Un petit atlas richement illustré, qui propose une nouvelle lecture de l’histoire de la France Libre.

À l’occasion des commémorations du soixante-dixième anniversaire de l’Appel du 18 Juin, les ouvrages consacrés au général de Gaulle et à la France Libre fleurissent sur les étals des libraires. Entre souvenirs et témoignages, dictionnaires et publications académiques, le livre de Sébastien Albertelli se détache par sa nature originale, puisqu’il s’agit d’un atlas historique. Son auteur est un spécialiste reconnu de l’histoire des "années sombres" ; sa thèse sur les services secrets de la France Libre a été récemment publiée   .

Consacrer un atlas historique à un sujet comme la France Libre peut paraître surprenant. Pourtant, dès août 1940 sa souveraineté s’étend sur 2,5 millions de km2 et 6 millions d’habitants. Fin 1941, le drapeau à croix de Lorraine flotte sur des territoires en Afrique, dans le Pacifique, au Moyen-Orient et en Amérique du Nord.

La France Libre, une histoire politique

Les Français libres, au prisme de leur expérience de la guerre, ont fréquemment décrit leur engagement au sein du mouvement gaulliste sous le seul angle du geste militaire héroïque : il se serait agi d’abord et surtout de relever un glaive tombé à terre après l’armistice. Vainqueurs et légitimés a posteriori dans leurs actes, ces "hommes partis de rien"   ont eu tendance par la suite à taire les dissensions politiques internes rencontrées, favorisant de cette manière la création d’une mémoire présentant la France Libre comme "un bloc" unanime. Cette vision monolithique a largement contribué à accréditer l’idée de l’apolitisme de la "légion de Gaulle".

Refusant cette explication, Sébastien Albertelli souligne à l’inverse le caractère éminemment politique du mouvement. Sa thèse est clairement exposée dès le titre de son atlas. L’objet d’étude n’est pas la "France libre", mais la "France Libre". Cette majuscule ne relève en rien d’une forme de coquetterie sémantique. Elle met au contraire l’accent sur le glissement progressif du mouvement gaulliste de la sphère militaire au domaine politique au cours de la guerre. Le sous-titre, "une aventure politique" confirme cette interprétation d’un combat portant en lui un projet de société pour la France. Un combat politique contre un passé qui a mené le pays à l’abîme, un combat politique pour administrer les territoires ralliés et y maintenir la souveraineté française face aux ingérences des Alliés. Un combat politique – pour l’avenir-, afin de conserver le pouvoir au terme de la guerre, et dans lequel le contrôle et la coordination de la Résistance intérieure représentent un enjeu capital.

Le plan de l’ouvrage et les thèmes retenus servent la thèse de l’auteur. Tous les grands moments de la France Libre sont étudiés au prisme de cette problématique politique. Sébastien Albertelli s’intéresse ainsi successivement aux modalités d’engagement dans le mouvement ainsi qu’à sa composition sociologique. Il examine ensuite la construction de l’ "État France Libre", par l’intermédiaire de sa base territoriale, ses institutions, ses capitales successives ou encore sa propagande. Les deux dernières parties, respectivement consacrées aux combats hors de France et en métropole, démontrent que l’auteur ne sous-estime pas la dimension guerrière d’un mouvement devenu "France combattante" en juillet 1942.

Atlas, mode d’emploi

La structure de l’ouvrage est unifiée. Elle respecte un modèle normé et bien défini. Une double page est consacrée à chaque thème étudié. Une brève notice destinée à contextualiser et à problématiser le sujet traité l’introduit. Une citation mise en exergue attire la curiosité du lecteur. L’objet étudié est ensuite illustré par l’intermédiaire de plusieurs documents iconographiques, spécialement réalisés pour l’occasion. Des cartes à toutes les échelles, des schémas, des représentations graphiques de données statistiques ont été retenus. Par exemple, dans la double page consacrée aux Forces navales françaises libres (FNFL), un premier diagramme illustre l’évolution des effectifs de la marine du général de Gaulle. Il permet de mesurer aisément le coup d’arrêt pour les engagements de volontaires que représentent Mers el-Kébir et l’opération contre Dakar. Le parcours d’un aviso   de la France Libre, le Savorgnan de Brazza, est ensuite retracé. Cette carte fait prendre tout son sens à l’expression "montrer le pavillon". Elle suggère bien la portée politique des escales réalisées par un bâtiment de guerre. Ce navire relâcha en effet dans tous les ports de l’Empire ayant prêté allégeance au général de Gaulle afin d’y matérialiser la souveraineté de la France Libre.

Enfin des encarts de textes, allant d’une présentation générale à l’exposé d’un point particulier, permettent une mise en perspective des documents iconographiques du dossier. Pour continuer à présenter l’exemple des Forces navales françaises libres, Sébastien Albertelli souligne d’abord la modestie de cette marine française libre. Il démontre ensuite que, malgré leur faible nombre, les navires français ont largement contribué à la bataille de l’Atlantique. Suivant la problématique générale de l’ouvrage, l’auteur rappelle enfin la rivalité et les affrontements entre l’amiral Muselier, commandant les FNFL et le général de Gaulle. Pour mieux souligner la portée politique du différend, il insiste sur leurs conceptions divergentes quant à l’avenir de la France libre et met ainsi en lumière l’antagonisme de leurs projets.

L’ambition de cet ouvrage n’est pas de renouveler notre connaissance de la France Libre, mais d’en présenter les grandes lignes sous une forme originale. L’option de l’atlas s’avère être une vraie réussite à cet égard. Les cartes qui le composent y contribuent très largement par leur choix pertinent et leur réalisation soignée. Les textes s’appuient, outre la compétence de Sébastien Albertelli, sur la bibliographie la plus récente. Ainsi, ce petit livre possède de nombreuses qualités scientifiques, pédagogiques et didactiques, qui le rendront très utile aux lecteurs curieux… et aux chercheurs !