Morceaux choisis pour rendre intelligible le lien entre consommation et ménagement de la planète. Malgré quelques lacunes, cet ouvrage peut être d’une grande utilité dans un enseignement en sciences sociales et sciences de l’environnement.
 

Comme l’indique son titre et l’avant propos d’Edwin Zaccaï, l’objectif de l’ouvrage est de "comprendre l’évolution des sociétés de consommation" dont l’essor s’est imposé dans de nombreuses régions du monde comme une réalité ou un "horizon à atteindre" face aux critiques de l’écologie politique en termes de gaspillage des ressources naturelles, d’occupation et de transformation des espaces, mais aussi d’accroissement des inégalités. A travers ce dossier de La Documentation française, il s’agirait donc de rendre intelligibles à tout lecteur - averti ou non averti- les défis à relever pour que nos modes de production et « modes de consommation » se modifient au point de mériter les qualificatifs de durable ou de soutenable.

Objectif d’autant plus alléchant que, sur ces questions, le besoin se fait pressant de disposer d’un outil permettant de passer du discours circulant, presque banal qui inonde le citoyen ordinaire via les médias et la sphère politique, à une pensée scientifique proprement dite, qui éclaire le sens des termes eux-mêmes comme celui de "société de consommation ", révèle et identifie les interactions entre les processus sociaux, économiques et écologiques en cours, voire qui discute les solutions potentielles pour relever ces "défis" et approcher l’utopie du développement durable   .

Mais, du sans doute à la forme choisie pour atteindre cet objectif, un ensemble de textes courts, souvent extraits d’articles, de livres et de rapports officiels et malgré deux lectures approfondies, l’ouvrage ne brille pas par sa capacité à rendre clair, démonstratif et cohérent le problème posé par son titre.

Pourtant l’idée d’en traiter par le moyen d’une sorte d’anthologie est séduisante car la question est complexe et surtout a suscité un grand nombre de points de vue qui sont loin d’être convergents. D’ailleurs les textes choisis – même s’ils sont de qualité inégale - sont souvent intéressants à étudier en eux-mêmes d’autant plus que certains d’entre eux, peu connus, ont fait l’objet d’une traduction par Elisabeth Lamothe qui les rend accessibles au lecteur peu familier de la littérature anglophone. Aussi, même si on aurait aimé trouver parmi ces extraits certains auteurs ou revues qui ont traité du développement durable en particulier sous l’angle de l’interdisciplinarité, on doit reconnaître que ce dossier  constitue un ensemble de matériaux pertinents pour initier un état des lieux de la question et par conséquent pour en faire la base d’un enseignement de recherche comme d’un travail d’éducation civique.

Mais, en dépit de la qualité intrinsèque de la majorité de ces choix, ni l’avant propos, ni l’organisation d’ensemble des chapitres, ni les intertitres de la rédaction ne parviennent à atténuer l’impression d’ensemble, celle de fragments d’un puzzle difficile à reconstituer, n’apportant pas aisément la "culture scientifique" nécessaire pour comprendre comment affronter le tournant écologique et les défis à relever, pour atteindre ce but : œuvrer pour le changement social par la vulgarisation de savoirs scientifiques.

 

 

L’avant-propos signé de Edwin Zaccaï enchaîne un ensemble de paragraphes assez généraux qui ne constitue ni une vraie introduction à l’ouvrage, ni la problématique que l’on attendrait pour organiser la lecture des textes qui vont suivre voire même la raison de l’ordre des chapitres.  Introduit par l’idée que les systèmes de production et de consommation "se sont complètement éloignés des équilibres naturels (sic) qui ont précédé ces sociétés", le premier paragraphe intitulé "Critiques écologiques" avance, de façon assez confuse et sans donner de références précises, les critiques émanant de la "pensée écologique" et des "travaux d’économistes et de sociologues" dénonçant le non respect des équilibres naturels et "les inégalités entre sociétés de consommation et le reste du monde". Un deuxième le suit : "Modernisation écologique" qui propose une définition très développementiste et économiciste du développement durable et "l’intégration de critères écologiques dans les règles et prix économiques" pour concilier préservation des emplois et des ressources naturelles avec "les gains de productivité davantage en termes économiques qu’en termes humains". Le point 3 – sans transition avec le précédent – énumère "Des tendances favorables à la protection de l’environnement" et les orientations à prendre dans les 4 types d’activité (consommation alimentaire, logement, transports individuels et tourisme) pour réduire les "impacts sur l’environnement" des ménages européens. Le dernier paragraphe pose, enfin, un problème : "Comprendre l’évolution de la société de consommation", sans toutefois en fonder vraiment les termes méthodologiques et conceptuels sur lesquels appuyer une conclusion peu étayée : deux approches sont à développer pour faire "face aux défis écologiques", réduire les impacts environnementaux mesurables et observer les évolutions sociétales en cours.

Au lecteur donc de se débrouiller avec ce discours consensuel – à la limite du banal – sans clé pour le débrouiller, sans aspérité pour affronter les difficultés de conceptualisation et d’observation du changement social que le sujet implique.

Un glossaire utile presque pour tous les mots, en particulier celui d’empreinte écologique, est de mon point de vue contestable sur celui de "durabilité" ne mettant l’accent que sur la composante environnementale du développement durable et sur la notion de besoins versus économie. L’absence de toute dimension sociale dans ce mot comme d’ailleurs dans l’ensemble du glossaire est révélatrice du fait que l’axe central de l’ouvrage est plus la question environnementale que celle du développement soutenable ou acceptable socialement. Les références de la bibliographie complémentaire confirment cette impression d’insuffisance de l’état de l’art.

 

 

Une telle abondance de textes – ils ne dépassent que rarement les deux pages – rend, le lecteur le comprendra, un compte rendu exhaustif impraticable. De plus, dans la mesure où les présentations de chaque partie n’aident à mettre en évidence ni une logique interne à chacune d’elle, ni un fil directeur pour l’ensemble de l’ouvrage, je me contenterai donc de faire une lecture transversale et personnelle de ces textes en choisissant ceux qui me paraissent les plus intéressants comme jalons d’un questionnement en filigrane dans cet ouvrage.

 

Que met-on sous le vocable de « La société de consommation » ?

 

Le texte de Benoît Heibrunn (2005) qui ouvre le chapitre "Un essor sans précédent de la consommation" y apporte un début de réponse par une réflexion intéressante sur l’ambiguïté du terme de consommation et sur l’évolution de son sens au fil du temps. D’une image originelle négative – consumer est détruire – dont le sens a mis longtemps à s’effacer, il est devenu positif en passant du langage théologique au langage économique, tandis que le terme de "société de consommation " apparaissait en 1945. Il faut passer très vite sur le texte suivant de Dominique Desjeux tiré de son « Que sais-je » La consommation (2006) car les quatre éléments qu’il donne comme constitutifs de la consommation de masse (la voiture, les loisirs, le logement urbain et l’électroménager, les grandes surfaces) paraissent issus d’une sociologie de l’évidence plus que de l’analyse conceptuelle. C’est donc chez Jean Baudrillard (extrait de La société de consommation, 1974), placé dans le chapitre "Approches conceptuelles et critiques" et auquel celui de Heibrunn fait écho, que l’on trouve le maître mot qui la définit : le gaspillage qu’engendre "la mystique du PNB" et qui repose sur l’idée que "toute chose produite est positive, que toute chose mesurable est positive". C’est donc à partir de cet ouvrage qu’est posé le problème de la contradiction entre le "l’irrésistible avènement de l’abondance" et les risques du "gaspillage lié au spectre de la rareté " contradiction qui n’est pas reconnue en tant que telle au sein de chaque individu, groupe ou sociétés actuelles. Jean Baudrillard considère que cette dysfonction devrait être l’objet même de l’analyse sociologique.

A partir de ces textes on comprend la relation établie entre société de consommation et gaspillage ("l’abondance n’a-t-elle au fond de sens que le gaspillage" Baudrillard, p.41), et donc la nécessité de questionner la croissance et les modes de consommation des catégories privilégiées (Hervé Kempf extrait de Comment les riches détruisent la planète, p. 41), voire de préconiser comme Serge Latouche une "société de décroissance". Baudrillard dénonçait déjà les dérives de notre société reposant sur "la foi inébranlable des économistes orthodoxes" en la capacité de la science pour résoudre tous les problèmes et en particulier "la substituabilité illimitée de la nature par l’artifice » (Serge Latouche extrait p. 43). On comprend aussi que face aux inégalités et aux injustices que produit cette société de consommation (cette « anti-société malade de sa richesse » selon l’expression de Latouche) un nouveau moralisme émerge où la « simplicité volontaire » (Latouche), la « frugalité » (Dobré), "la valeur d’ "être" " (Baudrillard), la "consommation politique" (Desjeux, p. 49) deviennent les maître-mots qui qualifient les "modes de vie". Même si, comme le souligne Daniel Miller (extrait d’un texte de 2001 p. 46-48) l’antimatérialisme (l’écologisme) risque de faire l’impasse sur la pauvreté et le "manque de biens" des "populations appauvries" qui vivent des forêts dont il est le défenseur, on peut voir clairement apparaître dans ces textes les fondements de la "critique" au sens propre de la "société de consommation.

Quel lien entre la « sortie de l’économie de la consommation » et la « crise environnementale » proprement dite ?

 

Pour éclaircir ce lien n’est-il pas nécessaire de définir – comme on a tenté de le faire pour la société de consommation – ce que sont les problèmes environnementaux avant d’établir la liaison entre ces problèmes – divers et complexes – et les modes de vie et pratiques de consommation ?

Or dans l’ouvrage, malgré les termes récurrents d'« impacts écologiques préoccupants", "défis environnementaux à relever d’urgence", tout se passe comme si il y avait deux "sources" de connaissance dissociées, l’une sur les "modes de consommation" et la société de consommation et l’autre environnementale constituée par les problèmes du "changement climatique", de la "biodiversité et des ressources renouvelables", de l’ "eau" et de la "qualité de l’air" des "déchets et produits chimiques dangereux" (Cf. extrait Les perspectives de l’environnement de l’OCDE à l’horizon 2030, p 21) sans qu’aucune articulation ne soit établie entre ces deux champs de connaissance. On peut même dire que l’on passe directement de la notion d’ "impact" à la formulation des politiques à construire pour limiter ces impacts. Je n’ai trouvé qu’un seul texte - celui excellent de J.M Jancovici "Que pouvons nous émettre comme C02 si nous voulons lutter efficacement contre le réchauffement climatique ?" - qui dénonce ce passage aveugle entre le diagnostic environnemental et ce que cela implique de changement social (p.23-27)   .

Alors que la question centrale est bien d’articuler une nouvelle sociologie de la consommation contemporaine avec l’exploration de l’effectivité des pratiques sociales sur les problèmes environnementaux, ce qui implique nécessairement des approches globales tenant compte de la complexité et des processus, les textes rassemblés ne facilitent pas la compréhension des "relations". Les approches sectorielles du développement durable (l’alimentation, le logement, les transports, le tourisme, l’entreprise…) ne font que conforter ces approches dissociées, qui s’éloignent de l’identification des processus. Les textes issus d’institutions politiques (PNUE, OCDE, Commission européenne, Grenelle de l’environnement…) ne font que renforcer cette impression que l'on établit des diagnostics et qu’on légifère sans véritablement connaître le système de relations entre le social, l’environnemental et l’économique sur lequel on est supposé agir. Seul le texte d’Olivier Godard – bien qu’il constitue un plaidoyer pour les "instruments économiques" (p. 104-105) peut-être considéré comme une approche un peu critique de ces "Jalons politiques", le chapitre final écrit dans un langage "convenu" et politiquement correct, qui ne conclut en rien l’ensemble de l’ouvrage.

 

Malgré ses lacunes et surtout le peu de cohérence de l’argumentaire d’ensemble, ce dossier de la documentation française peut être d’une grande utilité dans un enseignement en sciences sociales et sciences de l’environnement ; ceci à condition que le maître du jeu, lui-même très averti et s’étant forgé un point de vue distancié, le prenne comme un objet de débat, comme un moyen critique mettant au jour les pistes de recherche insuffisamment explorées et suscitant des démarches collectives voire interdisciplinaires pour penser ce que le développement durable change dans le rapport du politique au scientifique