Renaud Dehousse analyse les conséquences du Traité de Lisbonne sur la politique étrangère européenne.

Nonfiction.fr- Barack Obama a renoncé au Sommet Union européenne-Etats-Unis qui devait se tenir à Madrid, en mai, prochain. Est-ce un revers pour l’Europe de Lisbonne ?

Renaud Dehousse- Non, à mon sens, cela traduit simplement le fait que, pour Barack Obama, l’Europe n’est pas une priorité. Barack Obama est une personnalité atypique. Il est moins le produit de l’Amérique traditionnelle que ses prédécesseurs. Il est l’incarnation d’un certain multiculturalisme. Cela le dispose à mieux comprendre l’Europe. Et pourtant, dans son discours inaugural, l’Europe n’apparaissait pas. L’Europe n’est pas placée très haut dans son agenda. En décembre dernier, à Copenhague, lors du Sommet de l’ONU sur le climat, Obama a cherché avant tout à négocier avec la Chine.

Nonfiction.fr-
Un responsable américain a pointé du doigt la confusion qui règne dans la représentation extérieure de l’Europe. Est-ce que le Traité de Lisbonne va permettre à l’UE de disposer enfin d’un numéro de téléphone unique ?

Renaud Dehousse- Le traité de Lisbonne crée une certaine confusion. L’Europe a plusieurs visages ; celui du Président du Conseil européen, Hermann Von Rompuy, du Haut représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton, de la Présidence tournante et enfin, celui du Président de la Commission européenne, José-Manuel Barroso. Cependant, Catherine Ashton dispose d’une certaine autorité ayant en main le budget de la Commission européenne.

Nonfiction.fr- Dans votre ouvrage, vous écrivez que "la création d’un poste de Haut représentant traduit les réticences des Etats à transférer des pouvoirs à des institutions autonomes dans des domaines sensibles". Catherine Ashton aura-t-elle plus de latitude que celle dont disposait le haut représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), Javier Solana ?

Renaud Dehousse- Le problème du poste de Javier Solana est qu’il gravitait hors de l’orbite communautaire. L’objectif du Traité a été de rapprocher le haut représentant de la Commission européenne. Mais le texte ne va pas au-delà sur la voie de l’intégration. Les réticences que j’ai soulignées perdurent...Pour satisfaire les Britanniques, l’appellation « Ministre des affaires étrangères » a été supprimée. Par ailleurs, la mise en place d’une présidence stable du Conseil européen et le rôle qui lui est donné en matière de représentation extérieure, crée une concurrence potentielle au sommet. Le choix d’Hermann Van Rompuy est, certes, dicté par la volonté de ne pas choisir quelqu’un de trop autoritaire. Il a d’ailleurs dit lui-même ne pas souhaiter faire de l’ombre à Catherine Ashton. Mais les problèmes structurels auxquels s’est heurté Javier Solana subsistent. S’il n’y a pas de consensus au sein des Etats membres sur un dossier, que pourra faire Ashton ? Il n’y a pas de changement de rapport de force entre les Etats membres et le Haut représentant. La politique étrangère reste l’affaire des grands Etats.

Nonfiction.fr- Comment voyez-vous l’évolution de ce rapport de force ?


Renaud Dehousse- Tout dépendra de la volonté de Catherine Ashton d’user ou non de son pouvoir d’initiative. Elle peut mettre des propositions sur la table, mais le fera-t-elle ? Solana ne disposait pas de cette marge de manœuvre. Il n’avait pas de capacité d’initiative formelle et d’ailleurs –c’est assez symbolique- la première mission qui lui a été confiée en tant que Haut représentant a été de négocier la libération des otages retenus sur l’Ile de Jolo. Solana était l’exécutant d’une politique dessinée par les Etats membres. Cela n’est pas aussi vrai pour le haut représentant version Lisbonne. Sur le papier, il y a un créneau à prendre même si, dans l’intervalle, l’élargissement de l’UE à 27 Etats ne facilite pas le consensus. 

Nonfiction.fr- Le 12 ème Conseil franco-allemand s’est tenu le 4 février dernier. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont fait des propositions pour renforcer les liens entre les deux pays. La France et l’Allemagne sont-ils encore les moteurs de l’intégration européenne ?


Renaud Dehousse- La France et l’Allemagne ensemble disposent, en effet, d’un poids important au sein du Conseil des ministres mais qui n’est plus le même qu’avant. Le pouvoir de la France et de l’Allemagne s’est inévitablement dissous. Déjà, en 2003, au moment de la crise irakienne, la France et l’Allemagne n’ont réussi à rallier à leur position que la Belgique et le Luxembourg. Aujourd’hui, pour peser au sein de l’UE, il faut bâtir des coalitions, trouver des alliés. Mais je ne suis pas sûr qu’en France, on en ait déjà pris la mesure.

Nonfiction.fr- Dans votre ouvrage, vous insistez sur l’importance de la méthode communautaire. Est-elle remise en question ?

Renaud Dehousse- Le problème est de dépasser les pièges souverainistes. Il faut dépasser l’idée qu’un Etat puisse à lui seul résoudre des problèmes comme le changement climatique, par exemple, ou la préservation du modèle européen de société. Il n’y pas de solution nationale à ce type de problème. La méthode communautaire présente des avantages en termes d’efficacité et de transparence et donc, en terme de légitimité. Elle peut cependant faire peur aux Etats et aux citoyens qui craignent d’être broyés par la machine. La méthode communautaire est cependant plus démocratique et plus transparente que n’importe quelle coopération intergouvernementale. Quant à la méthode ouverte de coordination, elle peut faciliter la coopération dans des domaines sensibles pour les Etats.

Nonfiction.fr- La politique de défense est un domaine dans lequel les Etats manifestent le souhait d’aller vers une plus grande intégration. L’UE perd-elle son statut de puissance civile ?


Renaud Dehousse- Je vois un peu d’angélisme dans les réflexions autour de ce thème. Dans puissance civile, il y a aussi le terme de puissance. L’UE doit commencer à se penser comme un acteur géopolitique qui a des intérêts légitimes. Les progrès accomplis sont cependant très importants. Il aurait été impensable il y a quelques années d’imaginer que des soldats allemands puissent être envoyés en Afrique ou en Asie. Il a fallu passer par un détour européen

 

A lire sur nonfiction.fr :

- Renaud Dehousse (dir.), Politiques européennes, par Alexandre Barthon de Montbas.