Une plongée crue dans l'enfer de la vie des Rolling Stones pendant l'été 1971.

Début avril 1971, les membres des Rolling Stones sont forcés de quitter l'Angleterre pour échapper au fisc auquel chacun d'eux doit plus de 200 000 livres. Keith Richards, guitariste et compositeur du groupe, qui vient de sortir d'une nouvelle cure de désintoxication, s'envole vers le sud de la France avec son fils Marlon, pour rejoindre une villa que ses agents lui ont louée. Anita Pallenberg, mannequin, actrice, mère de Marlon et muse de Richards, les y rejoindra dès qu'elle aura fini sa propre cure de désintoxication une dizaine de jours plus tard.

Jusqu'au 29 novembre de la même année, date du départ définitif des Stones de France pour Los Angeles, la villa louée par Richards, prénommée Nellcote et située dans les hauteurs de Villefranche sur Mer, va devenir le lieu d'habitat et de défonce de Richards et Pallenberg, où l'on croisera toutes sortes de personnages, alimentés par toutes sortes de substances, tandis que les caves humides de la maison seront aménagées pour servir de studio d'enregistrement au prochain album des Stones – Exile on Main Street – qui doit préfigurer leur retour aux Etats-Unis pour une gigantesque et légendaire tournée. Cette série de concerts américains de 1972 fut le sujet du premier livre de Robert Greenfield sur les Stones, STP À travers l’Amérique avec les Rolling Stones publié en 1977. Trente ans plus tard, Greenfield décide de nous conter l'année 1971, bien plus terrible.


Ce qui se passa à Nellcote cette année là est entouré de mystère et recouvert d'une aura mythique ; Keith Richards devenant à la fois Bob Dylan qui enregistre avec The Band les Basement Tapes dans la cave de Big Pink, ou Des Esseintes, héros de À Rebours, perdu dans sa solitude décadente. Ce fut peut-être surtout une histoire de drogues... Selon le mot de Mick Taylor – second guitariste du groupe à l'époque, cité par Greenfield en exergue : « Pour moi, ce n'était rien d'autre qu'une bande de musiciens défoncés essayant d'enregistrer un disque enfermés dans une cave ».


Le parti-pris de Robert Greenfield est de mettre fin aux nombreux mythes existant sur cette période pour retracer le plus exactement possible les événements de Nellcote. Il pointe surtout le rôle négatif et infernal des drogues dans l'enregistrement de l'album, précisant d'ailleurs qu'un tiers d'Exile on Main Street provient en fait de sessions précédentes, contemporaines de Let it Bleed ou Sticky Fingers, et que le mixage à Los Angeles fut considérablement compliqué par la mauvaise qualité des enregistrements français. Il mentionne et s'oppose volontiers aux récits écrits par les acteurs de l'époque, souvent de simples reconstructions des faits à leur propre gloire. Il recoupe tous les témoignages disponibles pour donner finalement une version acceptable et vraisemblable des faits. Mais le détective Greenfield veut également restituer au lecteur tout l'aspect dramatique de la vie à la villa ; il construit son récit comme une pièce de théâtre, présentant les personnages un par un et soulignant leurs tortueuses relationssouvent crues et déplorables, comme lors de l'expulsion de Gram Parsons de la villa ou quand il s’avère qu’Anita Pallenberg est à nouveau enceinte. Comme dans son précédent ouvrage sur le groupe, Greenfield excelle dans la peinture des relations entre les deux frères ennemis, Richards et Jagger : dès le début, le ton est donné sur la raison d'être du duo à Nellcote : «Sans l'aide de son meilleur ami et co-auteur de chansons Mick, qui l'a déjà trahi avec la femme qu'il aime, Keith ne peut que terminer le nouvel album sur lequel travaillent les Stones. Sans l'album, les Stones ne peuvent pas tourner en Amérique. Sans l'argent qu'ils vont gagner là-bas, ils ne peuvent pas survivre en tant que groupe. En dépit de tout ce que Mick lui a déjà fait et lui refera bientôt, Keith doit trouver un moyen de cohabiter avec lui. » (p.25)


L'écriture est minutieuse, belle et sévère, remarquablement rendue par la traduction de Philippe Paringaux (il fallait bien un spécialiste du rock pour traduire un ouvrage dont les phrases sont truffées de référence à des titres de morceaux...), et laisse peu de place au rêve, à l'imaginaire facile et excitant du mythe rock'n roll. On y parle finalement peu de musique, surtout d'insouciance, de cruauté, de bêtise, de mépris, de mort et de gâchis. Un tableau sombre dévoilé cet été 1971 à Nellcote, au sein duquel Keith Richards trouvait pourtant la force de composer « Happy ». Une certaine idée de l'enfer