PAR BARNABE LOUCHE*

Ce week-end, le Nouvel Observateur fait sa "une" sur un spécial Immobilier. Sujet essentiel il est vrai pour l'hebdomadaire qui se prétend de gauche, la veille de l'université d'été du PS de la Rochelle et au moment où tout le monde parle des primaires, des alliances et autres questions relatives à l'avenir de la gauche. Autre petite pique, quand même, un sondage sur "la percée de Dominique Strauss-Kahn" - histoire de semer un peu la zizanie au PS.

Cette logique, "j'aime tellement la gauche que je lui tape dessus en permanence à bras raccourcis" depuis 6 mois serait anecdotique si elle ne reflétait, en fait, un véritable agenda politique du Nouvel Observateur en faveur de Nicolas Sarkozy.

Beaucoup se sont étonnés de la longue interview d'avant les vacances avec le président de la République, consternante par le choix des questions, le cirage de pompes du président Sarkozy, le fait qu'on colle à son agenda médiatique, et plus encore par le fait que la rédaction n'a pas été associée à cette interview. Les attaques à répétition contre le PS dans le Nouvel Observateur (parfois nominatives et déplacées contre Benoit Hamon ou Claude Bartolone - qui, je précise, ne sont pas parmi mes amis) montrent un agenda et des réglements de compte personnels. Interrogés il y a quelques jours, plusieurs responsables du Nouvel Observateur confirment que jamais dans l'histoire du Nouvel Observateur une interview du président de la République n'a été décidée en secret, sans associer les chefs de rubrique politique, et sous le prétexte qu'elle a été faite dans l'urgence pendant le week-end..."et comme s'il n'y avait pas de téléphones portables". On me précise aussi qu'on n'a jamais vu un directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, ni d'aucun journal d'ailleurs, mettre son nom pour signer une interview... avant celui des autres rédacteurs. Les rumeurs les plus folles circulent d'ailleurs en cette fin du mois d'août sur le fait que le directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, après avoir été pressenti pour être ministre de la Culture, serait en course pour la présidence de France Télévisions, à la fin du printemps prochain (ce qui expliquerait l'interview de Sarkozy... qui portait étrangement beaucoup sur France Télévisions).

Toujours est-il que depuis sa victoire à la direction du PS, Martine Aubry n'a fait l'objet d'aucune interview digne de ce nom dans le Nouvel Observateur et d'aucune "une". On peut l'aimer ou pas, mais dans aucun pays au monde, un hebdomadaire national prétendument de gauche n'aurait assisté à l'élection d'un nouveau leader au PS sans s'y intéresser et sans lui accorder plusieurs "unes".

Et pour corriger l'absurdité de l'interview Sarkozy d'avant l'été, on aurait pu imaginer en cette rentrée - même si on ne l'aime pas, même si on ne croit pas en elle - que le Nouvel Observateur mettrait Martine Aubry à sa "une", avec un dossier sur "ses idées", "comment elle compte reprendre la main", "comment elle va battre Sarkozy", "quelle est son équipe", "qui sont ses intellos, ses technos" etc. ce que le Nouvel Observateur a toujours fait avec les leaders de la gauche, quels qu'ils soient, et même quand ils ne croient pas en eux...

Je m'interrogeais sur ces évolutions du Nouvel Observateur lorsque j'ai appris de sources directes cette information. Le directeur du Nouvel Observateur a bien proposé à Martine Aubry, avant l'été (au moment de l'évènement Sarkozy), une interview pour le Nouvel Observateur. Il s'agissait d'une interview de deux pages avec le directeur de la rédaction, et Martine Aubry, sur HADOPI. Pas sur le PS, pas sur les primaires, pas sur la gauche... écoutez bien : sur Hadopi.

Cette information m'a été depuis confirmée dans l'entourage de la première secrétaire du PS (qui a bien sûr refusé cette interview). Tout s'explique maintenant en matière d'agenda personnel. On accorde 10 pages d'interviews et la "une" au président Sarkozy... et on propose deux pages intérieures à Martine Aubry sur Hadopi avec l'inventeur en chef de cette loi sarkozyste désastreuse qui a fait l'objet d'une censure historique du Conseil Constitutionnel sur la question de la liberté d'expression. Et lors de l'université d'été du PS, on fait la "une" sur un Spécial Immobilier. Le point important si vous avez trop d'argent à placer : "La folie Scellier". C'est en page 62.

Avec un journal "de gauche" comme le Nouvel Observateur, Nicolas Sarkozy peut dormir sur ses deux oreilles. La follie Scellier, on vous le disait bien.

 

* Barnabé Louche est chef du pole politique de Non Fiction.

 

COMPLEMENTS & REACTIONS

* Cet article a suscité des milliers de lectures sur nonfiction, il a été repris sur rue89 (plus de 14.000 visites et des centaines de commentaires) et bétapolitique notamment, et a fait l'objet de mentions dans des dizaines de blogs et médias, y compris aux Etats-Unis (blog French Politics). Le directeur adjoint de la rédaction du Nouvel Observateur, Michel Labro, nous a précisé "qu'une interview de Martine Aubry de deux pages a été publiée dans l'édition du 28 mai 2009, titrée "Martine Aubry, droite dans ses bottes". Il précise que le sondage ne portait pas sur Dominique Strauss-Kahn mais sur 11 présidentiables : à l'époque DSK faisait une percée, comme d'autres sondages, dans d'autres journaux, l'ont également pointé ». Dont acte (mais nous le savions déjà).

* Denis Olivennes, PDG du Nouvel Obs., a également répondu à cet article : voir son droit de réponse.

* Certains nous ont reproché d'avoir publié ce texte alors qu'il ne concernait pas les idées et les livres. Or, nonfiction a, depuis son origine, voulu être un site qui se proposait de contribuer, par les critiques des livres, et les idées, à repenser la gauche (au sens large, sans exclusive, en conservant notre liberté et sans être "embedded"). Le débat autour de la nouvelle ligne du Nouvel Observateur s'inscrit pleinement dans cette logique. Il est intéressant de signaler d'ailleurs que dans le numéro du journal cette semaine, la bagarre dont nous nous sommes faits l'écho, est clairement lisible pour qui sait lire. Jacques Julliard y publie un remarquable papier de 3 pages qui est une attaque frontale contre le directeur de la rédaction, Denis Olivennes. Julliard y démonte point par point toutes les idées de l'actuel PDG du journal. Ce papier sans compromis, de gauche, moderne, qui ne veut aucune alliance ambigüe avec le centre est suivi par une réponse de Denis Olivennes, justement. Affaire à suivre, donc. (BL)