86 cartes pour aller de la grotte Cosquer à Lampedusa et Melilla. Rapide tour d'horizon et état des lieux.
La publication d’atlas est une tendance lourde de l’édition en sciences humaines, on ne peut que s’en réjouir. En effet, pendant longtemps, le public francophone n’a eu à sa disposition que quelques titres, assez médiocres, en français car le genre était dominé par les publications en allemand ou en anglais. À partir du milieu des années 1980, les éditeurs français ont renouvelé le genre par la création d’atlas originaux ou par l’adaptation des productions anglo-saxonnes. À leur tour, avec la sortie de l’Atlas historique de la Méditerranée par Odile Sassi et Mathilde Aycard, spécialistes d’histoire contemporaine, les éditions Fayard se lancent dans ce type d’ouvrage, en collaboration avec les Presses de l’Université Saint-Joseph pour la cartographie.
L’ouvrage est construit sur un modèle désormais classique : une carte avec un texte en regard et une division en dix parties inégales : « Aux origines » (7 cartes) ; « Empires et royaumes » de l’Antiquité (12 cartes) ; « Le miracle grec » (7 cartes) ; « L’épopée romaine » (9 cartes) ; « Croisés et infidèles » (10 cartes) ; « Grandeur et décadence » (10 cartes sur l’émergence des pouvoirs espagnols, italiens et ottomans) ; « La déchirure » entre Musulmans et Chrétiens, et les luttes entre Chrétiens (5 cartes) ; la période contemporaine est subdivisée entre « Nationalismes et conquêtes » (10 cartes), « Tempêtes en mer » sur les deux guerres du XXe siècle (6 cartes) et « Guerre et paix » (10 cartes).
Les textes en regard sont clairs, synthétiques, évitant le jargon, et compréhensibles pour les lecteurs même non-avertis. Les auteurs ont fait le choix de la large synthèse de l’histoire de la Méditerranée, concept géographique parfois pris au sens large qui étend le monde méditerannéen jusqu’au site de Boxgrove en Grande Bretagne ou Ur dans le monde babylonien…
Pour chacune des périodes, les éléments les plus importants sont abordés, ainsi pour le « Miracle Grec », on dispose d’une carte sur la Grèce archaïque, une sur la colonisation grecque, une pour les guerres médiques, une carte de l’Attique (on regrette cependant un oubli des apports récents de la recherche sur la fortification athénienne), la célébrissime carte de la guerre du Péloponnèse, une carte sur les empires mèdes et perses avant de finir par les conquêtes d’Alexandre le Grand. Si l’on s’intéresse aux périodes médiévales, un peu mieux connues par le recenseur, les deux auteurs brossent un portrait classique, voire très classique du récit des croisades (p. 105). Les événements sont relatés, en moins d’une page, ce qui n’est pas le moindre des exploits, les principaux lieux sont cités et localisés. Le choix du classicisme a été fait pour les cinq premières parties qui proposent ainsi des rappels utiles sur de nombreux sujets parfois peu connues par les lecteurs (Assyriens, l’Empire hittite ou les guerres civiles à Rome).
Les parties suivantes intitulées de manière un peu obscure : « Grandeur et Décadence » et « La Déchirure » sont plus originales. Ainsi, la première carte tente une synthèse sur le monde musulman du XIe au XIIIe siècle mettant en regard l’expansion almoravide et seldjoukide, insistant sur la division et l’affaiblissement des pouvoirs musulmans face à l’expansion chrétienne. Elle est le pendant de l’expansion normande décrite quelques pages auparavant. A propos de cette dernière quant à énumérer toutes les tentatives d’expansion normande, autant ne pas oublier en route l’expansion normande en Ifrikiya au XIIe siècle sous la conduite de Roger II et celle de Roussel de Bailleul en Anatolie à la fin du XIe siècle.
Par la suite, l’originalité prime, peut-être parce que les auteurs ont réussi à se séparer des visions classiques et elles n’ont pas cherché à ajouter une carte de l’expansion ottomane de plus, une vision de l’Italie après la paix de Lodi supplémentaire. La cartographie de la construction de l’Etat aragonais (XIVe-XVe siècle), la modélisation des nouveaux acteurs commerciaux, la visualisation de l’expulsion des Juifs d’Espagne sont plus originales que la construction (néanmoins indispensable) de l’empire ottoman. Dans le chapitre suivant, la carte qui illustre, de manière sommaire, l’émergence de pirates barbaresques au XVIe siècle est bien venue, en rapport avec un texte synthétisant la piraterie en Méditerranée. Pour le XIXe siècle, la tentative de cartographier l’expansion de l’Egypte de Mehmet Ali (p. 153) est appéciable et vient combler un manque, on regrette cependant que la cartographie ne soit pas à la hauteur du texte.
On doit regretter quelques fautes de présentation et d’erreurs faciles à éviter : mises en page défectueuses (p. 72, p. 111), abbréviation dont on cherche désespérement le sens ("PPNB" ?, p. 23), présentation des dates sur le mode négatif (prise de Tyr par Alexandre en « 323 ») en même temps que le format « normal ». Enfin, on déplore quelques erreurs de légende comme à la page 167 où les voies ferrées et le canal de Suez sont inversés.
Plus sérieusement, on regrette souvent le choix du classicisme décrit peu avant. En effet, cet atlas fait l’impasse sur les nouveautés en matière de cartographie. Ainsi, la carte sur les fortifications des Etats latins issus des Croisades aurait mérité un effort de définition des différents types de fortifications. Plutôt que de s’intéresser à l’ensemble des Etats, on aurait préféré un focus sur le Royaume de Jérusalem, en s’appuyant sur les travaux de Ronnie Ellemblum. De même, la carte de l’Italie au Xe et XIIIe siècle est peu lisible, insistant sur Gênes mais oubliant Venise parce qu’elle est cartographiée plus loin. Il aurait été probablement plus judicieux de grossir la situation italienne pour « régler » les problèmes des relations entre les Hohenstaufen et les villes italiennes, et ensuite opposer l’expansion en Orient des deux grandes villes commerçantes.
En définitive, il est dommage que les cartes soient si peu élégantes, elles ne permettent pas au lecteur de redécouvrir la joie de l’errance de la lecture des cartes. Madeleine de tout ancien élève, la carte incite à la rêverie comme les célébrissimes Vidal la Blache dont la contemplation à occupé de nombreux élèves, elle favorise la curiosité et doit permettre au lecteur de se rendre compte que les îles de la Mer Egée sont si nombreuses et si petites… Pour éveiller cette curiosité, la présentation des cartes mérite des efforts et des innovations iconographiques trop peu utilisées ici. Cependant, cet ouvrage a d’autres mérites : l’ascétisme cartographique permet de se concentrer sur le sujet, et le lecteur n’est pas perturbé par des accidents cartographiques. Pour certains thèmes, les auteurs proposent une synthèse rapide qui comblera la curiosité de l’honnête homme du XXIe siècle. L’atlas aura donc sa place dans toute bibliothèque de lecteur curieux.