Peut-on parler d’une histoire globalisée sans forfanterie ? Dans les écoles historiques françaises, on est tenté de porter un regard suspicieux sur toute tentative d’inscription de l’histoire du monde dans des processus soustraits aux déterminations sociales. À tout le moins, on brandit fièrement le concept de "longue durée" de l’école des Annales pour justifier ce doute ou le faire apparaître comme un simple désintérêt. Dans le dernier numéro de la revue Vingtième Siècle. Revue d’Histoire, Chloé Maurel dresse un bilan historiographique de ce jeune mouvement.
La "world/global history" est née aux Etats-Unis, notamment sous l’impulsion du Canadien William McNeil, auteur d’un ouvrage de référence, The Rise of the West : A History of the Human Community, et de Patrick Manning. Elle s’attache à décrire l’évolution de nos sociétés selon les effets réciproques des différentes civilisations les unes sur les autres. A mesure que cette approche de l’histoire s’est étendue dans les universités anglo-saxonnes, elle s’est institutionnalisée. Des revues comme Journal of World History ou Globality Studies Journal ont été créées, et Internet a permis d’implanter un réseau d’historiens soucieux d’échanger sur des sites comme H-World ou World History Connected. Aussi des cursus de "World History" ont-ils été mis en place comme à Northeastern University, ou à la State University of New York plus récemment.
Chloé Maurel nous fait remarquer le paradoxe qui lie un sentiment de plus en plus fort du déclin de l’Occident et la multiplication des travaux mettant en avant l’émergence de l’Occident. En effet, cette histoire n’est pas exempte d’idéologies et de présupposés problématiques. D’un côté, elle tend à dépasser les cloisonnements nationaux « afin de saisir des phénomènes, enjeux, menaces ou défis qui dépassent les frontières des États et concernent des millions d’individus dans le monde entier, indépendamment de leur appartenance nationale : communications par satellite, menaces nucléaires ou terroristes, problèmes environnementaux, échanges de capitaux, action des firmes multinationales, etc. » . De l’autre, elle est très ethno-centrée dans ses conceptions, contrairement à ce qu’elle revendique, dès lors qu’elle étudie l’idée de mondialisation économique comme un processus irrémédiable, voire comme l’aboutissement logique de l’histoire de l’humanité. On lui reproche ainsi régulièrement de donner libre cours aux thèses néolibérales lorsqu’elle remplace des modèles de politiques étatiques par des concepts de gouvernance mondiale dans lesquels prévaut l’idée de dérégulation. De même, en resituant la mondialialisation dans un processus de long terme inéluctable, elle peut réduire les critiques altermondialistes à des lubies passagères.
Elle a le mérite d’explorer des champs d’investigation encore relativement intacts , même si on ne peut lui attribuer leur paternité. En réalité, ce courant s’inscrit déjà dans une tradition d’histoire universelle qui remonte à Hérodote, et mène à Oswald Spengler, Arnold Toynbee ou René Grousset, en passant par Bossuet. Il se caractérise en quelque sorte par son caractère perméable puisqu’il emprunte ses méthodes et idées à d’autres écoles historiques tout en constituant une nouvelle manière de voir le monde et les cultures qui le composent.
« Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt », dit un beau proverbe chinois. L’adepte de la World history pourrait sans peine remplacer la lune par le monde, et le doigt par l’identité nationale
*Chloé Maurel, “La World/Global History”, Vingtième Siècle. Revue d’Histoire, octobre-décembre 2009.