À l'occasion des quarante ans de la mort du génial guitariste gaucher, deux ouvrages de nature contraire se complètent pour présenter la vie discographique et sentimentale de Jimi Hendrix.
Le 18 septembre 1970, Jimi Hendrix poussait son dernier soupir dans un hôtel londonien. Pour l’anniversaire de sa mort, certaines maisons d’édition se sont investies dans des biographies et autres essais. Parmi ces livres, souvent de belle facture, on peut s’attarder sur deux ouvrages diamétralement opposés, mais d’un intérêt égal et d’une belle complémentarité : Jimi Hendrix, un rêve inachevé, et Jimi Hendrix.
Tout d’abord, Jimi Hendrix, un rêve inachevé. Signé par l’un des meilleurs spécialistes français du musicien américain, Régis Canselier, l’ouvrage se présente comme une analyse de sa discographie, étonnamment pléthorique pour une brève carrière… certes fulgurante. Le dernier disque de la légende de la guitare est resté inachevé, comme un rêve irréalisable. Mais d’autres disques méritent de s’y attarder, et c’est un tour d’horizon fouillé et passionné que nous propose l’auteur. Ainsi, de manière chronologique, chaque enregistrement majeur est mis en lumière. À commencer par les albums : Are You Experienced? (1967), Axis : Bold As Love (1967), Electric Ladyland (1968)... Mais aussi les concerts mémorables comme celui de Monterey (1967), Woodstock (1969) et de l’Isle de Wight (1970), qui, rappelons-le, n’est pas son dernier concert. Enfin, le chapitre Une vie après la mort (slight return) qui traite, parmi d’autres "œuvres" posthumes, le fameux Jimi Hendrix : Blues de 2004. Le tout sans omettre le rôle primordial des deux producteurs successifs d’Hendrix, Michael Jeffery et Alan Douglas. Et rétablit certaines vérités : "The Wind Cries Mary" inspira Miles Davis, "Purple Haze" n’est pas inspirée par l’usage de LSD mais par un livre de Philip José Farmer, etc.
L’ouvrage est avant tout objectif, voire scientifique sur bien des points. C’est précisément ce qui pourrait gêner la lecture d’un néophyte ou d’un lecteur occasionnel. Jimi Hendrix, un rêve inachevé s’aborde lorsqu’on est (au minimum) familier de Jimi Hendrix. Et se savoure encore plus si on en est un fervent admirateur. Cependant, Canselier sait donner du mordant à son analyse, et ne se retient pas de donner son avis. Il n’hésite donc pas à dénoncer les nombreuses manœuvres à unique but financier, comme le récent album "inédit" Valleys of Neptune, proposant entre autres des parties instrumentales du bassiste Noel Redding et du batteur Mitch Mitchell. Outre un riche aspect discographique, une impressionnante bibliographie et un index de l’intégralité des morceaux de Jimi Hendrix complètent ce que l’on pourrait considérer comme l’anthologie critique la plus exhaustive de son corpus musical.
Face à l’ouvrage de Régis Canselier, se refusant toute intrusion dans la légende du guitariste gaucher, les amateurs de rock pourront aussi s’attarder sur le Jimi Hendrix de Frédéric Martinez. Il s’agit d’un portrait sensible et sensoriel. En partant des dernières minutes de l’existence du musicien, le biographe remonte le temps et en évoque les instants les plus importants, ou du moins déterminants. Le concert (décevant, mais néanmoins gravé dans la pierre) de Woodstock, les vacances marocaines d’Essaouira et de Marrakech, le retour à Seattle, la ville natale, la découverte de l’Europe... La naissance de l’Expérience, les amours éphémères, le chamanisme et le trop plein de femmes... À l’origine de ce destin aussi fou que trouble, cette enfance marquée au fer rouge, blessée par le décès de sa mère Lucille, alcoolique, et par la main leste du père Hendrix, qui lui acheta néanmoins son premier instrument.
Oscillant entre récit à la première personne et description très personnelle, voire intime, des états d’âme du musicien, la biographie de Martinez est indéniablement littéraire. Quasi fictionnelle même si tous les faits énoncés sont véridiques. S’y mêlent des effets de styles comme des expressions de Jimi Hendrix glissées ici et là, comme s’il nous parlait de l’au-delà. Ce dialogue d’entre les ténèbres hante le livre, puisqu’il commence avec les derniers soubresauts du musicien drogué et épuisé, et qu’il termine sur ce qu’on pourrait appeler sa libération.
Ainsi, parallèlement aux manifestations en France (exposition de photographies de Jimi Hendrix à la galerie Renoma du 16 septembre au 16 novembre 2010, avec des clichés de Claude Gassion, AlaIn Dister ou Bob Lampard) et en Angleterre (l’ouverture éphémère de l’appartement londonien du musicien jusqu’à la fin du mois de septembre), on pourra se délecter des ouvrages respectifs de Régis Canselier et Frédéric Martinez. S’ils ne pouvaient pas être plus différents, leur format, leur fond et leur style se complètent d’une manière qui ne peut qu’inciter à les découvrir chacun à leur tour. Et si l’on n’est toujours pas rassasié, on peut continuer son approche du plus grand guitariste de tous les temps via l’intelligente biographie de Vincent Brunner, Jimi Hendrix, Electric Life (Editions City) et le très beau live du photographe Gered Mankowitz, Expérience à Masons Yard (Fetjaine Éditions)