Bien maladroitement, le secrétaire de la Fondation du football entend justifier le geste de Thierry Henry et s’en prend à ceux qui ont osé le critiquer.

"Bah, c’est qu’un jeu quoi ! Y a pas de quoi en faire un plat et d’abord c’est celui qui dit qui y est", voilà résumé en deux phrases, le propos de Pascal Boniface… en essayant de s’adapter à son niveau d’expression. Le grand spécialiste de la "géopolitique du sport", tel qu’il est présenté en quatrième de couverture, a consacré un livre – disons un ensemble de feuillets imprimés recto-verso et reliés entre eux – à défendre et justifier la tricherie d’un joueur de l’équipe de France de football. Ce joueur, Thierry Henry, a clairement contrôlé un ballon avec la main pour faire une passe décisive qui a permis d’envoyer son équipe en Afrique du Sud jouer la Coupe du monde, à la place des adversaires irlandais. Après le but, ce fut l’explosion de joie et certains osèrent qualifier d’immorale cette victoire… Quel mal leur en prit !

 

Un florilège de critiques… contre les critiques ! 

Plutôt que de répondre aux critiques exprimées, l’auteur qui est aussi secrétaire de la Fondation du football, récuse les reproches par des attaques ad hominem des plus viles. Dès l’introduction, il annonce   au sujet de cette tricherie : "Ce geste a été condamné par des personnalités dont pourtant chaque instant de la vie n’est pas exemplaire, qui ne sont pas toujours à la pointe de l’arbitrage des élégances, dont la pureté morale [sic] comporte des zones d’ombre". Voilà qui a le mérite de la clarté, le lecteur saura à quoi s’en tenir. Et attention, à la Fondation du football, on s’y connaît en "valeurs fondamentales" puisque selon la page dédiée, la mission de cette fondation "est de promouvoir les comportements responsables, de renforcer le lien social en s’appuyant sur les valeurs fondamentales du football et de donner au football les moyens de jouer pleinement son rôle social, éducatif et citoyen.". Aussi, la fin de l’introduction est claire, il s’agira d’attaquer tous ceux qui, après cette qualification, ne sont que les "nombreux postulants au mondial de la connerie"   .

Quels sont ces postulants ? Et bien Boniface nous gratifie d’abord d’une fine analyse des émissions de Christophe Dechavanne   pour conclure qu’il n’avait pas les galons nécessaires pour critiquer son héros. Au suivant ! Concernant Jacques Attali (en ouverture du chapitre IV), si l’auteur reconnaît pourtant en lui "un peu le Thierry Henry ou le Zidane de la pensée"   , on apprend que ses tarifs de conférenciers sont trop élevés et qu’il s’est livré au plagiat. Exit donc les critiques de ce "Zidane de la pensée". Et Finkielkraut alors, qui ouvre lui le chapitre suivant ? Et bien c’est "un grand philosophe, un très grand même", mais ses propos de 2005 dans le quotidien israélien Haaretz sur "l’équipe black, black, black" le disqualifient à jamais.

Passez votre chemin si vous cherchez des arguments. Le lecteur a certes le droit à quelques pages où l’auteur se demande pourquoi personne ne s’en prend plutôt à Johnny Hallyday qui "a obtenu des passe-droits pour adopter un enfant"   ou à Gérard Depardieu dont le comportement "n’a rien d’un modèle pour l’édification des foules"   … et c’est à peu près tout. On est bien dans le registre de l’émotion et ce Zola de la baballe explique à l’avant-dernière page : "j’ai écrit ce cri du cœur". Et c’est bien connu, le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas… du tout !

 

Inversion et perversion

Parfois, on croit distinguer des lueurs de lucidité. Ainsi, au sujet des salaires et autres primes indécentes dont bénéficient les joueurs professionnels, on peut lire : "Il faut s’attaquer aux causes (société inégalitaire) pas aux effets (footballeurs profitant de la loi du marché)"   . Malheureusement, on ne trouve pas la moindre trace du début d’une ébauche de réflexion sur le sport et son rôle dans nos sociétés. Boniface connaît-il seulement les écrits d’Adorno, par exemple, sur le sport et la culture de masse ? Non, Adorno n’est pas un footballeur. Le philosophe et sociologue allemand écrivait par exemple, "Chez [le spectateur], une curiosité crûment contemplative remplace les dernières traces de spontanéité. La culture de masse ne veut toutefois pas transformer ses consommateurs en sportifs mais en spectateurs habitués à hurler dans les tribunes". Et le cri du cœur de Boniface n’est pas bien différent du cri du supporteur du haut sa tribune. La revue Quel Sport ?, dont nonfiction.fr a pu se faire l’écho, aurait pu apporter de précieuses lectures à l’auteur   .

Dans une remarquable inversion des rôles, l’auteur place le tricheur dans la position de la victime. Il est question de "procès de Moscou"   et même d’une "fureur épuratrice"   . Car les footballeurs comme Thierry Henry sont des héros, "ils récupèrent la majeure partie des sommes qu’ils génèrent dans une sorte de socialisme élitiste. Ils ne délocalisent pas. Ils ne créent pas de bulles financières dangereuses pour les grands équilibres économiques. Ils ne génèrent pas du chômage mais des emplois". Le degré zéro de l’analyse socio-économique ! Rien sur les 120 millions dépensés par TF1 pour la retransmission des 64 matchs, et le manque à gagner en cas de non qualification, rien sur l’esclavage moderne dont dépend ce système, rien sur la violence, rien sur l’homophobie… Et même si Boniface voulait s’en tenir au niveau zéro des commentaires sur les faits, pourquoi ne pas traiter du célèbre coup de boule de Zidane ?

 

Le "nous" et le "mou"

C’est dans la dernière partie du ‘livre’ qu’on comprend ce qui motive l’auteur : le chauvinisme et le souci de la "fierté nationale"   . C’est d’ailleurs stipulé sur la quatrième de couverture : il s’agit de montrer comment malgré la main de Thierry Henry, on pouvait "encore être fier d’être français".

A vrai dire, Boniface présente un cas intéressant de fan de football. Il s’identifie entièrement à l’équipe avec ce "nous" si caractéristique. En évoquant la main litigieuse, il formule maladroitement cette ‘phrase’ : "Qui nous qualifie pour la Coupe du monde de football, mais qui nous expédie aussi dans l’enfer du déshonneur éternel"   . Plein d’emphase avec son héros, il écrit que ce dernier a été  "un bouc émissaire, au sens biblique du terme"   . Il se permet d’ailleurs quelques familiarités et après avoir cité le chapitre XVI du Lévitique, il conclut ainsi : "Titi a été symboliquement égorgé pour laver les péchés des autres"   .

Ce "nous", ou sa variante dans "on a gaaaagné !", c’est l’ensemble des spectateurs admirant les milliardaires qui jouent à la baballe. Selon Boniface, ce n’est que par jalousie envers des gens mieux payés qu’eux que certains intellectuels critiquent les joueurs professionnels   . C’est là un des nombreux exemples de la pensée molle qui anime ce "cri du cœur".
Et le style ? Et bien, c’est tout simplement mal écrit, avec de surcroît un peu de langage SMS, sans doute pour "faire jeune" : "K7" pour cassette   , "Titi" pour Thierry Henry etc.

Dernière question, comment une maison d’édition peut-elle publier ceci (et le vendre 9 €) ?  Et bien sur son site, l’éditeur Yves Derai s’en explique : c’est une maison qui "souscrit à une exigence, celle de l’opportunité". Il y a avait là pourtant une bonne opportunité… d’économiser un peu de papier !