Par le prisme du genre, Vincent Pinel entraîne le lecteur au fil d’un siècle de passions et de créativité cinématographiques, dans un bel ouvrage rythmé par de nombreuses photographies.

L’avant-propos permet à Vincent Pinel de retracer brièvement la genèse historique de la notion de genre : valorisé par un système de production soucieux d’asseoir son autorité, le genre connaît son apogée dans les années 1930-1950, à l’âge d’or des Majors américaines. Si son importance s’émousse au fil des ans, le genre continue néanmoins d’orienter le spectateur, éclairant son choix au fil des salles obscures. Malgré cette incontestable utilité, le genre attise, plus particulièrement en France, de nombreuses polémiques. Ainsi, le concept se dessine au milieu d’une nébuleuse sémantique et semble se dérober à toute définition univoque. Cette indécision résulte d’abord d’une pluralité des genres, et d’une diversité de sources, toutes deux évoquées par Pinel.
Le caractère fuyant du genre a également une autre source, effleurée rapidement par l’auteur : "parent pauvre"    de la critique française, le discours générique suscite ordinairement un mouvement de réticence, attirant sur lui la foudre des hérauts du cinéma d’auteur. Ainsi, pour Barthélemy Amengual, le cinéma de genre enfermerait le spectateur dans un conformisme écervelé, le mettant sur des "rails"   au lieu de l’éclairer. En outre, le genre étranglerait le cinéma dans le carcan des contraintes extrinsèques et mercantiles, éludant la créativité irréductible aux normes commerciales, l’art indifférent aux lois du marché.
Réfutant cette hypothèse, Pinel vise à dépasser ce clivage et cherche à restituer au fil de son ouvrage un nouvel équilibre entre création singulière et artefact industriel. Le titre de l’ouvrage révèle son ambition : réhabiliter le genre, en exposant son intérêt et sa richesse. Les nombreux ensembles sériés au fil de l’ouvrage (genres, mouvements, mais également écoles, styles…) contribuent à mettre en valeur l’influence structurelle de chacun, en réfutant la thèse d’une hégémonie débilitante. Vincent Pinel s’attache ainsi à brosser le portrait dynamique du cinéma à travers le XXe siècle, sans tenir compte des frontières géographiques – malgré une prépondérance des cinémas américain et européen (reconnue du reste par l’auteur lui-même).

A travers des entrées organisées par ordre alphabétique, Pinel laisse le lecteur libre de déambuler au sein d’une grande somme de connaissances. Les nombreuses photographies permettent de trancher avec l’habituelle aridité encyclopédique, rappelant que le cinéma se décline d’abord en images. Elles permettent par ailleurs d’ancrer les propos dans une perspective visuelle plus vivante et accentuent l’impression de dynamisme émanant du texte. De même, l’importance accordée aux réalisateurs et aux œuvres montre que les étiquettes comptent moins que les hommes, leur inventivité singulière et inaliénable.
Hormis quelques exceptions (telles que le burlesque, par exemple, méritant sans doute aux yeux de l’auteur une approche plus approfondie), chaque catégorie fait l’objet d’une double page et reprend une structure récurrente : "Éléments historiques", "Caractéristiques" esquissant les partis-pris esthétiques, "Hommes et œuvres" soumettant au lecteur une liste des films les plus représentatif et une bibliographie succincte, dont on peut déplorer qu’elle ne cite aucun ouvrage récent.
Agréable à lire, riche en anecdotes présentant le cinéma comme une aventure humaine exaltante, l’ouvrage de Pinel souffre toutefois d’une indubitable carence théorique. Ainsi, l’organisation alphabétique contribue à envisager chaque entrée comme une entité forclose dans ses propres limites et tend à minorer les effets d’échos et de passerelles, signalés uniquement par une flèche.
D’autre part, parce qu’il ne définit préalablement aucun des termes utilisés, l’auteur perpétue le trouble sémantique signalé en avant-propos. Ainsi, Pinel multiplie les ensembles (genres, mouvements, écoles mais aussi catégories, styles, traitements…) sans jamais justifier ces appellations, au risque de perdre le lecteur dans un labyrinthe terminologique. A cet égard, l’ensemble "Traitement" n’était peut-être pas indispensable, les partis-pris esthétiques se retrouvant en filigrane des autres catégories choisies par l’auteur. Ainsi, le "film de montage" répertorié sous le vocable de "Traitement" désigne un type de films sous-jacent à d’autres catégories telles que le film documentaire, par exemple, comme le suggère l’auteur lui-même en citant "Nuit et Brouillard".
L’analyse générique vise habituellement à déceler des similitudes dans la pluralité des œuvres : elle recherche donc une typologie reposant sur des critères de caractérisation explicites. Par la différenciation parfois gratuite qu’il opère entre les genres, Pinel se situe aux antipodes de cette finalité et livre au spectateur un portrait dispersif et opaque du genre filmique.

En conclusion, l’auteur répugne visiblement à se plier au "jeu de l’étiquetage"   que suppose l’analyse générique, cette dernière s’attachant en effet à mettre en évidence "une répétition de traits caractéristiques et une variation"   . A cause d’une nomenclature sans doute trop précise, Pinel tend à mettre en valeur la singularité des œuvres, au détriment des traits communs. Si son ouvrage fait montre d’une certaine faiblesse théorique, il saura en revanche séduire les cinéphiles grâce à son élégance et son dynamisme.