Un ouvrage grand public, magnifiquement illustré, par l'un des grands spécialistes du Moyen Âge, de ses couleurs, de son imaginaire et de ses symboles

L’héraldique est une discipline peu connue, peu pratiquée, peu enseignée, qui souffre en outre d’une image de complexité, en raison de son vocabulaire à la fois technique et délicieusement désuet. Restée longtemps aux mains des feudistes, seuls véritables spécialistes du blason à l’époque moderne, elle a connu un regain d’intérêt avec le romantisme et le goût pour les périodes anciennes qui l’accompagnait. Toutefois, elle reste alors la chasse gardée des historiens et historiens de l’art, qui semblent parfois prendre un certain plaisir à ampouler la langue du blason, éloignant ainsi un peu plus le commun des mortels de cette discipline. Il faut attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour observer, en France comme ailleurs, un renouveau des études héraldiques, qui commencent à se faire une place dans le monde de la recherche universitaire, notamment grâce à Michel Pastoureau. Son dernier ouvrage en date, L’Art héraldique au Moyen Âge, s’inscrit dans cette volonté de revalorisation et de démocratisation des études héraldiques en France. Il souligne à quel point l’influence de l’héraldique reste forte, aujourd’hui, dans notre vie quotidienne : drapeaux, logos, panneaux de signalisation routière, maillots de sports, écussons, bannières, sont autant d’exemples témoignant de l’actualité du blason et des analyses qui l’accompagnent. Le lecteur aura donc plaisir à se pencher sur cette discipline, que M. Pastoureau met à sa portée en quelques pages. L’Art héraldique au Moyen Âge se présente comme un bel ouvrage, abondamment illustré de riches planches en couleurs, venant appuyer le discours de l’auteur. Celui-ci s’adresse tant à l’historien, qui n’est pas toujours très au fait des problématiques de l’héraldique, qu’au grand public désireux de découvrir ces trésors imagés du Moyen Âge : M. Pastoureau explore en effet avec pédagogie la question du blason et des armoiries médiévales.

L’ouvrage est structuré en quatre grandes parties. L’auteur explique d’abord l’apparition des premières armoiries (vers le milieu du XIIe siècle),, revient sur leurs usages sociaux (il précise par exemple que les armoiries ne sont absolument pas réservées à une catégorie sociale définie, comme la noblesse, contrairement à une idée moderne répandue, mais qu’on les retrouve partout : des communes, des paysans, des commerçants, des ecclésiastiques, des femmes,… en font usage), et fournit un certain nombre de définitions. Le blason est l’ensemble des figures, couleurs et règles héraldiques ; les armoiries, toujours au pluriel, désignent des emblèmes en couleurs propres à un individu, une famille, une collectivité, et soumis à un ensemble de règles ; l’héraldique est la science portant sur l’étude des armoiries…. Les armoiries étant à l’origine choisies par leur détenteur, elles illustrent aussi bien une personne, qu’une famille, une communauté, ou une lignée. Elles peuvent s’inspirer du nom du détenteur (le comte de Bar fait figurer un poisson sur ses armes), de ses fonctions sociales (on voit des marchands ou des paysans représenter leur art), de ses possessions, ou encore de ses hauts faits. Elles témoignent donc du très grand degré de liberté dont disposent les individus en matière d’élaboration de leurs armoiries.

M. Pastoureau se livre ensuite à une description très méthodique et, une fois encore, très pédagogique du support, des couleurs, des figures, et du vocabulaire du blason. Cette description permet au lecteur de se familiariser avec les principes de l’héraldique, et, abondamment illustrée, incite à une mise en pratique immédiate de ces connaissances fraîchement acquises. Capable à son tour de décrire et de comprendre la signification des armoiries, le lecteur est en effet convié, dans la troisième partie, à étudier de plus près l’art héraldique. Celui-ci, loin d’être inabordable, se laisse au contraire décrypter aisément, à partir du moment où l’on en maîtrise les codes. L’’art héraldique, parce qu’il englobe un nombre important de sources historiques, donne accès à l’ensemble de la production artistique médiévale. M. Pastoureau évoque en effet les différents supports et lieux d’expression des armoiries, qu’il s’agisse de sculptures, d’orfèvreries, de tapisseries, etc. Il explique en outre pourquoi l’héraldique, comme science auxiliaire, complète avantageusement l’histoire de l’art ou l’archéologie : face à un bâtiment dont la fourchette de datation peut s’étendre sur un siècle, voire un siècle et demi, comme c’est souvent le cas pour les cathédrales, la présence d’armoiries apposées sur la façade permet de dater avec précision la construction de l’édifice. L’étude des armoiries portées par un personnage (Pierre de Mortain)  figurant sur la verrière de la cathédrale d’Evreux permet de dater la construction de celle-ci à une dizaine d’années près. Enfin, la symbolique héraldique fait l’objet d’une dernière partie qui s’interroge sur la signification des armoiries, notamment dans le cas d’armoiries imaginaires, comme celles que l’on attribue aux grands personnages issus de la tradition mythologique (les armes du roi Arthur), biblique (le blason du Christ), historique (celui de Charlemagne), ou littéraire (les armoiries de Tristan et Yseult). On constate ainsi que les armoiries sont si présentes dans la vie quotidienne des individus, qu’il semble aller de soi que ces figures en possèdent elles aussi, en dépit du caractère anachronique d’une telle attribution (les armoiries n’apparaissant que vers le milieu du XIIe siècle, il peut sembler absurde d’en attribuer au Christ ou à Charlemagne). Puisque les armoiries ont coutume de représenter de façon figurée leur détenteur, en prenant appui tant sur son nom que sur l’histoire de sa lignée, les armoiries imaginaires reprennent les attributs de ces grandes figures. Sur celle du Christ par exemple, on représente souvent les éléments de la Passion (croix, épines, clous, suaire,…).

L’Art héraldique au Moyen Âge appartient à cette catégorie d’ouvrages grand public, parfaitement documentés et argumentés ; il n’est pas nécessaire d’être soi-même héraldiste pour en tirer la substantifique moelle. Quant à l’historien, il (re)découvre avec bonheur un genre de sources méconnu. M. Pastoureau prend soin de ponctuer son exposé par des interprétations historiques qui engagent une réflexion plus large. C’est le cas notamment de l’anthroponymie : l’auteur note que les individus renoncent fréquemment à faire figurer sur leur blason un élément péjoratif de leur nom de famille (le crapaud, par exemple, qui est l’emblème du diable); il émet l’hypothèse que les noms de famille sont totalement subis, et ce dès l’origine, alors que l’héraldique laisse entièrement libre le choix des armoiries.

L’ouvrage de Michel Pastoureau possède en outre de très grandes qualités formelles : de grand format, il est abondamment illustré de planches en couleurs   lesquelles illustrent de façon immédiate les propos de l’auteur, et incitent le lecteur à exercer sa sagacité en déchiffrant, à son tour, ces signes, a priori si hermétiques. De plus, il est pourvu d’un glossaire approfondi de la langue héraldique, auquel on se reportera au cours de lecture, pour en faire un véritable vademecum des études héraldiques. Une bibliographie approfondie et analytique de la question de l’héraldique complète heureusement l’ouvrage. On peut toutefois regretter l’absence d’index, tant pour les noms de détenteurs d’armoiries, que pour les illustrations. Ils auraient facilité la lecture. De même, l’absence de titre courant ne facilite pas la manipulation de l’ouvrage. Le report des notes en fin du volume, enfin, impose au lecteur de feuilleter constamment l’ouvrage, gymnastique qui peut lasser. On devine néanmoins (et accepte volontiers !) le parti pris d’alléger la lecture en évitant d’encombrer le texte, puisque cet ouvrage est aussi et avant tout destiné au grand public.

Michel Pastoureau nous a habitués à de belles promenades dans l’Occident médiéval. Ses lecteurs, qui ont dévoré les études qu’il a menées sur les couleurs ou les animaux au Moyen Âge, dans leur dimension symbolique, ne manqueront pas de s’offrir son Art héraldique au Moyen Âge.