Le Royaume-Uni est devenu le modèle type de tous les contempteurs de la société de surveillance et de ses dérives. Dans un article récent du magazine anglais Reason.com, le journaliste Brendan O’Neill constate que l’imagination de ses compatriotes semble illimitée dans ce domaine. Après l’invasion de la CCTV   (20% des caméras de surveillance utilisés dans le monde se trouveraient au Royaume-Uni), l’utilisation du Mosquito, un système de diffusion de sons extrêmement aigus destinés à disperser des groupes de jeunes rassemblés dans la rue   , l’usage par la police de l’ouest de l’Angleterre de lampes halogènes surpuissantes pour aveugler les badauds indociles, et la première arrestation d’un cambrioleur de voiture à Liverpool au moyen d’un drone volant, voici que le Don Giovanni de Mozart devient un nouveau moyen de répression.


En effet, la West Park School, située dans les Midlands anglais, à Derby, punirait ses élèves dissipés en les obligeant à écouter deux heures de musique classique. Cela calmerait leurs ardeurs et préviendrait toute vélléité de récidive. Le nombre d’élèves indisciplinés aurait chuté de 60% depuis l’instauration de ces "colles" d’un genre bien particulier. L'instrumentalisation de nos joyaux culturels, loin d’élever les âmes de ces élèves, fonctionnerait donc comme un moyen de dissuasion efficace. La société de transports du Tyne and Wear avait déjà recouru aux mêmes méthodes au début des années 2000 en jouant à plein volume des morceaux de Bach ou Vivaldi pour faire fuir des jeunes gens considérés comme nuisibles à la tranquillité des voyageurs. Elle constata meme que les morceaux les plus efficaces pour remplir ce dessein furent la Symphonie pastorale de Beethoven, la Symphonie No.2 de Rachmaninov et le Concerto pour piano No.2 de Chostakovitch.


Nous ne sommes pas loin, s’inquiète Brendan O’Neill, des visions cauchemardesques d’Orange Mécanique- décrites par Anthony Burgess en 1962 et portées à l'écran par Stanley Kubrick en 1971- où le turbulent Alex, drogué et sevré de scènes de films violents, est forcé d'écouter la musique de Beethoven dans le même temps. Il finit par ne plus supporter la moindre note de ces morceaux et par cultiver une vive répulsion vis-à-vis d'eux.


Ainsi, au-delà de la défiance vis-à-vis des jeunes générations que ces méthodes supposent chez les autorités anglaises, Brendan O’Neill souligne la conception désespérante qu’elles se font des œuvres majeures de patrimoine culturel de l'humanité


 

* Brendan O'Neill, 'Weaponizing Mozart. How Britain is using classical music as a form of social control', Reason.com, 24 février 2010.

 

A lire sur nonfiction.fr :

- Un monde sous "sousveillance", par Mathieu Gaulène.