Qu’est-ce qui distingue Francisco Goya dans l’histoire de la peinture ? Il fut à la fois un penseur, le peintre officiel de la cour royale, un imprimeur indépendant et un dessinateur remarquable. Il pouvait à la fois s’assujettir aux volontés royales de Charles III de Bourbon, et créer des œuvres au ton singulièrement satirique et critique vis-à-vis de la société espagnole- comme Les Désastres de la guerre, ce tableau de 1810 qui dépeignait de manière grotesque l’horreur de la guerre d’indépendance espagnole.

Paradoxalement, Goya ne bouleversa pas la peinture moderne avant de devenir un vieil homme sourd, aigri et atteint d’encéphalite, lorsqu’il peignit à 72 ans les murs de sa maison en 14 tableaux qui ne devaient jamais être exposés publiquement. Francisco Goya était un irrévérencieux, profondément révolté par la violence et la supersition de son temps. Pour John Sevigny, ses 'Peintures noires', de Duel à coups de gourdin à Saturne dévorant ses enfants, plaident pour un art indépendant et débarrasé du mécénat. Ce système qui incite aujourd’hui un mécéne aussi influent que Charles Saatchi à promouvoir des artistes comme Damien Hirst, Jeff Koons, Richard Prince, et Stella Vine. Le Chien serait ainsi le plus "unique, moderne et remarquable" de cette série de 'Peintures noires'. C’est une œuvre étrange, très colorée, qui ressemble presque à une bande dessinée ou à un Miró avant l’heure. C’est pourtant un tableau sérieux qui présente un chien quasi submergé par une vague couleur sang,  sous un ciel furieusement jaune. Ce que Goya anticipait là, c’était l’attention à la surface aux dépens de la délimitation claire d'un sujet identifiable. La surface plate devenait sous son pinceau un attribut positif, qui ne laissait aucune place à l’illusion de la profondeur. Ce tableau du Chien incarne aussi le mythe sisyphien éminemment moderne d’une lutte contre le déferlement infini des vagues.

L’œuvre de Goya est donc empreinte de modernité pour John Sevigny précisément parce qu’elle parvient à traduire une pensée autonome. Elle rend moins absurde le mythe du peintre solitaire errant dans des promenades sans fin avec son carnet de dessins. L’originalité du peintre espagnol se retouve aussi bien dans ses portraits formels des membres de la cour qui signaient ses cachets que dans ses tableaux de sorcières, toreadors ou prostituées. Il y a là matière à réflexion pour les artistes et mécènes d’aujourd’hui qui ne connaissent pas la saveur de la création libre et désintéressée



* John Sevigny, 'On Francisco Goya', Guernica, 18 décembre 2009.