Avec pédagogie, cet atlas vise à embrasser la complexité d’un objet entre Nature et Culture.

Après l’Atlas des développements durables paru dans la même collection et la Géographie de l’environnement  parue chez Belin Sup en 2007, présentant tous deux un développement sur la forêt dans le cadre du paradigme à tendance hégémonique du Développement Durable, voici un atlas consacré exclusivement à la forêt comme objet géographique complexe. Cet atlas prend la suite, en l’élargissant à l’échelle mondiale, du propos de l’Atlas des forêts de France (J.Gadant (dir.), 1992, De Monza Editeur) en montrant la nécessaire approche systémique des forêts.
 

Dans une introduction programmatique, la première phrase : « il y a mille et une forêts »   donne le ton : les forêts sont multiples, non seulement écologiquement, mais aussi par leurs gestions différenciées et les représentations divergentes qu’elles suscitent. L’objectif est clair : proposer la première synthèse cartographique sur les forêts dans le monde. Les auteurs partent d’une hypothèse épistémologique forte : la forêt, au-delà de sa pluralité, est un objet d’étude complexe, à la croisée des approches écologiques et sociales. L’approche économique, troisième terme attendu du triptyque « Développement durable » n’est pas explicitement mentionnée dans l’introduction malgré l’importance de la mondialisation du marché du bois et des développements ultérieurs sur « l’économie du bois »   ou les entreprises du bois   .

 Questions de définitions

Ces développements sont les plus stimulants car les plus essentiels pour débrouiller le sujet : le retour sur les différentes normes nationales dans la définition des forêts concernant notamment la hauteur des arbres et le taux de recouvrement donnent une première idée de la différence des représentations   .
Les pages suivantes, dans une utile mise au point, étudient la répartition des grands ensembles forestiers à différentes échelles, du mondial au local, mettant l’accent sur des exemples divers et bien documentés  par des coupes et des cartes. Elles mettent en évidence la répartition zonale des types forestiers, les effets de façade océanique (plus ou moins arrosée) et l’effet de la continentalité.
Les auteurs insistent utilement sur le fait suivant : les forêts sont des objets spatiaux pourvus de dynamiques temporelles différenciées car multiscalaires, du local (la Montagne de la Lure) au mondial  

Enjeux et conflits : l’approche systémique et actorielle

Le propos du cœur de l’ouvrage -deuxième, troisième, quatrième et cinquième partie   - vise à démêler les enjeux et les conséquences de la trifonctionnalité des forêts, à la fois aires biologiques à protéger, ressources économiques à exploiter et espace récréatif à valoriser dans un monde de plus en plus urbain.
Les enjeux naturalistes et écosystémiques sont bien montrés, insistant notamment sur les enjeux de la migration des forêts consécutive au réchauffement climatique ou à la préservation de la biodiversité des espèces. Dès lors, les enjeux deviennent « politiques »   comme le montre l’instrumentalisation du processus de déforestation, « corollaire  indispensable de la mise en valeur agricole »   . La mesure de l’évolution du couvert forestier est enjeu de pouvoir, révélé par les cartes   , tout comme les périmètres de protection.

Par leur répartition sur cinq des six continents, les forêts entrent dans le processus de la mondialisation, tant au sujet de l’exploitation, comme le montre le système de sous-traitance d’Ikéa, que la course à l’écocertification menée par les ONG du Nord pour protéger les forêts du Sud. Les forêts sont donc des enjeux économiques majeurs   . Cette volonté de standardisation de la gestion forestière condamne les pratiques traditionnelles d’exploitation et de régulation comme l’a montré  Sophie Moreau dans sa thèse sur Les Gens de la lisière  à Madagascar. Les forêts sont donc aussi des lieux d’épanouissement d’une culture et de ses symboles. Cette question des représentations de la forêt est peu traitée dans l’ouvrage et a été pourtant abordée par les géographes, notamment A. Berque pour le Japon.


Etude de cas

Dans la dernière partie de l’ouvrage   , les études de cas illustrent avec clarté la thèse forte de l’Atlas ; les forêts sont plurielles, les enjeux différenciés. Le constat est clair pour l’Amazonie qui possède au moins six couverts forestiers différenciés, sans compter les écotones, zones de contact entre des formations végétales différentes. Soulignons ici l’utilité et la clarté du glossaire. L’Amazonie est le lieu des paradoxes : forêt la plus déforestée et la plus concernée par les périmètres de protection. Elle est devenue le symbole de la difficulté d’une gestion forestière durable, entre protection et exploitation.
Montrant bien que la géographie de la répartition forestière est en évolution, les auteurs développent ensuite l’exemple de l’Uruguay, « pays de l’herbe » devenu pays de l’eucalyptus. Cette évolution est contradictoire : volonté affichée de développement durable mais aussi opportunité de développer l’industrie de la pâte à papier (4 % de la production mondiale en 2007) par importation d’une essence exotique à pousse rapide. Cette industrie créée ex nihilo, provoque des externalités négatives comme la pollution du fleuve frontalier Uruguay et des tensions diplomatiques avec l’Argentine.
Même si les études de cas sont peu nombreuses, à cause du format la collection, de très nombreux exemples problématisés dans les pages précédentes en tiennent lieu.

Enfin, la conclusion, reprenant l’introduction,  insiste utilement sur la nécessité d’une approche globale de l’objet « forêt » et de sa gestion raisonnée. Les forêts deviendraient alors de véritables territoires, espaces appropriés par ceux qui les habitent, permettant de lutter contre le mal-développement. Les espaces forestiers joueraient alors pleinement leur rôle d’interface entre Natures et Cultures.