Une étude intelligente et engagée du statut de citoyen européen et de ses apports dans l’ordre juridique communautaire.


I. Libre circulation et non-discrimination, éléments du statut de citoyen de l’Union européenne


Anastasia Iliopoulou, maître de conférences à l’Université d’Orléans, démontre que la citoyenneté européenne trouve ses fondements dans le droit, avant d’être l’expression d’un demos européen. Elle articule sa thèse autour des deux attributs principaux du statut du citoyen européen : la non-discrimination en raison de la nationalité et la libre circulation.

L’arrêt Sala   constitue, selon Anastatia Iliopoulou, un tournant dans la construction jurisprudentielle communautaire. Les normes relatives à la citoyenneté servent désormais de fondement à la condamnation des discriminations fondées sur la nationalité ou sur l’exercice des droits de mobilité. Cette jurisprudence est un renouveau indéniable dans la mesure où elle permet de rompre les liens requis auparavant avec une activité économique dans la détermination du champ personnel et matériel du traité. Un véritable statut protecteur se trouve ainsi conféré aux ressortissants communautaires.

Le juge communautaire applique de façon combinée les articles 12, 17 et 18 du Traité CE associant le principe d’égalité au concept de citoyenneté. Cette "esquisse prétorienne", critiquée par une partie de la doctrine, est complétée par des initiatives législatives. Il est ainsi possible d’entrevoir la perspective d’un accès généralisé des citoyens migrants aux prestations sociales de l’Etat d’accueil. De nouvelles catégories, économiquement "non-actives", telles que les étudiants ou les demandeurs d’emploi, bénéficient désormais du principe d’égalité. Cette ouverture a entrainé des réactions des Etats craignant pour leurs finances. Le juge communautaire n’est pas indifférent à ces arguments et admet des dérogations au principe de non-discrimination dès lors que celles-ci sont justifiées et strictement proportionnées.

Reste une différence de traitement flagrante entre les citoyens migrants et les citoyens sédentaires. Les discriminations à rebours ne sont en effet pas prises en compte par la Cour. Malgré des infléchissements, le critère de la mobilité demeure. Anastatia Iliopoulou souhaite que cette situation soit corrigée de façon à ce que les citoyens sédentaires bénéficient des mêmes droits que les citoyens migrants. Il conviendrait, à cet égard, de tisser des liens entre la citoyenneté européenne et l’article 13 CE qui vise à lutter contre les discriminations. En somme, un rapprochement doit être opéré entre citoyenneté européenne et droits fondamentaux.

 



Anastasia Iliopoulou s’intéresse ensuite à la libre circulation des citoyens européens. Celle-ci ne visait originellement que l’agent économique. Cependant, le juge communautaire a toujours insisté sur la dimension humaine et sociale de la libre circulation des travailleurs. Sa jurisprudence, allant parfois au-delà des obligations prévues par la lettre du Traité, a provoqué de vives réactions des Etats membres. Puis, le traité de Maastricht, en créant la citoyenneté européenne, a consacré cette révolution silencieuse. A cet égard, l’article 18 CE engendre une conception inédite de la libre circulation.

L’apport de l’article 18 CE dans l’ordre juridique communautaire a d’abord été mis en valeur par la doctrine relayée par les avocats généraux. Le juge communautaire a ensuite donné une effectivité accrue à ce texte, notamment en le dotant d’un effet direct c'est-à-dire en permettant aux particuliers de s’en prévaloir devant les juridictions nationales. Surtout, la Cour en a fait un droit subjectif fondamental du citoyen européen et non plus seulement une liberté économique fonctionnelle. Le législateur communautaire est venu prendre le relais avec la directive 2004/38/CE. Ce texte demeure marqué par la crainte étatique du tourisme social. Ainsi, les séjours de plus de trois mois sont soumis à la possession de ressources suffisantes et d’une assurance maladie.

Cependant les intérêts étatiques relatifs à la prévention de la migration des étrangers sans ressources et à la préservation de la sécurité et de l’ordre public ne prévalent plus de façon automatique. Anastatia Iliopoulou considère que l’on devrait aboutir à l’effacement total des limites du droit de séjour afin que les citoyens bénéficient d’une liberté de circulation complète et inconditionnelle. Elle espère ainsi que le "telos" de la libre circulation des personnes se détachera de sa dimension économique pour incarner un projet politique et social.

Le statut du citoyen européen constitue désormais le socle minimal de droits fondamentaux des ressortissants communautaires. Il demeure toutefois de nombreuses disparités selon le statut économique des citoyens. Ainsi, les travailleurs des nouveaux Etats membres sont limités dans l’exercice de leur libre circulation pendant une période dite transitoire. Anastasia Iliopoulou craint, à cet égard, la création d’une seconde classe de citoyens alors même que le défi de l’Union consiste en la création d’un espace social, civil et politique homogène.

Les conséquences de la citoyenneté ne peuvent, pour le moment, être pleinement appréciées. Selon Anastasia Illiopoulou, celles-ci se situent entre ce qui est "juridiquement possible et politiquement réalisable".

 



II. Annuaire de droit européen (Vol. III)
: La personne, sujet du droit européen

L’annuaire de droit européen comprend une étude sur un thème de droit européen au sens large, présente l’actualité législative, jurisprudentielle, politique ainsi que la revue des ouvrages et des articles parus sur une année.

L’étude du volume III, concernant l’année 2005 mais publié en 2008, porte sur la personne, sujet du droit européen, sujet de droit européen. Cette étude permet de prolonger la réflexion sur la place de l’individu dans l’espace européen (entendu cette fois au sens large).

La place de la personne dans le droit européen n’est pas évidente à cerner. A l’origine, le droit communautaire était tout entier tendu vers la réalisation d’un marché commun. Comme le démontre Anastatia Illiopoulou, la qualité de citoyen européen a permis de franchir une étape puisque, désormais, le bénéfice de droits ne dépend plus de l’exercice d’une liberté économique.

 

Est abordé, en premier lieu, la notion même de personne au sens des droits européens.

Eric Carpano souligne, dans une analyse comparée du droit européen des droits de l’Homme et du droit communautaire, que les deux ordres juridiques donnent aux personnes physiques une double personnalité juridique : interne et européenne. Peter Oliver met en exergue quatre catégories de particuliers bénéficiant des droits découlant du traité établissant la Communauté européenne : les personnes physiques, les sociétés commerciales ou entités assimilées, les associations ou organisations poursuivant un objectif non lucratif et les syndicats. Jean-Yves Carlier étudie le passage de la circulation des travailleurs comme liberté fondamentale à la citoyenneté européenne comme statut fondamental. Il considère que le statut de citoyen de l’Union est une forme d’aboutissement du statut du ressortissant économique. Marina Eudes s’interroge sur la notion de personnes privées au regard de la CEDH, notamment de l’article 34. Elle en déduit que la notion de groupe de particuliers renvoie à la question de la reconnaissance de droits collectifs aux membres de celui-ci, comme les minorités.

 

Sont étudiés, en second lieu, les droits et garanties accordées aux personnes privées.

Valérie Michel se demande si le droit de participer à la vie politique communautaire est un droit substantiel du citoyen européen. Elle souligne, à cet égard, que si la citoyenneté européenne constitue une avancée, la consistance de ce droit est encore limitée, notamment parce que l’entremise des Etats membres demeure (seuls les nationaux d’un Etat membre peuvent se prévaloir de la citoyenneté européenne). Gérard Gonzales considère que le premier des droits du sujet de droit européen des droits de l’homme est l’invocation de la CEDH. En effet, le recours individuel est la garantie première pour les personnes de voir leurs droits substantiels reconnus et protégés. Florence Benoît-Rohmer se demande justement si le recours individuel n’est pas victime de son succès. La Cour européenne des droits de l’Homme doit faire face à l’encombrement de son prétoire et réfléchit à une réforme.

Enfin, Bérangère Taxil se penche sur la question de la spécificité du statut de l’individu en droit européen au regard de l’ordre international. Elle relève que la différence entre le traitement de la personne dans l’ordre européen et celui dans l’ordre international est essentiellement une différence de degré. Ainsi, les individus sont les destinataires des normes européennes, ces dernières entrent directement dans leur patrimoine juridique et ils peuvent s’en prévaloir directement auprès des juridictions nationales ; ce qui est rare s’agissant des normes internationales