Est-il encore nécessaire de présenter l’iconoclaste Mike Davis ? Figure intellectuelle hybride à la croisée des sciences sociales et du militantisme trotskiste, cet empêcheur d’enclaver et de militariser à tout va nos existences urbaines est de nouveau sollicité par de nombreuses revues, avec pour ambition de présenter son dernier ouvrage, Les paradis infernaux. Récemment, c’est la revue Vacarme qui nous propose un entretien de l’auteur de City of Quartz. Disons le tout de go, l’article "peur sur la ville" est intéressant non pas en raison des informations nouvelles sur Mike Davis, mais dans la mesure où il est révélateur de la bienveillance et du capital symbolique dont il jouit.

Dès l’introduction, c’est la tonalité très complaisante à l’égard de l’inclassable professeur de l’université de Californie qui pose problème. En effet, le portrait dressé est profondément laudateur, mettant en avant pêle-mêle le diagnostic avant coureur des émeutes de 1992, l’érudition pluridisciplinaire de ce "chercheur", dont les ouvrages font "autorité". Quid des nombreuses critiques formulées par le monde universitaire spécialiste des questions qu’il aborde ? De la réception très mitigée des Paradis infernaux ? De sa conception si particulière des recherches, au service du militantisme, bien loin d’une quelconque neutralité axiologique ? L’entretien proprement dit modifie à peine la gêne provoquée dès l’introduction. Au niveau formel, les très longues réponses de Davis, sans rebondissement de la part des journalistes, étonnent ; ce qui pousse à nous interroger sur les conditions dans lesquelles a été réalisé cet entretien. On peut émettre l’hypothèse qu’aux yeux de ces interlocuteurs, Mike Davis fait suffisamment "autorité" pour ne pas voir questionner ses propos. D’ailleurs, son dernier ouvrage, Les paradis infernaux, n’est qu’à peine esquissé, et constitue le plus court passage de l’entretien : signe de la volonté de ne pas froisser un auteur sympathique ?

Évoquons à présent les thématiques chères à Davis qui émergent de cet entretien. À propos du continent américain, il rappelle à ses interlocuteurs l’importance de la militarisation de la frontière mexamericaine et de la chasse aux migrants comme une conséquence de l’après 11 septembre. Mais c’est surtout l’expansion des bidonvilles à l’échelle planétaire et ses nouvelles logiques sociales et urbaines qui l’interpellent : économie informelle, croissance des violences interethniques, structuration de l’espace par les gangs et surtout possibilité de mettre à mal l’économie-monde par le blocage des villes.  Et c’est peut-être le thème de la "ville vulnérable" qui est le plus intéressant. Malgré les politiques urbaines ultra-sécuritaires et le réflexe obsidional des classes dominantes s’enfermant dans leur "zone verte", la violence, et surtout son expression paroxystique qu’est le terrorisme, pourrait renverser les villes mondiales et avec elles le système économique mondialisé. Un discours alarmiste donc, mais habituel.

Le second élément intéressant abordé dans cet entretien est la spécificité biographique et intellectuelle de Mike Davis, mainte fois évoquée déjà, mais qui rappelle le capital sympathie dont il jouit. Fils de prolétaire made in USA, vivant avec une mexicaine "sans-papier", impliqué très vite dans les mouvements des droits civiques et dans le combat syndical, cet universitaire atypique a découvert à Tijuana durant son adolescence la tradition critique marxiste. Ce cheminement intellectuel si particulier rappelé par Davis a deux conséquences majeures.

Tout d’abord, une sincère modestie transparaît dans ses propos, et même la conscience d’une certaine illégitimité dans le monde universitaire ; il se qualifie en effet d’ "usurpateur", et admet qu’il est "surpayé à mener une existence très facile". En second lieu, Davis se qualifie de "révolutionnaire professionnel", ce qui se traduit par son implication dans la mouvance d’extrême gauche états-unienne. Mais surtout, sa fidélité aux thèses marxistes, présentes dans l’ensemble de ces ouvrages, est quasi-religieuse, et l’image qu’il se donne, en "Paul sur son demain de Damas", finit de nous convaincre quant à la dimension profondément militante de Davis. Malheureusement, cet aspect essentiel n’est abordé par les auteurs de cet article qu’en termes positifs, ou au mieux comme une spécificité qui romprait avec la neutralité universitaire. Pourtant de nombreux questionnement épistémologiques, méthodologique et plus généralement intellectuels auraient du être soulevés au cours de cet entretien

 

* "Peurs sur la ville", entretien avec Mike Davis, par Joseph Confavreux, Mathieu Potte-Bonneville et Remy Toulouse, revue Vacarme n°46, hiver 2009.

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