Une étude sérieuse qui a le mérite de faire redécouvrir une artiste du XVIIe siècle, tombée dans l'oubli : Louise Moillon

Qui connaît aujourd’hui Louise Moillon ? C’est tout le mérite de ce bel ouvrage des éditions Faton qui fait sortir de l’oubli une artiste du XVIIe siècle, spécialisée dans la réalisation de natures mortes. L’auteur, Dominique Alsina, est un historien d’art et un expert. Il livre ici un impressionnant catalogue, fruit de vingt années de recherches.


Essai de biographie

La première partie du livre présente l’artiste. Louise Moillon est née vraisemblablement en 1609 ou en 1610   . Son père, Nicolas, né à Rocroi vers 1580, peintre, s’est établi au début du XVIIe siècle à Paris, dans l’enclos de la foire de Saint-Germain-des-Prés   . Des œuvres de ce dernier, décédé en 1619, on connaît peu de choses. On sait cependant qu’il pratiquait surtout la peinture religieuse. En tout cas, Louise Moillon est issue d’un milieu qui a conquis une "aisance bourgeoise" et qui bénéficie de multiples réseaux dans la capitale   . Le beau-père de Louise, François Garnier (v.1600-1658), est également peintre de natures mortes. Son frère cadet, Isaac (1614-1673), reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1663, est l’auteur de plusieurs œuvres religieuses et profanes, par exemple des toiles conservées à l’Hôtel-Dieu de Beaune. C’est en 1640 que Louise Moillon, alors âgée de 30 ans   , épouse Étienne Girardot, marchand de bois et bailleur d’immeubles. Dominique Alsina fournit ici une solide étude du contexte socio-culturel dans lequel évolue Louise Moillon. Il s’appuie notamment sur une série de documents conservés aux Archives nationales, notamment au minutier central. Les inventaires après-décès de Nicolas Moillon (1620) et d’Étienne Girardot (1680) ainsi que le testament de Louise Moillon (1686) sont d’ailleurs publiés en annexe   . La religion de l’artiste, de confession protestante avant d’être forcée à l’abjuration après la révocation de l’édit de Nantes (octobre 1685), est également mise en avant. De ce point de vue, l’auteur aurait eu intérêt à consulter et à exploiter les travaux menés par les étudiants de Jean-Pierre Poussou et de Michelle Magdelaine, recherches déposées à la Bibliothèque de la Société de l’histoire du protestantisme français, à Paris   .

Autour de l’œuvre peint de Louise Moillon

La deuxième et la troisième partie de l’ouvrage sont consacrées à la présentation et à l’analyse de l’œuvre peint de Louise Moillon. Les incertitudes sont si grandes que l’auteur a été amené à distinguer les œuvres de jeunesse (antérieures à 1642, n°1 à n°49), celles de la maturité (après 1641, soit après le mariage, période d’activité bien plus faible, n°50 à n°69), celles qu’on peut attribuer à l’artiste (n°70 à n°75) et celles qu’il faut "rejeter" (n°76 à n°135). Le catalogue   est d’autant plus difficile à réaliser que la plupart des œuvres sont dans des mains privées, si on excepte quelques toiles conservées au Louvre, aux Augustins de Toulouse, à Strasbourg, ou dans divers institutions ou musées européens et américains. À plusieurs reprises, l’auteur indique une "localisation actuelle inconnue". Tous les tableaux sont reproduits, en couleur ou en noir et blanc, parfois à partir d’une photographie.

Comme le pointe avec force Dominique Alsina, l’expression de "nature morte", qui date du milieu du XVIIIe siècle, est "en totale inadéquation" avec ce qui est représenté sur ce type de toiles. L’expression de "still lifes" ("vies silencieuses" ou "vies tranquilles"), qui a cours en Angleterre ou en Hollande, paraît beaucoup plus idoine   . Nombre d’œuvres de Louise Moillon s’organisent de la même manière : le spectateur peut admirer, sur une table, une corbeille, une coupe ou une assiette dans laquelle sont disposés des fruits. L’éclairage vient de la gauche. Rares sont les tableaux où figurent des personnages. L’auteur souligne le "grand réalisme" de ces œuvres, leur "maturité technique", la "maîtrise parfaite des couleurs et du pinceau", enfin l’"émanation mystérieuse rendue par le dépouillement et le traitement"   . Louise Moillon bénéficie des leçons de son beau-père, François Garnier. On admire les coupes ou les corbeilles de prunes, d’abricots, de fraises ou de pêches.


Dominique Alsina, tout à son souci d’établir une "analyse scientifique" irréprochable   , aborde trop rapidement la question du mécénat d’art à Paris au XVIIe siècle et se montre peu disert sur les influences hollandaises de l’artiste   . Il néglige aussi la question du genre. Que veut dire être femme et artiste au Grand Siècle ? L’interprétation qu’il faut donner à l’œuvre peint de Louise Moillon reste ouverte. Avec l’auteur, on peut douter que le répertoire des fruits et des légumes utilisé soit la manifestation d’un quelconque désir de maternité   .
On l’aura compris, cette publication est appelée à devenir un ouvrage de référence. Il fallait bien toute l’énergie de Dominique Alsina pour sortir Louise Moillon de l’ombre des grands maîtres du début du XVIIe siècle, tels Simon Vouet (1590-1649) ou Nicolas Poussin (1594-1665). L’ouvrage, qui s’appuie sur une importante bibliographie, est richement illustré. Compte tenu d’un prix qui demeure élevé, on aurait pu cependant espérer une qualité iconographique supérieure. L’absence d’index et de table des matières détaillée est également surprenante