C'est donc le film Lebanon, de l'Israélien Samuel Maoz qui a obtenu samedi soir à Venise la récompense suprême, le Lion d'or. Ce film en grande partie autobiographique place le spectateur au cœur de l'action, en 1982, au début de la Guerre du Liban. Nous sommes « embarqués » avec quatre jeunes Israéliens qui découvrent en même temps que nous les horreurs de la guerre ; embarqués au sens propre, car presque tous les plans du film sont tournés à l'intérieur d'un char s'aventurant en terre ennemie. Un film de guerre alors ? Oui et non. Maoz s'intéresse à l'humanité de ses personnages, à la peur qui les prend au ventre, qui les fait ruisseler de sueur, qui les fait trembler au moment de tirer.

Maoz n'entend pas faire de ces jeunes tankistes des héros. Son point de vue se rapprocherait plutôt de celui d'un Kubrick dans Les sentiers de la gloire, au fond des tranchées de la Grande guerre. Ceci dit, si Maoz a mis plus de vingt-cinq ans à pouvoir travailler sur ses propres traumatismes, c'est aussi parce qu'il a été témoin de crimes de guerre : des civils sauvagement assassinés par les soldats ou l'utilisation d'armes interdites par la convention de Genève, comme le phosphore. Le commandant de l'unité explique qu'il ne faut pas prononcer le mot "phosphore" et convient d'un code oral avec ses subordonnés. Les communications étant enregistrées ou écoutées, il ne faut pas laisser de traces. Comment ne pas voir aujourd'hui en 2009, dans ces scènes, un plaidoyer contre la Guerre de Gaza de l'hiver dernier ? C'est d'autant plus courageux de la part du jury d'avoir honoré ce film d'un Lion d'or, et courageux également de la part du Fonds israélien pour le cinéma – il faut le reconnaître – d'avoir soutenu un film qui oscille entre la dénonciation des crimes commis par l'armée et le portrait humaniste, presque généreux, des soldats de cette armée.

Le cinéma israélien est décidément d'une grande richesse. Jaffa de Keren Yedaya (avec Rontit Elkabetz) avait été remarqué à Cannes, en mai dernier, aux côté de deux autres films très réalistes, Ajami (de Scandar Copti, Yaron Shani), qui ne sortira que le 3 février prochain sur nos écrans, et Tu n'aimeras point (par Haim Tabakman), sorti début septembre et bénéficiant d'une excellente critique. Gageons que, de même, nous entendrons encore parler du court-métrage présenté la semaine dernière à Venise, Sinner, de Meni Philipp, qui vient déjà d'être sélectionné pour le Prix du cinéma européen. Son auteur aborde la question des abus sexuels commis dans les yechivot, ces écoles religieuses orthodoxes. Le cinéma comme espace de liberté, encore et toujours. A ce titre, on peut espérer (comme le faisait remarquer un lecteur de nonfiction.fr au sujet du dernier billet), qu'un film vénézuélien réalisé par un opposant au régime de Chavez vienne contrebalancer le très hagiographique South of the Border d'Oliver Stone.

Si en 2008 le jury du festival de Cannes avait « oublié » dans son palmarès le formidable Valse avec Bachir (d'Ari Folman), la Mostra, réputée comme étant un des festivals les plus politisés, n'a pas laissé passer un autre ovni cinématographique. La distinction accordée à Lebanon clôt d'ailleurs habilement une sélection à l’intérieur de laquelle ce sont les films engagés qui ont été les plus chaudement accueillis (cf. « La Mostra de Venise célèbre la fin du capitalisme triomphant »)