la société française. De cette ligne de fracture qui confine à la faille émerge peut-être un nouveau paradigme religieux : celui d’un catholicisme dévitalisé, coupé de ses fondements théologiques. Ce qui se trouve ici en jeu, c’est l’identité même du catholicisme dont les vérités fondamentales, qu’il s’agisse de la croyance en la résurrection ou en la virginité de Marie   , ne remportent plus l’assentiment d’une grande majorité de fidèles. Tout se passe ici comme si le catholicisme tendait à évoluer vers une religion sentimentale où les fidèles non seulement se détachent de la pratique liturgique, mais prennent aussi leur distance par rapport aux vérités fondatrices du catholicisme   . Pourquoi ne pas considérer dès lors que ces lignes de fracture évoquées par l’auteur, relevant de crispations internes et sociales, dessinent subrepticement une faille plus profonde qui atteint le cœur théologal du catholicisme lui-même au risque d’en faire, à terme, dans la société française, ce que l’auteur nomme, dans un autre contexte, "une culture régionale" ?