Interroger la "société de consommation" dans laquelle nous vivons semble indispensable dans un contexte de crise économique et de débat environnemental. C’est nécessaire, mais c’est aussi problématique puisque la consommation fait partie de nos "identités sociales et culturelles actuelles". Il n’existe de plus ni une seule manière de consommer ni une seule théorie expliquant ces phénomènes.

Le dernier numéro de la revue Sociologies pratiques cherche ainsi à analyser les mécanismes et les comportements des acteurs dans une approche compréhensive étudiant les systèmes mais aussi les dynamiques économiques, politiques et sociales.


La machine à pain : pratique sociale


La consommation est avant tout une pratique sociale, c’est-à-dire socialement et culturellement organisée. La consommation évolue au cours du temps : aujourd’hui, l’idée de "faire soi-même" est à la mode, comme l’illustre l’explosion de l’achat de machines à pain depuis quelques années. Comment expliquer ce phénomène d’autoproduction ? Cet appareil est devenu un "objet emblématique d’une individualisation de la consommation"   . Les personnes interrogées dans cette enquête insistent sur l’importance de pouvoir contrôler les ingrédients du pain, dans un souci sanitaire ou environnemental et dans une "défiance vis-à-vis des produits ordinaires offerts à la consommation"   . Faire son propre pain comme faire du bricolage ou du tricot apporte une valeur ajoutée par rapport à un simple achat de produit fini.

Caroline de Montéty   insiste sur le fait que "les phénomènes d’autoproduction apparaissent ainsi, à l’instar de la consommation, comme des "analyseurs de la société" ; ils offrent l’occasion de questionner le rapport entre le statut des biens de consommation, la façon dont les acteurs sociaux les investissent et les dynamiques sociales à l’œuvre"   . En effet, l’autoproduction n’est en fait qu’une autre forme de consommation, acheter les produits non transformés et s’occuper ensuite, soit de les cuisiner, soit de les monter (en ce qui concerne le bricolage).

Boycott et buycott : pratique politique

Il existe également un aspect politique de la consommation, sa forme "engagée" et "écocitoyenne" c’est-à-dire "un acte de consommation, soit d’achat, le buycott, soit de refus d’achat, le boycott, avec une finalité autre qu’exclusivement économique et liée à un bien collectif social ou environnemental"   . Selon Jean-Paul Bozonnet   , ces pratiques illustrent une certaine forme du libéralisme culturel et reposent sur des racines sociétales fondant la "légitimité de l’action individuelle". Consommer peut donc aussi être un acte politique : refuser d’acheter des produits fabriqués dans de mauvaises conditions de travail ou au contraire favoriser l’achat de produits issus du commerce équitable par exemple.

Pour cette étude, Jean-Paul Bozonnet s’est appuyé sur l’European Social Survey 2002-2003, enquête sur les pratiques économiques, sociales ou politiques des Européens, et il montre que ces formes d’écocitoyenneté, développées surtout dans les années 1970, sont propres au "libéralisme culturel des classes moyennes tertiaires". Près de 25 % des Européens ont buycotté des produits pour des raisons politiques, morales ou environnementales et 17% en ont boycotté. Ces résultats, moyennés au niveau européen, reposent sur des comportements très différents selon les cultures politiques nationales et dépendent de nombreux critères socio-culturels   . Ils montrent ainsi que le boycott et le buycott sont des pratiques appartenant principalement au répertoire d’action politique des classes moyennes tertiaires et éduquées d’Europe du Nord et de l’Ouest.


D’autres pratiques de consommation sont étudiées dans ce dossier, notamment en ce qui concerne la consommation sur Internet, regroupant les différentes approches de la consommation qui ont été développées par les sciences sociales : l’analyse des "déterminants sociaux et des logiques identitaires", illustrée par la sociologie de Bourdieu, l’analyse "critique" et l’analyse "compréhensive". Une "sociologie de la consommation" est mise en œuvre dans ce dossier pour saisir ces phénomènes contemporains qui touchent tous les acteurs sociaux

 

* "La consommation (tout) contre la société ?", Sociologies pratiques, n°20, 2010.

 

A lire aussi sur nonfiction.fr :

- Edwin Zaccaï, Isabell Haynes, La société de consommation face aux défis écologiques, par Nicole Mathieu.