D’abord instrument médical pour le traitement de l’hystérie, le vibromasseur serait devenu l’accessoire domestique féminin par excellence au début du siècle dernier.

C’est en travaillant sur les journaux consacrés aux ouvrages en crochet, tricot et broderie que l’historienne américaine Rachel P. Maines a découvert une quantité importante de publicités pour le vibromasseur. A 27 ans, entre deux mariages, et plutôt féministe dans cette Amérique des années 1970, nous dit-elle, elle décide alors de suivre sa curiosité et d’explorer ces publicités. Au final, elle nous offre un livre à charge (de l’homme) et à décharge (de la femme) sur les origines de l’hystérie.

Véritable mine bibliographique, l’auteure cite inlassablement une quantité effroyable de médecins   proposant, à travers les siècles, le traitement de l’hystérie et des humeurs féminines par le massage pelvien menant jusqu’à l’orgasme de la patiente. Si pendant des siècles, voire des millénaires puisque ses sources bibliographiques remontent à l’Antiquité, le traitement de l’hystérie a consisté en un massage manuel administré par le médecin, il a fini par être délégué à une assistante car, nous dit-on, l’opération pouvait prendre une heure pour mener les dites patientes au "paroxysme hystérique", c’est-à-dire à l’orgasme qui est ici purement thérapeutique. Enfin, avec l’électricité, il est devenu un acte médical rapide, de seulement quelques minutes, avant de devenir une activité domestique individuelle, voire le prétexte à une semaine de cure dans des lieux agréables. Car, nous disait-on en 1910 pour faire de la réclame, le vibromasseur électrique peut atteindre jusqu’à « 30.000 vibrations excitantes, revigorantes, pénétrantes et revitalisantes par minute ». Fini le massage manuel lent et laborieux !

Mais bien plus que faire simplement une énumération de citations et d’auteurs parlant du traitement de l’hystérie, Rachel P. Maines nous propose l’examen de trois points précis. D’abord, il s’agit des "définitions androcentriques de la sexualité et la construction d’une sexualité féminine idéale […]", ensuite de "la réduction du comportement sexuel féminin hors normes androcentriques à une série de troubles paradigmatiques qui requièrent l’intervention de la médecine" et, enfin, des "procédés utilisés par les médecins pour légitimer et justifier la production clinique de l’orgasme chez les femmes suivies pour ces pseudos dysfonctionnements".  

Tout est là : une définition masculine de la sexualité féminine qui, face à la différence de la jouissance de l’homme et de la femme, opte pour définir comme pathologique (hystérique) l’absence de jouissance féminine par la pénis de l’homme. Et Rachel P. Maines nous explique que si cette conception de l’acte sexuel devant mener l’homme et la femme à l’orgasme par la pénétration du vagin par le pénis mène effectivement l’homme à l’orgasme, il se trouve que seulement 25% des femmes y seraient menées. L’auteure s’appuie sur différentes études pour avancer que donc près des trois quarts des femmes n’atteignent pas l’orgasme par le simple coït, lequel serait bien suffisant pour l’homme. Bien souvent, nous dit-elle, il est nécessaire d’accompagner le coït par une stimulation clitoridienne pour que madame éprouve quelque chose. Ce qui sous-tend son argumentation semble simplement anatomique : si l’homme concentre en son pénis une zone érogène menant à l’orgasme plus une possibilité de reproduction, la femme a un vagin pour la reproduction, et un clitoris pour l’orgasme.

Or, la charge de l’homme se fait là : si les professions médicales sont maintenant féminisées, elles ont été durant des dizaines de siècles l’espace réservé des hommes. La bibliographie citée dans l’ouvrage en témoigne largement. L’étude et la définition de la sexualité ont donc été établies selon des critères masculins en ignorant ce qu’il pouvait en être pour les femmes. La vie sexuelle conjugale et non conjugale (veuvage, célibat…) a été fixée par la religion, c’est-à-dire encore par des hommes et non des femmes, avec comme finalité la reproduction qui permet l’orgasme masculin et laisse bien peu de place à celui des femmes, lequel n’est d’ailleurs pas au centre des préoccupations.   Quant à la philosophie qui s’est intéressée dès Platon aux humeurs féminines, elle est également masculine. Tout concourt donc à ce que la norme de la sexualité de la femme soit édictée par des hommes qui en ignorent, par nature, le fonctionnement.
Autrement dit, sa thèse, qui est aussi une évidence, est que l’homme méconnaît la sexualité féminine puisqu’il est un homme, et que la société avait un intérêt particulier à rendre pathologique chez la femme une simple différence de nature. Quelle en serait la raison ? L’impossibilité pour lui d’accepter que son pénis ne vienne pas à bout du désir de sa partenaire. D’ailleurs, Rachel P. Maines nous montre bien que quand cela arrive, l’épouse va au cabinet du médecin pour obtenir cet orgasme thérapeutique. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas le vagin qui est visé avec l’utilisation d’un godemichet, ce que l’auteure renvoie à un fantasme purement masculin, mais bien davantage le clitoris avec l’usage du doit, puis de l’hydrothérapie pour en arriver au vibromasseur électrique. De là à ce que Rachel P. Maines dise avec Lacan qu’il n’y a pas de rapport sexuel, il n’y aurait qu’un pas…

Ainsi, cet ouvrage qui se veut un travail d’historienne, adopte le ton d’une plaidoirie contre la domination masculine de la sexualité féminine et sa "pathologisation". On a alors l’étrange impression que l’auteure cherche plutôt à soutenir une thèse féministe outre atlantique coïncidant avec une expérience personnelle, plutôt qu’à dresser une histoire du vibromasseur. Ainsi, le lecteur sera certainement intéressé par cette somme de références bibliographiques sur la question de l’hystérie dans son aspect médical, avec de véritables découvertes parfois inouïes sur les proportions de certains traitements médicaux. Cela n’est pas sans nous interroger sur les motivations de la médecine des siècles passés, c’est-à-dire celle des hommes qui ont appliqué ces massages de la vulve et du clitoris à des femmes célibataires, veuves, et mariées...

Seulement, l’arrivée vibromasseur est contemporaine de Freud et faire l’impasse de cette mutation de l’hystérie comme mal physique vers une position du sujet, est regrettable. Car, depuis le vibromasseur et Freud, dire qu’une personne est hystérique renvoie bien moins à une frigidité qu’à une position particulière du sujet.