Une invitation à la découverte de deux auteurs majeurs pour comprendre l’expérience métropolitaine.

Antonio Rafele propose dans ce court ouvrage de faire découvrir deux pensées majeures, celles de Simmel et de Benjamin. Deux textes sont particulièrement cités : Les Grandes villes et la vie de l’esprit (Die Grosstädte und das Geistesleben, 1903) de Georg Simmel et Le livre des passages (Das Passagen-Werk) de Walter Benjamin. La juxtaposition de ces auteurs est pertinente et a déjà été proposée, notamment dans un ouvrage récent dirigé par Stéphane Füzeressery et Philippe Simay   . La méthode d’Antonio Rafele consiste à présenter des extraits de chacune de ces œuvres, extraits précédés et suivis de remarques interprétatives. Par ailleurs, l’auteur laisse aux lecteurs le soin d’établir des liaisons et des correspondances entre Simmel et Benjamin, présentant l’un et l’autre successivement, et laissant au second une place plus importante qu’au premier.

Benjamin le critique et Simmel le sociologue ne décrivent pas les mêmes expériences. Simmel décrypte l’expérience sensible de la vie métropolitaine. La vie nerveuse y est plus intense en raison  de la multiplicité des stimuli qu’engendre la rencontre d’une variété infinie de personnes et d’objets. Pour résister à cette intensité, l’attitude blasée, si caractéristique de l’habitant des grandes villes, n’est pas une faiblesse morale, mais une adaptation psychique indispensable. La grande ville permet un relâchement des contraintes et des traditions, l’individu peut y jouir d’une liberté plus grande. Mais, nous rappelle l’auteur en citant Simmel : "ce n’est de toute évidence que le revers de cette liberté lorsqu’on ne se sent nulle part aussi solitaire et aussi abandonné que dans la cohue des grandes villes. Car, généralement, il n’est nullement nécessaire que la liberté de l’homme se reflète dans sa vie affective sous forme de bonheur ".

Benjamin, dans les extraits choisis, évoque notamment la mode et la photographie. Quoi de commun entre l’invention de la photographie et la naissance des métropoles ? Dans les deux cas, ce sont la durée et l’atemporalité qui semblent insaisissables. Chaque photographie représente un instant qui renferme en lui une partie de l’histoire du monde ; aucune linéarité, aucune progressivité ne s’instaure entre un cliché et un autre. La vie se déroule dès lors sur ce modèle d’une succession de moments tout juste achevés. Aussi, Benjamin et Simmel, chacun à leur manière, décrivent-ils cette modalité nouvelle de l’existence des individus, qui se compose d’innombrables événements, discontinus et dénués de liens clairs avec les expériences passées. L’identité se construit au fil des circonstances multiples, se configure au hasard et sans l’appui des structures et institutions qui en garantissaient auparavant le maintien et la reproduction. Les deux auteurs nous invitent ainsi – en faisant référence à Baudelaire, bien sûr - à penser la "modernité ".

Construits à la manière des Passages de Benjamin, c’est-à-dire par fragments juxtaposés, ce court ouvrage constitue une belle invitation à la découverte de pensées, ardues, mais fortement stimulantes 
 

A lire aussi sur nonfiction.fr :

- Michel Agier, Esquisses d'une anthropologie de la ville, par Antonin Margier.