Quelques homélies de Chrysostome concernant certaines épîtres de Paul. Un livre précieux pour qui veut cerner les enjeux de la pensée paulinienne.

Le présent ouvrage constitue le troisième volet d’une série de quatre livres   consacrés aux commentaires des épîtres de Paul par saint Jean Chrysostome, un des plus célèbres Pères grecs de l’Eglise. L’éditeur nous propose dans ce troisième volume les homélies (ou commentaires bibliques) des Lettres aux Galates, aux Philippiens, aux Colossiens et aux Thessaloniciens.

Une brève introduction nous rappelle tout d’abord la vie de celui qui fut surnommé Chrysostome, c’est-à-dire Bouche d’or (tant son éloquence semblait précieuse). Né à Antioche au milieu du IVe siècle, il fut ordonné prêtre en 386 et commença son activité de prédicateur dans cette même ville. En 397, il fut nommé patriarche de Constantinople mais ses attaques répétées à l’égard d’une fraction importante du clergé et la remise en cause de l’impératrice Eudoxie lui valurent la déposition. Exilé en 403, il partit d’abord dans le Taurus puis dans le Caucase, voyage pendant lequel il mourut en 407.

Par-delà cette vie mouvementée, ce qui fait la force et la renommée de Chrysostome, ce sont ses quelque 700 homélies sur des livres de la Sainte Ecriture au nombre desquelles figurent bien évidemment les très célèbres commentaires des épîtres de Paul. Le Père de l’Eglise aimait beaucoup le grand apôtre et il avait étudié avec passion ses textes. Dès 391, il entreprend un commentaire de ses écrits en commençant par l’épître aux Romains.

Dans une traduction claire et précise à partir du grec   , la présente édition, menée par Jacques de Penthos, nous restitue avec bonheur la richesse de la pensée de Chrysostome en ne retenant, nous précise l’auteur, que "les passages qui commentent directement le texte de saint Paul", renonçant par là même aux digressions ou répétitions qui terminent les homélies. De fait, tout l’intérêt de l’ouvrage est de maintenir un corps à corps direct entre le texte paulinien et le commentaire de Chrysostome, sans jamais recourir au système des notes   . Ce choix éditorial nous permet de cerner au plus près les enjeux de la pensée paulinienne grâce à un Chrysostome pédagogue et toujours soucieux de lever les éventuelles ambiguïtés relatives aux épîtres.



Le lecteur trouvera ainsi dans le premier commentaire sur l’épître aux Galates de précieux renseignements sur l’incirconcision et la façon dont Paul entend dépasser la loi judaïque pour l’ouvrir au règne de la foi. A ce titre, Chrysostome a le mérite d’expliquer que la pensée paulinienne et le christianisme naissant ne se définissent pas tant dans l’opposition au judaïsme que dans son approfondissement, la foi venant dépasser et parachever l’oeuvre de la Loi   . Afin de rendre son explication plus claire, le Père de l’Eglise utilise, comme très souvent, une comparaison à la fois simple et éclairante : "Car la loi en retenant les Juifs derrière la crainte, comme derrière un rempart, et en leur imposant un genre de vie en rapport avec elle-même, les conservait pour la foi."

Le commentaire de l’épître aux Philippiens évoque à son tour le rapport entre la Loi et la foi dans une perspective complémentaire tout en affirmant que seule la foi peut conduire à la connaissance de Dieu   . De là, la volonté chez Paul d’abandonner la circoncision charnelle pour privilégier ce que le patriarche de Constantinople nomme pertinemment la "circoncision spirituelle". La grande richesse de ce commentaire réside toutefois, à mon sens, dans les homélies VI et VII où l’on voit le prédicateur évoquer l’épineux problème des hérésies   . Faisant explicitement référence à l’arianisme, Chrysostome entend démontrer l’unité et l’égalité absolue entre le Père et le Fils (ce que l’on appelle, avec le Saint Esprit, l’hypostase), espérant par là même "renverser le système hérétique". De tels passages démontrent à la fois la rigueur et la puissance intellectuelle du prêtre d’Antioche, toujours soucieux d’expliciter la pensée de Paul.

Le troisième commentaire concerne l’épître aux Colossiens et porte essentiellement sur le mystère de la foi, susceptible, pour peu qu‘il soit disponible à la parole de Dieu, de toucher chaque individu. Encore une fois, Chrysostome, pour rendre limpide la pensée paulinienne, recourt à une comparaison très réaliste : "C’est comme si, d’un chien famélique et galeux, hideux et difforme, gisant sur le sol sans pouvoir faire un seul mouvement, on faisait tout à coup un homme, pour faire asseoir cet homme sur un siège royal." Comparaison ô combien surprenante et néanmoins éclairante pour expliquer la grâce divine accordée à l‘homme, quel qu’il soit. Un peu plus loin, dans ce même commentaire, le prédicateur recourt cette fois-ci à l’antithèse pour expliquer le mystère de la foi et de la grâce divine : "La foi n’est plus tirée d’une côte de l’homme ; nous sommes tous tirés de la côte du Christ." La foi, initialement associée à la prière, est ainsi la promesse d’apparaître dans la "gloire du Christ" (saint Paul) car "la seule perle aussi est cachée, tant qu’elle est renfermée dans le coquillage", nous dit Chrysostome.

Enfin, le dernier commentaire concernant l’épître aux Thessaloniciens souligne l’"ardente charité" et "l’humilité du langage" chez Paul. Le Père de l’Eglise, attentif comme à son habitude au moindre mot employé par l’apôtre, scrute pas à pas la pensée de l’homme de Tarse, révélant la finesse de sa psychologie, lui qui sait être à la fois doux, rassurant et ferme afin d’engager et d’affermir les Thessaloniciens dans le chemin de Dieu. C’est d’ailleurs à la fin de la huitième homélie du commentaire que Chrysostome trouve, à mon sens, une admirable métaphore pour souligner la nécessité salutaire de la foi : "Servons-nous des divines Ecritures comme d‘un navire ; déployons les voiles de la foi. Si nous montons sur ce navire-là, nous aurons pour pilote la parole de Dieu : si au contraire nous nous jetons à la nage au milieu des raisonnements humains, plus d’espoir."


L’évêque d’Antioche, lecteur attentif des épîtres de l’apôtre, sait tout au long de ses homélies insister sur l’importance du choix des mots chez Paul, expliciter les points obscurs du texte et pousser jusqu’à leur terme les interrogations qui le sous-tendent. Maîtrisant lui-même parfaitement les techniques de la rhétorique, il recourt tantôt à l’apostrophe, tantôt à la comparaison, suscitant en permanence l’intérêt du lecteur. In fine, c’est bien la pensée paulinienne elle-même qui se trouve éclairée d’un nouveau jour. Le patriarche de Constantinople, quelque trois siècles après la rédaction des épîtres de Paul, nous en livre un commentaire précis et étonnamment moderne, loin de toute position dogmatique. Tout le mérite de cette nouvelle édition revient en définitive d’avoir su mettre à la disposition du lecteur français, dans une langue très accessible, les commentaires par Chrysostome, verset après verset,  des épîtres de Paul, textes fondamentaux du christianisme après les Evangiles