Dès le 18 juin, le groupuscule d’extrême droite "Parti populaire national" rendait hommage à Hans Dichand, l’homme qui a fait la Kronen Zeitung (ou Krone comme l’appellent les Autrichiens), avec cette citation : "Je ne suis pas raciste ni contre les étrangers. Je suis simplement contre le fait qu’on soigne un certain dilettantisme d’humanité, aux crochets des contribuables, simplement parce qu’on soutient des parasites sociaux et des criminels". Évidemment, on a du mal à imaginer cela dans les écrits de l’homme le plus puissant des médias autrichiens… mais il suffit d’entrer "Dichand Sozialschmarotzer" dans un moteur de recherches quelconque pour voir les sources les plus sérieuses reprendre cette citation parmi de nombreuses autres, du même acabit.

Dichand a pris le contrôle de la Kronen Zeitung en 1959. Il en a fait le tabloïd (ou "journal de caniveau", au choix) le plus populaire au monde, eu égard à la proportion de lecteurs dans le pays. La Krone c’est un tirage à 820 000 exemplaires pour 2,9 millions de lecteurs… dans un pays de 8,4 millions d’habitant (près d’un adulte sur deux, de quoi faire rêver The Sun !). Même la Bild Zeitung, en Allemagne, feuille de chou tout aussi nauséabonde, ne tire qu’à 3 millions d’exemplaires et ne touche ‘que’ 11,6 millions d’Allemands.

La Krone c’est le soutien indéfectible à Kurt Waldheim dans les années 1980, c’est la montée en puissance de Haider dans les années 90 (dont Dichand se vantait), la lutte contre les "eurocrates" de Bruxelles, la criminalisation des étrangers, les gros titres récurrents sur la criminalité et les "hordes d’étrangers" qui déferleraient sur l’Autriche… Et dans la Krone, il y a depuis 1989 (!) un certain Wolfgang Martinek qui publie tous les jours, sous le pseudonyme de Wolf Martin, un "poème" en référence à l’actualité. Il honore parfois Hitler, le 20 avril, jour de sa naissance, de façon à peine masquée. En 2008, les sociaux-démocrates ont fait acte d’allégeance en annonçant qu’en cas d’élargissement de l’Union européenne, ils organiseraient un référendum (comme la Krone l’exigeait dans sa lutte contre le Traité de Lisbonne). Récemment (en avril 2010), le journal soutenait ouvertement la candidate d’extrême droite, Barbara Rosenkranz. Une des spécialités de Dichand était les pseudo-courriers des lecteurs qu’il écrivait lui-même, dans lesquels il s’autorisait les propos racistes ou les connotations antisémites.

Alors, comment a réagi la classe politique autrichienne à la mort de ce grand populiste ? Et bien le Chancelier Werner Faymann a quitté précipitamment le sommet européen de Bruxelles dès l’annonce de la mort de Dichand, pour en chanter les louanges ("Hans Dichand hat im wahrsten Sinne des Wortes Geschichte geschrieben."). Le Président Fisher (social-démocrate lui aussi), a tenu à rappeler l’intérêt du défunt pour "les arts" (était-ce pour l’édition du 8 mai 1988 de la Krone qui reproduisait en première page un hommage à la fête des mères du peintre nazi Switbert Lobisser ?). Le patron de la télévision et de la radio nationales, Alexander Wrabetz, a salué "l’homme des médias qui était exceptionnel" ("Mit Dichand verliert Österreich einen einzigartigen Medienmacher"). Fellner, qui publie un autre tabloïd, Österreich, a décrit Dichand comme un exemple à suivre ("Dichand war in seiner menschlichen Art immer ein Vorbild"). Juste retour d’ascenseur de la part du cardinal qui a depuis longtemps sa chronique hebdomadaire dans le torchon populiste, Schönborn a loué les qualités de Dichand qui avait compris "que la religion fait partie des hommes". Avec un sens certain du devoir vis-à-vis des services rendus, la candidate du parti de Strache aux élections présidentielles, Barbara Rosenkranz, a elle aussi salué la mémoire de l’homme qui n’a "jamais oublié ses racines et vivait jusqu’aujourd’hui dans la modestie" ("Er hat seine Wurzeln nie vergessen und diese Bescheidenheit bis heute gelebt"). La ministre de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, Beatrix Karl (du parti conservateur, ÖVP) a reconnu en Dichand un "médiateur de la science" ( "ein Sprachrohr der Wissenschaft" – pensait-elle aux pages quotidiennes consacrées à l’astrologie ?). Strache, de l’extrême droite FPÖ a loué le lien étroit qui reliait Dichand au peuple ("Kennzeichnend ist seine enge Verbindung zur Bevölkerung gewesen"). Le ministre des Affaires Etrangères, Spindelegger, a signalé que les résultats de Dichand appelaient le respect ("Seine Leistungen verdienen größten Respekt"). Christoph Leitl, président de la chambre autrichienne du commerce, est de son côté animé par "le plus profond respect" ("Sein Lebenswerk nötigt tiefen Respekt ab"). Stefan Petzner, également de l’extrême droite, mais du parti de Haider (BZÖ), estime que "la voix du peuple va manquer" ("Diese Stimme des Volkes wird fehlen"). Le maire de Vienne, Michael Häupl, un éléphant social-démocrate qui s’apprête à défendre son siège contre Strache en octobre, estime quant à lui que "le succès [de Dichand] aura des effets bien après sa mort" ("Sein Erfolg wird weit über seinen Tod hinaus wirken"). Enfin, Eva Glawischnig, pour les Verts, a certes reconnu "un homme de presse important", mais a mentionné "des parts d’ombre" ‘("Er war ein bedeutender Zeitungsmacher mit Schattenseiten"). Elle a aussi salué les convictions écologiques de Dichand. Sur son blog, le porte-parole pour les affaires européennes et internationales du petit Parti libéral (2 % aux dernières élections législatives), Ronald Pohoryles, s’est tout de même interrogé sur tous ces hommages.

Toutes ces réactions officielles (à l’exception des deux dernières) sont tout à fait désolantes, sinon simplement affligeantes ! A la mort de Jörg Haider, on pouvait se demander pourquoi un culte national ? Aujourd’hui encore, avec Dichand, considérant les immenses profits générés par son tabloïd, on peut s’interroger sur la bonne fortune de Dichand : "pourquoi cet or dure ?"