Nous avons vu que Dimitri Rogozin, ambassadeur de la Fédération de Russie auprès de l’OTAN, avait un langage diplomatique châtié.

L’affaire d’un éventuel redéploiement d’un système anti-missile américain (connus sous l’acronyme ABM) dans le cadre de l’OTAN, semble continuer à causer d'affolantes frayeurs à Moscou. Fidèle porte-parole de l’humeur du Kremlin et de Dmitri Poutine,  Dimitri Rogozin persiste dans sa ligne diplomatique, en donnant une interview remarquée * à une radio nationale bulgare.

Rappelons que circulent des rumeurs selon lesquelles le gouvernement bulgare pourrait vouloir négocier avec les Etats-Unis du déploiement éventuel d’une partie du dispositif ABM. Chose qui semble avoir outragé Moscou au dernier degré, si l’on en juge par quelques morceaux choisis de M. Dimitri Rogozin :

•    "le projet américain ABM est une forme de colonisation de la Bulgarie par les Etats-Unis"
•    "nous voyons surgir de nouvelles bases militaires américaines dans des pays un peu partout, et de plus en plus près du territoire russe (…) et qui plus est, ce sont des pays qui ont toujours été liés à la Russie par des liens d’amitié et de bon voisinage"
•    "il se pourrait que la Bulgarie prenne part à un complot contre la Russie, qui vise à neutraliser notre souveraineté"
•    "nous voyons que les dirigeants bulgares prennent part à une sorte de plan, sont une sorte de participant muet dans des plans à caractère anti-russe, ce qui aura des conséquences négatives sur nos relations"
•    "La Bulgarie sera toujours le voisin de la Russie, alors que les Etats-Unis sont loin"
•    "Nous souhaitons que le peuple bulgare n’oublie pas le sens et l’histoire de nos relations et ne prenne pas part à quelque chose qui peut mener à une évolution négative de la situation en Europe du Sud-Est"

En lisant ces morceaux choisis, gardons à l’esprit que :

•    La Russie, puis l’Union soviétique, a tenté de "coloniser" la Bulgarie à deux reprises, la deuxième avec succès, et cela a duré de 1945 à 1989.
•     La Russie et l'Abkhazie ont signé mercredi 17 février un accord autorisant Moscou à construire une base militaire sur le sol de la province géorgienne sécessionniste. Moscou a reconnu l'indépendance de l'Abkhazie en août 2008, après avoir écrasé la Géorgie au cours d'un conflit armé de cinq jours dans l'autre province dissidente géorgienne, l'Ossétie du Sud.
•    La doctrine stratégique russe théorise le fait que dans son "étranger proche" se trouvent des pays à souveraineté réduite qui n’ont pas le droit de prendre des décisions qui pourraient intéresser la Russie à un titre ou à un autre, sans son autorisation.
•    La loi sur la Défense, découlant de cette pensée stratégique, dit que le président russe a le droit d’engager les forces armées sans l’autorisation du Conseil de la Fédération. Il peut faire intervenir les troupes en cas "d’attaque contre les forces armées russes à l’étranger", pour "défendre les citoyens russes à l’étranger", "défendre un Etat qui a demandé l’aide de la Russie".
•    La Russie est donc prête à des interventions militaires même si le territoire russe n’est pas menacé.
•    Précisons que la nouvelle doctrine militaire russe stipule aussi que la Russie est en droit de recourir à l’arme nucléaire pour repousser une agression faisant appel aux armes conventionnelles et réserve à la Russie le droit de lancer des guerres préventives et la possibilité d’employer les armes nucléaires même dans un conflit local.

Le Président russe, Dimitri Medvedev, déclarait aux généraux russes en 2009, présentant la nouvelle pensée stratégique russe :  "La guerre peut éclater subitement et devenir tout à fait réelle. Des conflits locaux, larvés que l’on appelle même parfois conflits gelés, peuvent se transformer en véritable conflagration militaire…Un système garanti de dissuasion nucléaire répondant à diverses circonstances militaires et politiques doit être mis en place d’ici 2020."

Le peuple bulgare, ses dirigeants et tous les peuples et dirigeants de tous les pays limitrophes de la Russie devraient, eux, garder à l’esprit qu’ils seront "toujours le voisin de la Russie, alors que les Etats-Unis sont loin". Le peuple géorgien et ses dirigeants s’en souviennent encore…


* en bulgare

 

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