Depuis la mi-août, tous les sondages l’ont confirmé : il suffisait que Dilma Rousseff soit reconnue par l’ensemble de la population brésilienne comme la dauphine du très populaire Lula pour que les intentions de vote en sa faveur montent en flèche. Si l’élection avait lieu aujourd’hui, Rousseff devancerait de 20 points son plus proche adversaire, José Serra du Parti Social-Démocrate Brésilien (PSDB, centre droit), ce qui lui permettrait de remporter l’élection dès le premier tour.
N’ayant visiblement plus rien à perdre, Serra a décidé de passer à l’attaque et d’employer un discours musclé et incisif contre Rousseff. Après l’avoir mis directement en cause dans une affaire de violation du secret fiscal visant à entacher des membres du PSDB, il n’a cessé, depuis lors, de critiquer avec véhémence le bilan économique du gouvernement actuel.
En ce qui concerne le premier volet de la contre-offensive de l’opposition, des investigations judiciaires sont en cours et des fonctionnaires liés au Parti des Travailleurs (PT) sont suspectés d’avoir eu illégalement accès, en 2009, aux données confidentielles contenues dans les déclarations d’impôts de plusieurs hauts dirigeants du PSDB, dont le vice-président du parti, un ex-ministre de l’ancien président Cardoso (1995-2002), et la fille du candidat Serra. Pourtant, le dévoilement de ce scandale n’a pas permis de persuader le tribunal électoral d’interdire la candidature pétiste. De plus, bien qu’elle ait défrayé la manchette pendant des semaines entières, cette accusation n’a pas semblé affecter en profondeur les préférences de l’électorat brésilien. Un sondage Datafolha publié au début du mois de septembre donnait, en effet, Rousseff gagnante avec plus de 50% des intentions de vote.
D’autre part, Serra a insisté sur les points faibles du gouvernement Lula et sur le caractère apparemment insurmontable des défis dont héritera le prochain président. Dans une entrevue accordée au journal O Estado de Sao Paulo, Serra souligne que malgré l’augmentation considérable du revenu généré par les exportations, la croissance économique a été inférieure à la moyenne mondiale. Le candidat d’opposition en profite du reste pour signaler que ce boom du secteur exportateur ne pourra pas se reproduire dans les années à venir si la monnaie nationale continue d’être surévaluée et si se confirme l'essoufflement de la production d’une industrie jadis florissante. Afin de dynamiser l’économie, Serra juge pour sa part indispensable de diminuer la charge des impôts et d’abattre le taux d’intérêt de la Banque Centrale (dont le niveau actuel est de 10,75%) afin de mettre un terme aux lourds transferts de la richesse nationale vers le capital financier. Pour Serra, la diminution de ce taux d’intérêt pourrait servir à stimuler le secteur productif, à diminuer l’endettement des ménages et pourrait se traduire, à terme, par l’affectation d’une partie non négligeable de la richesse nationale à des programmes d’investissement public. Aussi prêche-t-il pour la réduction du poids des salaires de la fonction publique afin d’alléger les dépenses de l’État, accusant au passage le gouvernement Lula d’accroître indûment l’appareil administratif de l’État et de chercher à satisfaire ses alliés politiques par des promotions népotistes.
Serra n’est pourtant pas le seul candidat de l’opposition à critiquer le bilan des années Lula. Plínio de Arruda Sampaio, candidat du Parti Socialisme et Liberté (PSOL), appelle de son côté l’électorat à ne pas se laisser aveugler par le discours lénifiant du PT. Au cours du débat organisé par la TV Gazeta, il a reconnu que, grâce aux mesures préconisées par le gouvernement Lula, le salaire minimum a connu une légère hausse, ce qui a notamment permis de revaloriser le pouvoir d’achat des Brésiliens. Mais si les ménages ont ainsi pu se procurer des biens de consommation tels que des machines à laver, des réfrigérateurs et des postes de télévision, cela n’a pas permis d’endiguer la reproduction des inégalités sociales. Pour étayer son propos, le candidat du PSOL a fourni des données alarmantes: 80 millions des Brésiliens habitent dans des bidonvilles ; 40 millions d’entre eux ont construit leurs maisons dans des lotissements très précaires qui sont exposés notamment à un haut risque d’affaissement ; 50% des foyers ne sont pas liés au réseau de drainage ; le taux d’homicides est le double de celui enregistré en Argentine, principal partenaire économique de la région sud-américaine ; et la détérioration des conditions de vie des paysans s’accroît de plus en plus en dépit de l’augmentation de la production agricole. Malgré ses qualités d’orateur, qui font de lui un débatteur hors pair, ce candidat socialiste reste – et de loin – le moins bien placé dans les sondages.
Pour sa part, la candidate Marina Silva, du Parti Vert (PV), qui semble inspirer plus de sympathie chez les électeurs que Plínio de Arruda, n’a pas été capable jusqu’à maintenant de dépasser le taux de 10% que les coups de sonde antérieurs au lancement de la campagne télévisées lui avaient accordé. S’il est vrai qu’elle a su séduire une partie de l’électorat qui cherche avant tout un renouvellement de la classe politique et la fin de la polarisation PT–PSDB, il n’en demeure pas moins qu’elle se heurte au fait qu’une partie importante de ce même électorat continue de reconnaître les aspects positifs du double héritage des gouvernements de Lula et de Cardoso. Les attaques, plus fréquentes et plus acérées, dirigées contre le candidat Serra laissent néanmoins présager un report des voix du PV en faveur de la candidate luliste lors d’un éventuel deuxième tour. Cependant, compte tenu de l’avance importante de Rousseff et de ses alliés, il semble peu probable que cet éventuel rapprochement se concrétise.
Par ailleurs, il est de plus en plus plausible que la victoire de l’élection présidentielle ait une répercussion directe sur le scrutin législatif qui se déroulera au même moment. Les sondages montrent que des 54 sièges qui seront disputés au Sénat (ce qui équivaut aux deux tiers de l’ensemble des sièges de la Chambre haute), près de 50 pourraient être remportés par les candidats des partis alliés de Rousseff. Dans cette éventualité, le futur gouvernement disposerait d’une majorité sans précédent depuis la naissance de l’actuelle république en 1989. En ce qui concerne les prévisions relatives à la composition de la Chambre basse, le journaliste Caio Junquera du journal Valor estimait récemment que les deux principaux partis de l’alliance luliste, le PT et le Parti centriste du Mouvement Démocratique Brésilien (PMDB), pourraient obtenir 197 des 513 sièges en jeu. Et si l’on ajoute le possible ralliement des élus des petits partis alliés qui n’ont pas été pris en compte par Junquera, il appert que ces deux partis seraient en mesure de disposer d’une majorité confortable au Congrès.
Devant cette concentration rampante du pouvoir politique, l’opposition a sonné l’alarme sur la menace de ce qu’elle appelle la "mexicanisation" du système politique brésilien. Dans un pays où un nombre important de partis disposant d’un vrai pouvoir d’influence cohabitent au sein du parlement, la prépondérance d’une seule force politique est pratiquement inconcevable. L’opposition dénonce ainsi une possible dérive autoritaire d’un parti hégémonique, comme cela a été le cas au Mexique au XXe siècle. Sans doute excessive, cette comparaison risque de nous faire perdre de vue que la force du PT et de ses alliés tient aussi en partie à la faiblesse de l’opposition. Pour l’heure, il n’y a pas lieu de penser que la victoire annoncée du PT constituerait une menace réelle pour l’équilibre démocratique brésilien.
* A lire sur nonfiction.fr:
La modération pragmatique du Parti des Travailleurs brésilien... , par Fidel Pérez Flores