Le 20 mars, Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, devait proposer au gouvernement un projet de loi visant à "rendre licite la mesure de la diversité". Les polémiques autour des statistiques ethniques, ravivées régulièrement en France depuis des décennies, ont peut-être contribué à retarder la remise du rapport. Cette mesure divise le gouvernement, et selon un sondage CSA-UEJF-SOS Racisme, 55% des Français la rejettent   . La sensibilité du débat public vis-à-vis des statistiques ethniques révèle que la question de la diversité fait émerger les déséquilibres profonds de la société, interrogeant les fondements de l'identité et de l'identité nationale. Nous proposons d’envisager les termes actuels du débat à travers quelques prises de position médiatiques, en examinant les principaux arguments antagoniques. 


Oui à un outil de mesure pour lutter efficacement contre les discriminations

"L'égalité des chances doit cesser d'être théorique pour devenir réelle", insistait Nicolas Sarkozy lors du discours du 17 décembre 2008 intronisant Yazid Sabeg. C’est dans cet esprit que ce dernier envisage sa mission. Dans un entretien au Monde, il révèle la nature de son projet, qui "ouvre la voie aux statistiques ethniques". "À l'heure où l'on se soucie de la cohésion nationale, il n'est pas pertinent de renvoyer constamment les individus à leurs origines". M. Sabeg, souhaitant nuancer la brutalité d'une mesure ethnique, envisage ces statistiques comme des enquêtes fondées sur l'autodéclaration, le volontariat et l'anonymat.

Dans une "Lettre à nos potes antiracistes sur la mesure de la diversité" publiée par Mediapart, Patrick Lozès, président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), appelle de ses vœux le "pas historique" que franchira le pays avec l'adoption du projet de loi sur la mesure de la diversité. Comparaisons européennes et internationales à l’appui, il souhaite voir mettre en œuvre cet outil "moderne" d’action et de lutte contre les discriminations. L’inefficacité des mesures actuelles de lutte est dénoncée, et la nécessité de disposer de "donnés objectives" pour établir un "diagnostic" sûr des maux dont souffre les discriminés est mise en avant, car selon Patrick Lozès, "l'imprécision actuelle est coupable. Elle est criminelle. Elle fait le jeu des extrémistes, qui manipulent le sentiment de peur".

François Héran, directeur de l'Institut national d'études démographiques (INED), affirme quant à lui dans une tribune du Monde intitulée Statistiques ethniques, non ! Mesure de la diversité, oui la nécessité de "sortir du débat rituel sur les "statistiques ethniques"". Il leur substitue l'idée d'une "panoplie d’outils" pour mesurer les discriminations "tout en prenant les précautions nécessaires pour ne pas bâtir de "référentiel ethno-racial" à l'américaine, c'est-à-dire une nomenclature des groupes faisant foi pour l'administration."

Non à une action placebo, qui met en danger l’égalité républicaine

Dans un entretien publié dans Libération, Malek Boutih, ancien président de SOS Racisme et membre du bureau national du PS, envisage les statistiques ethniques comme un outil de discrimination positive, avec les effets pervers traditionnels qui lui sont liés. Malek Boutilk fustige non seulement une action qui selon lui risque d'ébranler le principe de l'égalité de droit dans la République, mais encore dénonce un instrument de mesure qui masque une stratégie gouvernementale pour ne pas réellement agir : "La situation des banlieues, ce n’est pas un problème de statistique ethnique, mais de politique publique. Or, ne pas voir cette réalité permet de dédouaner les gouvernements de leurs actions."

Au-delà (ou en-deçà) des questions politiques, Didier Desponds, maître de conférences en géographie à l’université de Cergy-Pontoise   , commente sur Mediapart les problèmes de mise en œuvre, éthiques et méthodologiques, auxquels est confrontée la mesure. En procédant à une comparaison internationale avec la Grande-Bretagne et les États-Unis, fréquemment cités dans le débat sur les statistiques ethniques, le professeur se demande "selon quelle base construire les catégories". Il craint que la catégorisation ne soit surtout révélatrice de la perception de la société de ceux qui élaborent les rubriques. En outre, puisque les discriminations ne s’arrêtent pas à l’ethnicité, Didier Desponds s'interroge sur la limite de ces catégories. Faudra-t-il inclure l’homosexualité, le genre, féminin et masculin, les différents handicaps physiques?
 

Les actes du colloque "Statistiques ethniques", organisé en 2006 par le Centre d’analyse stratégique, peut aider à prendre du recul vis-à-vis de l'actualité. Ce colloque regroupe les allocutions de spécialistes comme Dominique Schnapper, directrice de recherches à l’EHESS, René Padieu, inspecteur général honoraire de l’INSEE, Alex Türk, président de la CNIL   . Des pistes de réflexion sont esquissées à partir de questions fondamentales, synthétisées par Sophie Boissard, directrice générale du Centre d'analyse stratégique : "la façon dont les enquêtes scientifiques et les fichiers administratifs publics et privés intègrent ou n’intègrent pas les variables "ethniques" limite-t-elle réellement la connaissance des faits sociaux ? Peut-on montrer qu’il y a là un obstacle au déploiement de politiques publiques efficaces ? Quels problèmes politiques, juridiques et techniques soulèveraient la construction et la collecte de telles données ?"

 

 À lire également sur nonfiction.fr :

- Pap Ndiaye, La condition noire. Essai sur une minorité française (Calmann-Lévy), par François Durpaire.

- Claire Frachon, Virginie Sassoon, Médias et diversité : de la visibilité aux contenus (Khartala), par Éric Macé.

- Un manifeste pour l'égalité réelle en France après la victoire d'Obama, par Julie Urbach (10/11/09).

- Notre dossier "Discriminations négatives"

 

À lire également : 

- La vie des idées : "Comment quantifier les groupes sociaux ?", par Gianluca Manzo  [03-02-2009], recension de "Statistiques ethniques comparées" / "Classifications professionnelles comparées", The Tocqueville Review/La revue Tocqueville, 2008, vol. XXIX, n° 1.

- Le dernier ouvrage de Louis Schweitzer, président de la Halde (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Égalité) : Les discriminations en France (Robert-Laffont, 12 mars 2009).