Un précis de désillusion de la pop-politique à l'usage des nouvelles générations

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Le 8 janvier 2008, sur le coup de 23 heures, à Nashua (New Hampshire), le candidat à la présidence des Etats-Unis, Barack Obama, prononce un discours de défaite (il vient de perdre de deux points cet État du Nord-est des États-Unis contre Hillary Clinton), appelant ses partisans à un sursaut. Cette allocution est restée célèbre avec ce passage à connotation volontariste "  Yes we can ! ". A partir de ce discours d'Obama et de cette formule d'action, le philosophe Robert Redeker nous propose une analyse de ce slogan électoral.


A chacun son message

Il fût un temps où un Républicain comme Herbert Hoover, en 1928, pouvait se reposer sur un slogan  dont plus aucune agence de communication n'oserait proposer son utilisation "  A chicken in every pot. A car in every garage  " ("  Un poulet dans chaque casserole, une voiture dans chaque garage  "). La publicité politique devint une entreprise à capital risque   . Le slogan politique contemporain, comme par exemple lors de l'élection présidentielle française de 2007, est capable de prendre  une multitude de dimensions. "  Obamien  " et percutant ("  Que ça change fort  ", Ségolène Royal), associant la foi et l'espoir ("  Ensemble tout devient possible  ", Nicolas Sarkozy), franco-français  poussif ("  La France de toutes nos forces  ", François Bayrou), auto-référentiel nominatif (" Votez Le Pen  ", Jean-Marie Le Pen),  dans la tentation et le jeu de mots ("  Osez Bové / Ah si j'osais Bové  ", José Bové), dualiste revendicatif ("  Nos vies valent plus que leurs profits  ", Olivier Besancenot), etc. Lors de la campagne américaine de 2008,  le "  Yes we can  " d'Obama était opposé au "  Country First  " de McCain. Ce "  Yes we can  " avait d'autant plus d'impact qu'il était couplé avec le slogan phare de la campagne Obama, "  Change  " ("  Change  We can believe in  ").  L'un n'allait pas sans l'autre.

Qui capte qui ?

Robert Redeker nous signale que, quelques temps plus tard, "  au de-là de la foule, la publicité elle-même (…) s'est emparée de ce slogan  "   . Le constructeur Chevrolet, appartenant à General Motors, a mené en France une campagne publicitaire où l'on pouvait voir sur l'affiche un modèle Captiva, un 4×4 fait pour l’Europe, avec écrit en grosses lettres rouges le slogan "  Yes we can  "   , soit l'implicite "  Oui, nous Chevrolet, nous pouvons  ". Le va-et-vient entre les techniques de publicité commerciale et politique, l'échange, l'appropriation comme le détournement de slogan est fréquent   .  Pour Robert Redeker, cette porosité, cette échangeabilité, cette réversibilité, "  reflète une déspécification de la politique  "   . Si les politiques se pensent trop comme des commerciaux en concevant des slogans comme des publicités ("  Du sérieux, du solide, du vrai  ", Raymond Barre, présidentielle 1988 ; "  Du beau, du bon, Dubonnet  ", publicité pour un apéritif au quiquina), il reste en suspens de trouver des slogans politiques qui ne soient pas (plus) utilisables par la publicité. La tâche risque d'être ardue. Un slogan comme "  Nous irons plus loin ensemble  " (Jacques Chirac, élection présidentielle, 1988) pourrait très bien s'adapter à une publicité automobile.

Décryptage


Mais au fait, "  Yes we can  " "  est-il un slogan politique ? Sa faveur témoigne-t-elle d'une prise de conscience politique  "   ?  Une des faiblesses pointées par Robert Redeker, est que ce slogan  ne condense pas une suite d'idées politiques, une théorie ou des perspectives d'actions. Une phrase résume bien ce point, "  quand on déplie un slogan, tout l'univers qu'il contenait en résumé s'étale devant nous  "   . Le slogan (politique) est un identificateur, il possède un signifié, qui dit plus que ce que l'on entend. L'entendu, le slogan, est riche d'un sous-entendu qui raconte une histoire particulière, une situation inédite, un événement original, un univers spécifique.  L'image-slogan "  La force tranquille  " pointe vers François Mitterand comme "  le berger de l'Etre  " vers Martin Heidegger. On déplie un slogan, cet "  im-pliqué que l'on peut ex-pliquer  "   . Alors que le slogan politique ou philosophique déploie sa matière de sens au monde ("  Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !  ", Karl Marx, Friedrich Engels, Le Manifeste du Parti, Communiste, 1847), le slogan publicitaire est replié dans son entre-soi exclusif de désir marchand et de consommation.  Or, pour Robert Redeker, "  Yes we can  " est, contrairement aux slogans politico-philosophiques, un "  logo sonore [qui] se love en lui-même. Il ne pointe pas une extériorité à lui-même  "   , mais "  crée un corps enthousiaste, traversé d'allégresse, un corps porté par un courant collectif, plus proche cependant du corps du supporter sportif, du fan de musique pop, que de celui du combattant ou du militant traditionnel  "   . Avons-nous si vite troqué le citoyen acteur et le militant engagé pour le (télé)spectateur de show passifs et les peoples futiles ? Il faut se souvenir qu'en 1967, Guy Debord théorisait "  La société du spectacle  ".

Un slogan indéterminé

"  Yes we can  " ne semble pourtant pas si original que ça. L'auteur montre justement l'indétermination du "  we  " (qui est ce nous ?) et du "  we can  " (que pouvons-nous faire ?). Sauf, peut-être à le replacer dans son contexte d'élocution (extrait : "  Lorsque nous avons surmonté des épreuves apparemment insurmontables ; lorsqu’on nous a dit que nous n’étions pas prêts, ou qu’il ne fallait pas essayer, ou que nous ne pouvions pas, des générations d’Américains ont répondu par un simple credo qui résume l’esprit d’un peuple. Oui, nous pouvons (...)  "). En reprenant un discours cité plus haut, "  Nous irons plus loin ensemble  " (Jacques Chirac, élection présidentielle, 1988), nous pouvons aussi pointer les indéterminations : qui est ce "  nous  " ? où irons-nous ? Qui est cet "  ensemble  " à qui l'on s'adresse ? En ce sens, "  qui ausculte, en historien, en philosophe ou en journaliste, des slogans politiques et des slogans publicitaires, rencontre généralement de la détermination  "   . Le pouvoir de faire quelque chose est à la recherche de son objet sur lequel pointer. Nous désirons faire quelque chose, pouvoir faire faire quelque chose. Mais quoi ? Et que voulons-nous ? Serait-ce une incantation, une formule magique, un mantra New-Age recyclé en politique, une résurgence de la méthode Coué ou d'un quelconque principe de développement personnel à l'usage des "  foules sentimentales  " (Alain Souchon) ?

Trop consensuel pour être consistant

Pour l'auteur, "  "  Yes we can  " n'entre en contradiction ni en conflit avec rien. Il ne possède pas de transcendance, d'extériorité à son énonciation  "   . Si certains slogans politiques sont  construits sous le signe du clivage amis/ennemis, eux/nous "  Nos vies valent plus que leurs profits  " (Olivier Besancenot, 2007), "  Toujours le camp des travailleurs  " (Arlette Laguiller, 2007), la majorité des slogans politiques sont fédérateurs, donc consensuels, "  Un président pour tous les français  " (Alain Poher, 1969), "  Pompidou, avec la France pour les Français  " (Georges Pompidou, 1969), "  Un président pour tous les Français  ", "  La France unie  " (François Mitterand, 1974, 1988),  "  La France pour tous  ", "  La France en grand, la France ensemble  " (Jacques Chirac, 1995, 2002), "  Ensemble tout devient possible  " (Nicolas Sarkozy, 2007), etc. Et dans le "  Yes we can  " "  personne, aucune classe sociale, aucune minorité, ne se trouvent exclues de ce "  nous  " obamien  "   . Il faudrait alors peut-être plus pointer vers les slogans des partis politiques ou des syndicats "  radicaux  " pour voir ce clivage et ce conflit être effectif ("  Medef partout ! Justice nulle part ! Patrons voyous ! Gouvernements ripoux !  ", CNT ; etc.).


Finalement, pour Robert Redeker, le slogan tiré du discours d'Obama "  ne définit aucun horizon; il se contente d'une affirmation triviale, que toutes les sociétés à toutes les époques pourraient reprendre à cause de son universalité vide : "  Yes we can)  "   .  Là où Daniel Lindenberg, dans son dernier ouvrage, estime "  le "  Yes we can  " du jeune candidat devenu président, ce slogan génial  " comme contenant "  en lui-même l'essence du projet moderne tel qu'il s'est déployé de la Renaissance aux révolutions démocratiques  "   , Robert Redeker y voit tout au contraire un slogan a-politique, aseptisé, consumériste, engendré par des médias mondialisés (un slogan "  cosmovidéopolitique  "), qui "  n'affirme rien d'autre chose que le "  nous  " de la paroisse globale planétaire dont la victoire d'Obama manifeste l'émergence " ((p. 44).