Mais qu’est venu faire notre Johnny Hallyday, dans Vengeance, du réalisateur hongkongais Johnnie To, présenté en compétition à Cannes ? Il n’y a sans doute pas plus français que ce chanteur qui, dans un scénario aux grosses ficelles, se présente comme « chef », en anglais dans le texte, d’un restaurant des Champs-Elysées. Le film, qui a comme unique mérite de nous offrir des plans superbes de Macao et Hong-Kong, ne parvient pas à convaincre.

A mi-parcours dans ce 62ème festival, l’événement est sans doute la présentation du dernier film de Francis-Ford Coppola, au programme de la Quinzaine des réalisateurs car le maestro, bien qu’âgé de 70 ans et deux fois primé à Cannes, a préféré délaisser la « soirée formol » que lui proposait la sélection officielle (en langage diplomatique on dit « hommage »), pour ouvrir la section parallèle du festival qui a révélé de si nombreux cinéastes et présente aujourd’hui des projets parmi les plus innovants. S’offrant le luxe de filmer en noir et blanc, comme à l’époque de Rusty James, Coppola a fait le choix du numérique avec une photo splendide qui se déguste dans chaque plan. Pour ce film très personnel faisant écho à son histoire familiale, l’Italo-Américain est allé filmer en Argentine et ses acteurs mélangent avec audace l’espagnol et l’anglais.

Toujours dans la Quinzaine, ce sont les troubles identitaires d’une petite fille franco-japonaise qui se trouvent résolus par la magie du cinéma, grâce à une forêt qui rapproche les continents. Ce film, Yuki et Nina, est le fruit d’une collaboration entre Hyppolyte Girardot et Nobuhiro Suwa, l’un français ne parlant pas japonais, l’autre japonais ne parlant pas français

En dehors de Vengeance, logiquement assez froidement accueilli, au-delà du non-événement constitué par le retour de Johnny sur la Croisette, les films en compétition sont souvent profondément marqués par la mondialisation. Dans Nuit d'ivresse printanière, du chinois Lou Ye, il est question de l’homosexualité dans l’empire du milieu. Tournée caméra à l’épaule, en totale clandestinité, ce film intimiste étonne par l’usage récurrent qui est fait du téléphone portable, signe de liberté autant que de dépendance (cf. Tom Cruise dans le magnifique Eyes wide shut de Kubrick).

A l’encontre de ce film émouvant, le grand théâtre Lumière a aussi accueilli le grandguignolesque Thirst, du Coréen Park Chan-Wok. Cette histoire de vampire mélangeant le gore et les clichés exploite au départ la peur d’une pandémie, dont l’origine est bien entendu située en Afrique et qui est identifiée par de gentils curés catholiques (il est d’ailleurs question d’un « virus Emmanuel »). A travers ce film, c’est à la fois Thérèse Raquin de Zola et le mythe de Superman, volant avec sa belle dans ses bras, qui sont revisités, mais malheureusement sans grande inspiration. La réaction du public était d’ailleurs curieuse, les scènes les plus gores étant accueillies par des rires, comme s’il était entendu que nous assistions à une mascarade, un carnaval des mythes et légendes du monde entier.

On aurait pu alors se dire que le polar de Jacques Audiard, Un Prophète, serait bien « franco-français », comme ses précédents opus (De battre mon cœur s’est arrêté, Sur mes lèvres) ou les films mis en dialogue par son paternel. Que nenni, dans la plongée qu’il nous propose au sein des prisons françaises, on retrouve la tour de Babel et seul le héros du film, le jeune beur superbement joué par Tahar Rahim, arrive à échanger avec les Corses, les « barbus », « le Gitan » ou « l’Egyptien ». De tels films sont impensables en version doublée et il est significatif que cette année, les films en compétition soient présentée sans aucune mention de nationalité. Un pas décisif vers le cosmopolite a été franchi, Cannes, devenant pour deux petites semaines la capitale du cinéma du monde et non plus le microcosme du monde du cinéma, comme à l’origine du festival.

En « séance spéciale », samedi dernier, il était aussi question de communication entre les peuples, à travers le deuxième film, très attendu, de l’israélienne Keren Yedaya (Caméra d’or en 2004). A travers un drame familial, elle aborde sans détour le racisme ordinaire de quelques Israéliens à l’encontre de leurs concitoyens arabes. Le film se passe à Jaffa, titre du film, une ville limitrophe de Tel Aviv qui était au départ uniquement peuplée d’Arabes et qui est aujourd’hui mixte.

Et « La Semaine de la Critique » alors ? Cela reste bien entendu le point de convergence des cinémas du monde, et là encore, la mondialisation est très présente, sous ses aspects les plus divers et les plus inattendus. Le film chilien d’Alejandro Almandras, Huacho, coproduit par la France et l’Allemagne, retrace la vie de quatre personnes vivant sous le même toit, dans une zone rurale chilienne. Il y a les grands-parents, la mère qui est obligée de répercuter la hausse du prix du lait sur la vente de ses fromages et qui dépense ce qu’elle gagne dans un centre commercial, et enfin le fiston qui, à l’école, ne pense qu’à pouvoir essayer la console portative de jeu de ses camarades de classe. Dans Lost persons area, la belge Caroline Strubbe s’intéresse à l’arrivée d’un travailleur hongrois sur un chantier d’entretien de pylônes qui s’étendent à perte de vue pour former un réseau de lignes à haute tension. Cette tension électrique se retrouve dans deux autres films français de cette section, Adieu Gary, de Nassim Amaouche, qui place Jean-Pierre Bacri dans un désert post-industriel ardéchois, et surtout dans le magistral Rien de personnel de Mathias Gokalp. Si au premier abord un film qui évoque les vertus du ‘benchmarking’, le ‘rachat’ d’une entreprise et sa ‘restructuration’ ne constitue pas à l’heure actuelle le sujet le plus attirant pour une soirée ciné, la structure même du film, présentant trois versions d’une même soirée avec des acteurs « en situation de cocktail », s’avère pour l’instant un des films les plus plaisants de ce cru 2009.

Reste encore la section « Un certain regard », qui fait partie de la sélection officielle. Trois films se détachent du lot. Tout d’abord, à nouveau un film de contrebande, On ne sait rien de chats persans, de Bahman Ghobadi, qui dresse un sombre tableau de la jeunesse iranienne. C’est un peu Persépolis version hard, ou plutôt indie-rock, car le film est construit sur les (més)aventures de deux musiciens et une chanteuse qui tentent de former un groupe pour aller se produire à l’étranger, et accessoirement fuir leur pays. Comme le faisait remarquer Thierry Frémaux lors de la conférence de presse dévoilant la sélection 2009, quelle « chance formidable » que de pouvoir ainsi se tenir au courant des dernières tendances du rap iranien et de l’évolution de la scène du rock indépendant kurde, dans ce pays aux mains des « barbus ». 

Souvent les coproductions sont le point de départ de véritables échanges qui permettent le développement d’identités transnationales, à l’image des projets présentés dans le film Mia Hansen-Løve (en hommage au producteur Humbert Balsan). Le héros du film doit faire face au même moment à un tournage catastrophique en Suède, à l’arrivée d’une équipe de tournage pléthorique pour un film coréen, ou encore à une rétrospective sur un obscur cinéaste russe qu’il a produit.

Enfin, toujours dans la section « Un certain regard », Haim Tabakman s’intéresse comme le Chinois Lou Ye à l’homosexualité. Dans Eyes Wide Open, qui sera présenté au public cannois mercredi (mais qui a été dévoilé en « séance secrète » sur le marché du film), l’action se déroule dans un quartier de Juifs ultra-orthodoxes de Jérusalem qui supportent mal l’amour entre un boucher et un étudiant qui a quitté sa Yeshiva (école religieuse). Seule l’Afrique est largement sous-représentée au festival, avec l’unique sélection de Dis-moi qui tu es… du vétéran Souleymane Cissé (prix du jury il y a 22 ans).

Ce brassage des cultures, sur les écrans comme dans les salles, grâce aux œuvres présentées, contraste grandement avec la monolithique Croisette et ses éternelles soirées privées et autres cocktails réservés, dans lesquels s’engouffrent d’argentés festivaliers et autres people ou plus souvent wanna-be-people pendant que la jeunesse frustrée par cette exclusion s’ennuie sur les bancs