Décédé il y a peu, J.-F. Bizot livre un vademecum kaléidoscopique des années "new wave" dont il reste l’un des symboles. Furieusement… actuel.
Fondateur de Radio Nova et du magazine Actuel, héraut de la contre-culture, Jean-François Bizot nous a offert un dernier cadeau avant de partir le 8 septembre dernier : la Bible des années post-punk. Le testament s’intitule La New Wave. Il aurait très bien pu s’appeler La Cold Wave ou La No Wave. Car après tout, l’essentiel était ailleurs : montrer ce trop plein, cet engorgement de films, images, musiques, objets, posters, mode, photos, bandes dessinées, romans emmagasinés pendant trois décennies. Cette culture du quotidien longtemps snobée qui connaît enfin son heure de gloire au début des années 1980.
Quelle belle revanche des méprisés ! La bande dessinée, les polars, les comics, la science-fiction, le vulgaire, le kitsch, le mauvais goût tiennent enfin leur place. Sans complexe. Les années punks étaient celles du pessimisme, de la colère et de l’autodestruction ? Les années new-wave seront celles de la créativité, du futile et du fric. Au placard les "anti-tout", les babas cool mous et autres dirty punks. Place à la vogue du clean, aux dandies et au vintage chic. Exit les idéaux, il s’agit de posséder. Les yuppies triomphent, "j’ai, donc je suis". Culte de l’apparence, pensée-slogan, strass et paillettes. Il faut "survivre et être fort", disait Père Ubu. L’enthousiasme des fifties et les sapes des sixties reviennent au goût du jour. Image positive d’une jeunesse solide et dynamique. Une mode rétro qui, loin de sentir la poussière, impulse un élan nouveau. Cette nostalgie stimulante va nourrir la nouvelle vague, avec l’idée qu’il faut faire quelque chose de tout ce qu’on a vu. Savoureux recyclage du passé, où vieux et neuf font bon ménage.
Entre 1978 et 1985, la vague n’a épargné aucun domaine : art, design, architecture, mode, littérature, musique, cinéma, technologie. Le mouvement part dans tous les sens, repeignant tout à sa sauce. Les médias sont largués. Ça tombe bien, la new-wave va inventer les siens : Actuel et Façade en France, The Face en Angleterre, Tip en Allemagne, ETC en Suède, Frigidaire en Italie, etc.
C’est cette déferlante sur la planète que racontent Bizot et ses disciples (Mariel Primois et Jean Rouzaud), par petites touches, à coups d’anecdotes et de photos-légendes. Une mosaïque saisissante de 288 pages, mille illustrations et une centaine d’articles d’hier et aujourd’hui. Du studio futuriste de Kraftwerk à l’androgyne Klaus Nomi, du design technologico-industriel au post-moderne, des pulls marin de Jean-Paul Gaultier aux costumes "Zoot", de Prince à Madonna, du body-building aux Guerrilla girls, du synthé à la boîte à rythmes, de Depeche Mode aux B-52’s, du walkman aux rollers. C’est Jack Lang qui fait sensation à l’Assemblée en 1981 avec sa veste Mugler à col Mao. C’est l’invention du voir et être vu au Palace. C’est Joy Division qui devient New Order.
L’ouvrage ne se veut ni pédagogue, ni encyclopédique. Il aspire juste à raconter ceux qui ont fait cette épopée, à laisser une trace de cette culture boule à facettes. Il nous rappelle surtout que derrière la grosse vague s’en cachaient des dizaines de petites, autant de courants culturels et sociaux qui ont traversé ces années : night-clubbers, accros de la télé, androgynes ; looks gothique, rétro, trash, glamour funky, post-communiste ; jap attitude, culte du corps, …
À l’arrivée, La New Wave n’a rien d’une vulgaire compilation et tout d’une grande balade dans cette époque déjantée et politiquement incorrecte, "laboratoire de la décennie à venir, celle de Reagan et du rap, de Mitterrand et du sida"(Paul Rambali).
Bizot disait qu’"aucun livre [n’avait] embrassé cette mer agitée". C’est chose faite. Et aujourd’hui plus que jamais, on en ressent les remous.
* Cet article a été rédigé par Marine Turchi, journaliste à Mediapart.
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