Cet ouvrage rend hommage, un an après sa mort, à un acteur majeur, bien que parfois oublié, de la décentralisation dramatique : Hubert Gignoux

Mort à 93 ans l’an dernier, Hubert Gignoux, l’un des grands noms du mouvement de décentralisation dramatique, n’échappe pas à l’oubli auquel l’éphémère du théâtre consacre ses pires et ses meilleurs serviteurs. Gignoux fut l’un des meilleurs car il donna à l’un des centres dramatiques, celui de l’Est (devenu aujourd’hui le Théâtre national de Strasbourg), la dimension que l’on était en droit d’attendre, sa morale, son audience et sa puissance de tête chercheuse. Si les auteurs préférés de Gignoux furent Dürrenmatt, Corneille, Hugo, il découvrit, à la fin de son mandat, un certain Bernard-Marie Koltès, un jeune étudiant rétif dont il encouragea les premiers essais théâtraux. Dans les Lettres de Koltès qui viennent de paraître aux éditions de minuit, celui-ci évoque, dans des missives qu’il lui adressait et dans d’autres correspondances, quelle écoute, quelle aide il reçut du vieil aîné, quitte à s’énerver parfois de ne pas bénéficier d’une attention prioritaire ! Gignoux, même âgé, repéra d’autres jeunes écrivains, comme Laurent Gaudé.

Portrait

Cigarette au bec, l’air goguenard, Hubert Gignoux explorait les classiques, montant par exemple pour la première fois Mille Francs de récompense de Victor Hugo (qui était toujours resté dans le secret des livres avant lui), et rencontrait parfois le succès avec des modernes : sa mise en scène de La visite de la vieille dame de Dürrenmatt, jouée par Valentine Tessier, fit un triomphe à Strasbourg et à Paris. Il était aussi acteur. Et aussi auteur, quand il décida de s’interroger sur le comique (Le Rire, essai d’histoire subjective de la comédie) ou de conter l’action de ceux qui l’avaient précédé et de ses propres débuts parmi les Comédiens routiers de Léon Chancerel (Histoire d’une famille théâtrale). Cela méritait un hommage. En voilà deux. Celui que propose la revue Théâtre/Public donne la parole à Yannis Kokkos et Jacques Lassalle. Celui que publie le Théâtre national de Strasbourg est plus foisonnant. Il recueille les paroles d’une rencontre tenue au Vieux-Colombier, à l’instigation de Muriel Mayette pour la Comédie-Française et à celle de Julie Brochen pour le TNS.

Il y avait là Jean-Pierre Vincent, Roger Planchon, Stéphane Braunschweig, Pierre Vial, Jack Ralite, Lucien Attoun, Alain Rimoux, Yves Ferry, Laurent Gaudé, Lassalle, Kokkos… Patrice Chéreau, absent, avait envoyé une contribution où il saluait le découvreur de Koltès. On retiendra surtout la juste formule de Jacques Lassalle : "Une si tenace probité, une si constante altitude". Le colloque a permis de retracer, rapidement, les deux vies de Gignoux. La première où, de 1957 à 1971, il resta aux commandes de l’un des plus grands centres dramatiques. La seconde où, ayant subitement renoncé, il passa le relais à Jean-Pierre Vincent et décida de vivre à l’écart. Pourquoi s’en alla-t-il, un jour, à 55 ans ? Cet être laconique donna peu d’explications. En tout cas, il préférait transmettre les rênes à un artiste de 30 ans, qu’il choisit et recommanda lui-même aux pouvoirs publics. Et il ne fut plus que comédien et essayiste. Il s’amusa à jouer Pétain, face à Maurice Garrel en De Gaulle dans Villa Luco de Jean-Marie Besset et tint un petit rôle, le vieillard égaré, dans Roberto Zucco de Koltès à la création, dans la mise en scène de Bruno Boeglin, ce qui lui permet de jouer les mots de l’auteur qu’il avait découvert et d’affronter avec toute l’équipe la contestation – celle des syndicats de police – qui entoura la pièce.

Acteur et défenseur forcené du service public, Gignoux aimait les formules théoriques à l’accent décisif. Comme celle-ci que rapporte Jack Ralite et où ce passionné du théâtre populaire se résume : "Le subterfuge de la culture informative qui aligne, rassure ou divertit rend docile, se substituant à la culture interrogative, source de prises de conscience, de doutes qui favorisent l’indocilité."