En retrait des ouvrages-racolage qui se dressent quand la star se couche, un des retours les mieux documentés sur la vie et la carrière du King of Pop.

Il préparait plus de deux cents pages pour narrer l'énormité d'un procès et dire l'innocence d'une personnalité différente. Pour Olivier Cachin, référence française en matière de musique noire, le chronomètre s'est, plus ou moins de lui-même, bien réglé. Et a invité le spécialiste à élargir son sujet.

Michael Joseph Jackson, révolutionnaire de la galaxie musicale dans les années 1980, a vu dégouliner le brillant de son armure de vainqueur. Pour sa fin de 20ème siècle et le début de siècle suivant, il se salit dans l'abyme des accusations de pédophilie et se laisse  gagner par une regrettable dépigmentation... artistique. Après 2001, ce sont deux grandes tours et un géant qui sont par terre. Fantôme assurant un service parfois en-dessous du minimum lors de ses très rares apparitions sur scène, fragile artiste sur l'album pauvre en couleurs et mal titré Invincible   : l'expression "se reposer sur ses lauriers" s'approprierait presque ce bel exemple de prodige qui s'est mis en mode veille.
 
5 mars 2009 : ça y est, Michael confirme ce bruit qui laissait entendre que la musique allait reprendre. "This is it" : il assurera, sous ce titre qui annonce à la fois que "c'est terminé" et que c'est reparti, plusieurs concerts à Londres. Oui, ça y est, l'actualité estampillée M.J. semble chauffer sur des accents positifs. La dizaine de concerts attachés au sol britannique gonfle rapidement pour devenir une cinquantaine de dates éparpillées sur le globe... Quelques mois auparavant, l'annonce de la parution, pour la rentrée 2009, d'une édition spéciale de Off the wall, premier vrai bijou, vieux de 30 ans, de la couronne jacksonienne, annonçait déjà un possible retour à la vie pour le plus accompli des fils Jackson.
 
Pour celui qui planche sur le cas du chanteur noir devenu blanc, ces offensives artistico-financières – il semblerait que les caisses du Roi soient vides – représentent une occasion en or pour faire mûrir le projet : écartée la focalisation sur un épisode polémique, le document prendra plus de corps et balaiera toute une carrière.
 
En prélude de son travail biographique, Olivier Cachin revient, bien évidemment, sur cette coïncidence, fâcheuse pour la star et le fan, le parent et le lambda, heureuse pour l'esprit marketing, qui veut que la montre ait joué en la faveur du projet Pop Life bien plus que prévu. Le Roi est mort, l'hommage papier est tout prêt. La chronologie est gâtée. Tout prêt ? Pas tout à fait. L'auteur explique que, le 25 juin 2009, il a achevé sa dernière relecture vers 18 heures et que seul l'ultime chapitre reste à écrire. La chronique M.J. par O.C. baissera le rideau en analysant le retour sur scène tant attendu. La page est donc laissée blanche en attendant les concerts de juillet. Mais le 25 juin 2009, le sujet – ou faut-il dire la Majesté ? – est  en réalité bel et bien achevé. Et Olivier Cachin devra gommer le titre de son chapitre 35, "King of Pop, King of Stage", pour graver le point qui marque le vrai final.

25 juin 2009, 18 heures. Paris. Un bureau dans un salon parisien. Olivier Cachin achève la relecture de l'ouvrage qu'il consacre à Michael Jackson.
 
25 juin 2009, 18 heures. La ville des Anges. Un salon vide. Un Michael Jackson qui a définitivement achevé de respirer.

Le scénario paraîtrait presque trop bien agencé. On sait cependant que les coïncidences les plus folles s'amusent régulièrement à nous surprendre. On ne doutera pas plus que de raison du calendrier de travail officiel de Pop Life. On regrettera cependant, avec fermeté, les faiblesses d'écriture qui entachent le travail par endroits. Et qu'on pourrait peut-être rattacher aux aléas de la précipitation. Quelle qu'en soit la raison.
 
Oui, l'oeuvre de Michael Jackson, Olivier Cachin la connaît bien. N'est-ce d'ailleurs pas l'auteur d'un répertoire de 100 albums cultes soul, funk et R&B   que caméras et micros français se sont arraché pour revenir sur la mauvaise nouvelle ? Le temps de 150 pages, la musique (Pop) et la vie privée (Life) de Bambi sont traitées sur le mode de l'exhaustivité et de la clarté : l'anecdote de genèse musicale (une rencontre artistique, l'écriture d'une chanson) rencontre l'analyse lucide de la personnalité atypique du jeune Michael, dans un récit chronologique qui captive. Le temps de 150 autres pages, la mise en contexte s'efface un peu, beaucoup, un peu trop. Certains chapitres deviennent un tracklisting d'album rempli à coups de noms de paroliers, compositeurs et remixers. Dans cette seconde tranche de vie, Michael a pâli, le récit aussi. On se casse un peu les dents sur de la donnée brute, qui a perdu la saveur des enrobages faits de petites histoires, de sentiment et de recul. On regrettera encore, sur les trente-cinq chapitres qui s'alignent, la fadeur de certains titres, qui peuvent  s'articuler en deux temps... malheureusement morts (Chapitre 25 : "Un enfant, enfin. Et du sang sur le dance-floor"), voire ne pas se trouver à leur place en tête du chapitre qu'ils surplombent (Chapitre 24 : "Eloge de la fuite"). Quelques jours après sa sortie, le livre demande déjà, sur une ligne, à être actualisé : la vidéo de l'incendie capillaire de Jackson pendant le tournage d'une pub Pepsi est classée secrète par Cachin, le buzz créé par la mort du chanteur a libéré l'image, classée célèbre en un tour de main. Ici, l'auteur n'est pas coupable. Là-bas, quand il s'agit d'une erreur de référence (le journal The Insider, qui a publié une photo en haute définition de Jackson sur sa civière, est maladroitement rebaptisé The Insider HD !) ou, plus basique, de fautes d'orthographe échappées, on en voudrait presque à l'éditeur.
 
Une fois listés les chefs d'accusation contre l'hommage de rigueur publié par la maison Alphée, on peut enfin avouer aimer cette bio-dico musicale... quand elle ne joue pas trop à imiter la sécheresse des dictionnaires. Dans le champ de l'opportunité éditoriale, où les hommages papier apparaissent en deux temps, trois mouvements, deux pop (un pop pour la surprise, un pop pour la bulle creuse qui éclate), le livre d'Olivier Cachin se classe, il n'y a pas à en douter, parmi les objets à lire. Il est mort, le "divin" enfant. Et Olivier Cachin chante son avènement. Sa décadence aussi.
 
Il était une fois un adulte de huit ans...
 
La particularité qui aura collé à la peau de Michael Jackson, bien plus encore que ce vitiligo qui a mangé son épiderme de taches blanches, c'est le décalage des âges. Si le Michael au nez refait est décrit, par ses alliés comme par ses détracteurs, comme un immuable enfant, avec son bagage de caprices et de comportements candides, la mère du petit Michael, celui qui fera ses débuts face au public à l'occasion d'une fête d'école, en 1963, se rappelle avoir été impressionnée par son fils dès sa naissance. Loin des bambins qui gigotent en désordre, Michael Joseph "a toujours été spécial. Quand il dansait, il semblait plus âgé." Et quand il a commencé à danser (au rythme du tambour de la machine à laver), il ne savait pas encore tout à fait marcher.

À enfant précoce, rôle d'adulte ? Michael n’a que cinq ans lorsqu’il est fait chef de la fratrie chantante mise en place par le patriarche Joseph Jackson, employé d'usine et, dans ses jeunes années, médiocre musicien vite recraché par le showbiz. C'est Jackie (frère numéro un) qui dit à Joe (père tout-puissant) que Michael (frère numéro cinq) doit remplacer Jermaine (frère numéro trois) en tant que leader vocal du quintette. Un quintette qui, porté par le charisme bluffant du plus jeune des membres du groupe, va connaître le succès et l'hystérie des filles sous l'étiquette "The Jackson Five", avant d'enregistrer et de tourner en tant que "Jackson 5", "J5" en plus court, une marque déposée par l'ogre Motown, qui a porté les productions des cinq frères – et les a allégés de quelques royalties – pendant plus de dix ans. Lorsque le label Epic accueillera les cinq frères moins un (Jermaine  mise sur une carrière solo sous l'aile de la Motown), plus un (le dernier fils Jackson, Randy, rejoint la troupe), le nom de la gloire, « Jackson 5 », ne pourra pas être mobilisé et il faudra se contenter d'un « The Jacksons », au risque d'égarer un petit lot de fans.

La longue promenade d'Olivier Cachin autour des années Motown vaut le détour. Le cas J5 ne fait qu'illustrer une vérité plus générale, qui veut que la Motown soit en un seul et même temps le vivier des créations musicales parmi les plus géniales des années 1960 aux années 1980, donnant au label créé par Berry Gordy son aura mythique, et le terrier des usurpateurs les mieux rodés. C'est aussi la Motown qui révèle l'homme dans le très jeune Michael. A 11 ans, le chanteur comprend déjà la philosophie marketing & show biz.  d'abord à la voix d'une Diana Ross qui annonce l'arrivée, sur la scène du Daisy (une discothèque de Beverly Hills) des Jackson Five, emmenés par le "sensationnel Michael, 8 ans", le chanteur intègre très vite l'importance de l'image. Quelques heures plus tard, il sort gagnant de la (douce) bataille qui l'oppose à Pauline Dunn, reporter au Los Angeles Sentinel, tente de lui faire avouer qu'il aura bel et bien 11 ans dans trois semaines ! On voudra bien aller un peu plus loin dans le jeu du mensonge en soutenant dur comme fer que c'est Diana Ross, la star Motown du moment, qui a découvert, comme une grande, les cinq frères Jackson. Alors qu'ils ont réussi, comme des grands, à force de persévérance, à s'imposer en rendez-vous auprès de la Motown, en 1967, après plusieurs non-réponses. Le premier opus des intéressés obligera d'ailleurs les bacs à ne pas dire la vérité avec un "Diana Ross presents the Jackson 5"   .

Les problèmes avec son âge, Michael les doit aussi à sa maturité musicale : la précision de ses pas et de sa voix suscitent, dès les premières apparitions du groupe, des accusations de supercherie. Joe Jackson présenterait sur scène un fils nain, qui aurait bien largement dépassé la dizaine d'années... Une date de naissance falsifiée pour vendre un monstre de scène... La maturité d'esprit, Michael l'a aussi pour lui. Et comprend très bien, du haut de ses neuf ans, que si son père le fait chanter, il peut le faire chanter aussi : "Si jamais tu me frappes encore, je jure que plus jamais je ne chanterai", lance le prodige à son papa-manager après une énième correction physique. Si Madame Jackson n'approuve pas la méthode, elle reconnaît que son Michael ne s'arrange pas pour échapper aux punitions : il a déjà, à cette époque, le caprice lourd et régulier de la star. Et il ne réussira pas vraiment à s'en défaire.

Quels outils creusent le fossé entre l'âge du corps et celui de l'âme ? Certains auront peut-être envie de s'arrêter sur les conditions de vie difficiles de la famille Jackson. Le clan a connu, avant l'ascension des cinq frères, la vie en dessous du seuil de pauvreté. Le clan n'a pas connu, avant comme après ascension, le répit des fêtes de Noël, des fêtes d'anniversaire. Katherine Jackson, la mère, a entraîné les siens dans les habitudes des Témoins de Jéhovah. Une privation qui encouragera le futur Michael à rattraper son droit aux joies anodines ? Un bon psychologue ajouterait, dans un bon parallélisme, que si Michael le petit garçon n'a pas connu certains moments qu'il aurait dû connaître, il a vécu certaines situations auxquelles il n'aurait pas dû si tôt goûter.  Pour un garçon de son âge, il ne fait peut-être pas bon se produire dans des clubs de strip tease et assister aux ébats nocturnes de son frère Jermaine, qui partage, en tournée, sa chambre avec son petit frère... et une groupie de temps en temps. Peu importe. Extrait de ce terreau particulier, Michael Joseph Jackson resterait certainement Michael Joseph Jackson. L'atypisme de la personnalité semble aller se nourrir, en premier, en interne.

 
Il était une fois un enfant de quarante ans...
 
"Je ne suis pas un grand fan de la réalité." Cette confession de Michael Jackson, datée de 1983, face caméra, sonne comme un credo de vie. Le Roi de la Pop n'est pas roi pour rien : il a les moyens de construire sa réalité. Donc de rêver dans le concret. L'enfant version nature, celui qui en a le corps, a été divin par son talent et son ingéniosité ; le fait est incontesté, historique à cette heure. L'enfant version prolongée, cet adulte qui s'attarde dans le naïf et les désirs complets, s'impose dieu par les titres, de la musique encore, et des excentricités. Et rares sont ceux qui font la courbette devant tous ces aspects.
 
Chacun identifie son point de rupture. Pour Olivier Cachin, le décrochage avec la normalité est à dater de l'époque de l'album Bad. C'est précisément sur le titre Leave me alone que le dérèglement serait à pointer. Ce n'est pas tant le morceau que le vidéoclip qui annonce le « je suis ailleurs ». La  piste de clôture de l'album Bad, Olivier Cachin, "techniquement,[...] d'une rare sophistication vocale, avec des dizaines de pistes de voix empilées les unes sur les autres , comme si Michael s'était cloné à l'infini pour chanter seul, mais accompagné de lui-même." Un être dans le tout et l'omniprésence, en quelque sorte. Le portrait rappelle quelqu'un... La vidéo, qui marie toutes les bizarreries et passions jacksoniennes, fondées ou montées de toutes pièces, souvent par l'intéressé lui-même, cherche clairement à entériner le message suivant : Michael Jackson est différent. Et Michael Jackson a tout-pouvoir sur son image.
 
Avant Bad, il est vrai que la notion de différence ressemblait davantage à cette idée de distinction, positive, qui élève les grands artistes. chanteur-danseur qui triomphe avec Off the wallet Thriller est encore ce "divin enfant" qui appelle le respect, cet individu encore jeune et déjà génial qui livre l'album le plus vendu de tous les temps et ne se détache pas de cette petite voix douce, qui oblige à tendre l'oreille et qui inspire à Quincy Jones, un des solides artisans de l'envol musical de Michael, le surnom de "Smelly".
 
Mais il n'est pas loin, l'autre visage, celui qui réunit les travers du garnement et le despotisme de ceux qui se prennent pour des dieux. Who's bad ? Jackson is (sometimes) bad.
 
Dans les enfantillages de départ, on ne trouve pourtant rien à reprocher. Un Michael Jackson adulte qui se bouche les oreilles lorsqu'il entend des gros mots, un danseur qui pleure parce qu'il n'est pas resté assez longtemps en équilibre sur la pointe des pieds… La candeur peut attendrir, le perfectionnisme appellerait volontiers le respect. Mais c'est peut-être ce perfectionnisme trop aiguisé qui, scotché au sentiment d'être le meilleur, a engendré la démesure mégalomane, les demandes excessives et le ridicule qui les accompagnent. Dernier caprice en date : en janvier 2008, celui qui a été proclamé King of Pop par sa meilleure amie, Liz Taylor, refuse d'assister aux 50èmes Grammy Awards si la cérémonie toute entière n'est pas organisée autour de sa carrière et si on ne lui décerne pas un prix spécial, qu'aucun autre artiste ne recevrait jamais. Les Grammy 2008, ce sera sans dieu.
 
Michael, en bon enfant, aime aussi mentir, dans des poses innocentes. Quand on ne goûte pas au fruit défendu du plagiat, on oublie malencontreusement de remercier qui de droit sur la pochette d'un excellent disque. Les accusations de plagiat, la machine Jackson les a essuyées plusieurs fois. Les procès l'ont laissée intacte. L'affaire la plus mémorable se résumant par trois mots, un gimmick, « Mama say, mama sa, mama Makossa » , trouvés bien heureusement, comme d'autres larges portions, dans le Soul makossa Manu Dibango... pour porter la structure de "Wanna Be Startin' Somethin' ". Et qui ne vole pas des disques, vole quasiment des fringues : la célèbre veste rouge couvertes de zips portée par M.J. dans le clip de Beat It, confectionnée officiellement par M.J. et son styliste, a tout simplement été achetée par le chanteur dans une boutique de San Francisco...
 
Si le King of Pop manque de classe en occultant, sur chacun de ses albums, de mentionner des artisans-maîtres de ses chefs-d'oeuvre, le journaliste – Olivier Cachin – est là pour réparer autant que possible les trahisons et reprendre à César ce qui n'est pas à César. Les pages de Pop Life méritent, sur ces informations sorties de terre, une lecture attentive. Sans chercher à minimiser la part de génie qui est bien celle de Michael Jackson, la plume d'Olivier Cachin suit l'information sérieuse et honnête. Même principe pour le traitement du procès qui devait constituer tout un livre et qui se résume finalement à deux chapitres. Sur ce point, la sobriété est de mise et l'enquêteur s'attache à une transcription plate des débats de justice. Une façon habile, certainement, de poser solidement la thèse de l'innocence du chanteur dans les affaires de pédophilie. Un choix habile, assurément, pour ne pas noyer dans une parenthèse racoleuse l'importance des références musicales qui ont gravité autour de l'éternel enfant qui n'était pas un enfant éternel