La protestation de Google contre la censure des autorités chinoises ne peut que contenter les défenseurs des droits de l’homme. La journaliste du Guardian Rebecca MacKinnon met cependant en garde les occidentaux qui voudraient saisir l’occasion pour se défouler sur les méthodes liberticides chinoises en évitant de regarder ce qui se passe chez eux. Selon elle, la pression exercée sur Google et les sociétés numériques serait le signe d’une tendance générale à la réduction de la liberté publique sur le web.


D’après les statistiques du Open Net Initiative, il y aurait aujourd’hui pas moins de 40 pays qui exerceraient une véritable censure sur leurs réseaux numériques. Les démocraties  seraient à l’avant-garde de ce mouvement. Les problèmes rencontrés par Google dans de nombreux pays sont en effet  liés à ce que les juristes appellent la 'responsabilité intermédiaire'. Les serveurs intermédiaires   permettent aux internautes de poster des vidéos, chercher des informations, échanger des photographies, ou encore envoyer des messages. Aux Etats-Unis, ils ne sont pas responsables des communications et messages postés par les internautes, ce qui leur évite de crouler sous les poursuites judiciaires, ou de mobiliser des des ressources considérables afin de modérer la somme d’informations qu’ils hébergent.


En Chine, le fonctionnement des sites nationaux dépend de ce système de la responsabilité intermédiaire. Le contenu des sites étrangers est lui filtré par les autorités. Google.cn, comme tous les sites hébergés par la Chine, est tenu de s’autocensurer pour ne pas être menacé de fermeture. Cependant, David Drummond, le directeur juridique de Google, est aussi poursuivi  en Italie pour une vidéo   que YouTube a tardé à supprimer de son site.  Cela pose clairement la question de la responsabilité légale des  différents acteurs d’Internet. Les serveurs doivent-ils être sanctionnés pour le contenu illégal que les internautes décident de mettre en ligne, se demande Rebecca MacKinnon ?


Selon elle, l’instauration de HADOPI- en tant qu'autorité publique indépendante- en France diminue clairement la responsabilité des fournisseurs d’accès à Internet au détriment des internautes. Et le projet de loi sur l’économie numérique au Royaume-Uni comprend des mesures semblables qui inquiètent les défenseurs des libertés civiles. L’idée de contrôler les fournisseurs d’accès à Internet pour mieux préempter les actions illégales des internautes serait donc à la fois biaisée et anti-démocratique.


Ainsi, même si les réseaux sociaux sont devenus des outils d’opposition et de dissidence importants, le recours de plus en plus étendu à la législation sur la ‘responsabilité intermédiaire’ remet en cause leur pouvoir. Si les démocraties s’obstinent à penser qu’il faut utiliser les sociétés du Net et les opérateurs mobiles pour modérer les excès des usagers, au lieu de trouver d’autres moyens de lutter contre des actions illégales qui ne prennent pas place exclusivement sur Internet, elles auront de moins en moins de leçons à donner aux autocraties partout ailleurs

 

* Rebecca MacKinnon, 'Will Google stand up to France and Italy, too?', The Guardian, 13.01.10.