Un rapport plus complet

Le message envoyé en 2004 à tous les défenseurs de la culture outre-Atlantique était déjà clair. Dans son bien nommé rapport Reading at Risk ("Danger sur la lecture"), l'agence culturelle fédérale américaine, le National Endowement for the Arts, tirait la sonnette d’alarme en s’inquiétant de la dégringolade des pratiques de lecture aux Etats-Unis. Cette étude a fait grand bruit, aux Etats-Unis, mais aussi dans le monde entier. L’agence publique, dont l’objet est de rendre possible diverses formes d’expression culturelle et de faire partager cette richesse à la population américaine, montrait par exemple que seulement 56,5% des Américains avaient lu un livre en 2002, ce qui représentait une baisse de 5% par rapport au chiffre de 1992.

Aujourd’hui, le NEA continue ses recherches en publiant une nouvelle étude qui se base sur les données plus récentes du Bureau du Recensement américain (US Census). Ces chiffres sont encore plus complets, et s'accompagnent de toute une série d’informations plus vaste, puisque l’étude de cette année s’élargit entre autres à la littérature d’idées ; voilà que la nonfiction entre dans les résultats de l’édition 2007.

Simples, les résultats le sont : on observe très clairement une déficience du système d’éducation états-unien qui n’arrive pas à donner le goût de la lecture. Selon l’étude, le rapport au livre et à l’écrit se distend tout au long du parcours scolaire puisque qu’en grandissant, l’élève se verra de moins en moins forcé à lire ; voilà que l’amour de l’écrit déserte les salles de classe. Rappelons qu’en France aussi, les ratés du système d’éducation sont réels, avec notre pays qui recule au dix-septième rang mondial pour la lecture    .


Les "100 livres et plus"

Pour Dana Gioia, qui dirige le NEA depuis 2003 (il s’est illustré comme grand promoteur du Jazz et de Shakespeare, notamment), rien ne sert de disserter longuement sur l’existence ou sur l’ampleur du problème. Il faut agir. Et désigner des coupables : la prolifération de médias digitaux, un échec des structures scolaires, mais aussi un système médiatique qui valorise peu l’écrit en général et la littérature en particulier. Conséquence : les Américains, et en particulier les plus jeunes, lisent de moins en moins par plaisir. De là, une baisse des capacités de lecture, et une chute du niveau général des élèves dans toutes les matières.

L’enquête va toutefois plus loin. Elle montre par exemple que quand on a 17 ou 18 ans aux Etats-Unis, mieux vaut avoir beaucoup de livres chez soi pour réussir son interrogation de… mathématiques – l’étude explique que le nombre d’ouvrages au domicile familial est un facteur plus important pour la réussite scolaire que l’obtention par les parents d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Les "100 livres et plus" ont un véritable avantage sur ceux de leurs camarades qui ne vivent pas dans une famille de lecteurs.
   
Mais tout n’est peut-être pas si simple. D’aucuns dénoncent la partialité du rapport, la radicalité du NEA, et disent ne pas observer ce déclin de la lecture. Les mêmes commentateurs, et d’autres encore, voient avec beaucoup d’optimisme les phénomènes comme Harry Potter, ou la lecture sur Internet. Preuve que loin d’être d’accord sur les solutions, personne ne s’entend vraiment encore sur le constat. Le rapport du NEA aura au moins le mérite d'avoir relancé le débat.

Dans tous les cas, cette nouvelle étude vient confirmer une chute significative dans la pratique de la lecture aux Etats-Unis. On peut, si l'on est optimiste, anti-américain et nationaliste, se contenter de moquer les Américains et voir confirmer ses thèses sur l'inculture galopante aux Etats-Unis. On peut être plus pessimiste et s'alarmer d'une étude majeure qui vient peut être annoncer une évolution similaire en Europe. Dans tous les cas, Reading at risk II, est un tournant pour la pratique de la lecture. Et cela devrait sinon inquiéter, du moins intéresser tous les défenseurs du livre en France.

Cette étude continue de susciter de nombreux débats aux Etats-Unis, donc un long article dans le New Yorker du 24-31 décembre : "Twilight of the books" par Caleb Crain.


Crédits photo: Say Cheeze !!!/flickr