Une tentative pour montrer que la guerre, après la Shoah, est le meilleur moyen pour le peuple juif de surmonter le traumatisme des camps.

Le titre de cet essai est assez paradoxal dans la mesure où l’on tend à lier, par habitude, la Shoah à la guerre. La Shoah pourrait être une manifestation paroxystique de la violence monstrueuse et terrible de la guerre. C’est à cette façon de lire l’histoire que s’oppose Michaël Bar-Zvi, qui oppose résolument la Shoah à la guerre. La Shoah est à concevoir comme une entreprise de déshumanisation, de destruction féroce et illimitée d’un peuple (une Vernichtung), tandis que la guerre est d’après l’auteur une activité dans laquelle l’homme affirme ou construit son humanité en faisant que la société dans laquelle il vit et les valeurs auxquelles il croit puissent perdurer. Loin d’être une conséquence de la guerre, la Shoah n’en est qu’une perversion. On pourrait être tenté de croire qu’à partir de là, l’auteur va réhabiliter la guerre en montrant qu’elle est à distinguer et à séparer de la Shoah. Et c’est ce qu’il fait dans une certaine mesure, comme incidemment, dans plusieurs chapitres du texte : se référant à Hegel, Péguy, Hobbes ou Machiavel (ou de façon surprenante mais pertinente à l’historien Marc Bloch), il montre comment la guerre peut avoir une certaine dignité, une certaine valeur, une certaine importance. La guerre peut en effet être pensée comme ce qui fixe des règles à la violence, ce qui permet à l’homme de révéler certaines vertus qui sommeillent en lui en temps de paix, etc. Cependant, les analyses proposées sont plus allusives que précisément développées.

Si ces analyses sont plus suggérées que menées à bien, c’est parce que le but de l’auteur est différent : légitimer la guerre après la Shoah doit moins s’entendre comme une réhabilitation de la guerre, de son idée et de sa pratique, après la Shoah qui aurait terni et avili son image, que comme la thèse selon laquelle c’est par la guerre que le peuple juif peut se reconstruire après un tel traumatisme déshumanisant. Autrement dit, "après la Shoah" est plus à comprendre comme une indication de cause que comme une indication de temps. La Shoah, d’après l’auteur n’est pas un événement qui inviterait l’humanité pensante à condamner unanimement la guerre, elle est au contraire l’exigence de repenser la guerre, une guerre saine – qui confine, à la lecture du livre, à l’idée de guerre sainte – par laquelle chaque peuple (mais ici particulièrement le peuple juif) peut refonder son identité : "il fallait que la nation juive retrouve les deux choses qui lui avaient manqué inexorablement au cours des siècles de persécution : la terre et la guerre"   . De plus l’évènement unique qu’est la Shoah occasionne une forme d’héritage, il ne doit pas être tu, dissimulé ou servir à de mauvaises fins : "il faut réhabiliter la guerre parce que la singularité de la Shoah est devenue un "héritage à gérer", une responsabilité que le peuple juif et l’humanité ne pourront porter que s’ils se donnent les moyens de combattre ses éventuelles métamorphoses dans le monde moderne et post-moderne"   .

Cette analyse est relativement convaincante lorsqu’elle vise à montrer que pour "maintenir son rang parmi les nations"   , l’Etat d’Israël a dû, de fait, recourir à la guerre. Mais elle est moins efficace quand elle fait de la Shoah la justification des guerres menées par l’Etat d’Israël — en prenant soin de ne pas faire de la Shoah la cause directe de la naissance de l’Etat d’Israël  : "Il n’y a pas de relation de cause à effet entre la Shoah et la renaissance d’un Etat juif en terre d’Israël, mais il y a un sens à ce lien, c’est que la Shoah a failli rendre caduc ce retour et que l’existence d’un tel Etat, puissant et déterminé, est l’un des pilotis qui renforcent le principe du "Plus jamais ça"   . Certes, c’est par les armes que l’Etat d’Israël s’est défendu, mais il ne faudrait pas aller jusqu’à dire que cette armée est une conséquence nécessaire et justifiée de la Shoah, et qu’à ce titre, elle est la seule façon pour les Juifs de reconstruire leur identité. On ne voit pas comment pourrait se justifier l’argument qui dirait que les survivants devaient se reconstruire après le traumatisme de la Shoah et que cette reconstruction passerait nécessairement par une pratique de la guerre, quand bien même on reconnaîtrait une certaine valeur à la guerre.

Le discours est d’autant plus ambigu que si l’auteur propose une distinction pertinente entre guerre et violence, en montrant que la guerre en théorie ne vise pas délibérément les civils innocents – ce que revendique en revanche la violence –, il semble glisser vers l’amalgame entre terrorisme et Islam : "les bourreaux nazis et les terrorismes de l’Islam intégriste"   , "Pourquoi cette réussite de la violence passe-t-elle aujourd’hui par l’Islam ?"   . Dès lors, le discours sur la guerre comme moyen politique pour les juifs, survivants traumatisés de la Shoah, de se reconstruire n’est pas franchement pertinent.

En revanche le livre est émaillé d’analyses précises, pertinentes et intéressantes sur la façon de survivre à la Shoah. S’appuyant sur les réflexions de son père, un ancien déporté, sur des analyses d’anciens survivants ou sur des travaux sur ces mêmes survivants, et particulièrement sur une lecture attentive et judicieuse de textes d’Emmanuel Levinas et de Primo Levi, l’auteur montre comment, de façon imagée, chaque survivant a été obligé de mener une guerre pour se reconstruire. Il expose ainsi des réflexions très pertinentes sur l’humour juif, l’amour et ses difficultés après l’expérience traumatisante de la déportation, ou la musique, considérés comme des moyens de surmonter, de vaincre, de revivre et de se reconstruire.

En conclusion, ce livre propose des réponses précises à la question : comment vivre et redonner du sens au monde après que la Shoah a privé le monde de tout sens aux yeux du déporté ? Mais l’apologie de la guerre qui y est défendue devrait être plus nuancée pour ne pas pouvoir servir à légitimer toute action guerrière israélienne. Certes ce texte ne va pas jusqu’à justifier toute la politique militaire israélienne depuis la naissance de l’Etat juif, mais elle offre beaucoup d’éléments à ceux qui voudraient le faire, sans que ces derniers soient suffisamment justifiés et fondés en raison