La vie d'Audrey Hepburn vue comme un mélange de conte de fées, de love-story et de mélodrame flamboyant.

Elle a commencé au cinéma dans le rôle d’une princesse italienne échappant à ses gardes pour aller fureter dans les rues de Rome, et a fini par endosser le costume d’un ange, accueillant au Paradis un pilote de Canadair tout juste mort : en presque quarante ans de carrière et une vingtaine de films seulement, Audrey Hepburn s’est imposée comme une des figures majeures du cinéma hollywoodien, l’incarnation même du charme et de l’élégance. Celle qui, à l’écran, pouvait incarner aussi bien les femmes du monde que les adolescentes bourrues, était aussi une femme fragile, tourmentée par une vie privée sinusoïdale.

Une légende (trop) dorée

My Fair Lady, la comédie musicale qui acheva de rendre Hepburn célèbre parmi les actrices de son temps, pourrait aussi bien avoir été une version extrême et romancée de la vie de la jeune femme, tant l’existence de celle-ci fut modelée par les événements et les rencontres. Mais plus encore que l’histoire de Pygmalion, c’est celle de la Sabrina de Billy Wilder qui trouverait dans la vie d’Audrey le plus d’échos : une fille de domestique, envoyée à l’étranger pour y apprendre les bonnes manières, revient en princesse et charme tous les hommes de la maisonnée. Si la belle Audrey a souvent joué le jeu d’une transformation (sociale), c’est peut-être parce qu’elle y reconnaissait d’une certaine manière l’histoire de sa propre jeunesse contrariée, durant laquelle les hasards ne cessèrent de se poser en obstacles à ses passions. Destinée à une carrière de danseuse bien avant de parcourir les plateaux de cinéma, Audrey ne doit qu’aux aléas du destin d’avoir si longtemps hanté les écrans des salles obscures de sa silhouette longiligne et d’avoir hypnotisée nombre de partenaires masculins par sa légèreté androgyne. Pour le plus grand plaisir des spectateurs de toutes les époques.

La vie même d’Audrey Hepburn, rythmée d’époques phares et de moments clés, ressemble à un long-métrage au scénario coupé au cordeau, digne des meilleures productions hollywoodiennes : une enfance marquée par la guerre durant laquelle la jeune femme se débat dans ses prétentions à la danse, des premiers pas étonnants au théâtre et sur les plateaux, une carrière cinématographique fulgurante qui conquiert immédiatement le public, et pour finir, une seconde vie dans l’humanitaire. D’usage très intuitif, de par sa succession d’anecdotes et sa séparation en chapitres aux titres explicites ("Les débuts d’une enfant sensible et rêveuse", "En route vers la gloire", etc.), l’ouvrage de Corinne Pouillot nous fait partager les épisodes de l’incroyable parcours de la star ; mais cela, il faut le préciser, sans dissimuler une grande fascination pour les multiples talents de la jeune femme et pour le dévouement complet de ses dernières années, et par extension, sans montrer jamais d’esprit critique à son égard. L’auteure plonge à pieds joints dans la légende dorée de la comédienne en fermant à moitié les yeux sur les parties obscures de la fable. Non pas que celles-ci soient nombreuses, mais la lisse perfection du modèle décrit par Pouillot laisse difficilement augurer de la moindre tache ténébreuse.

De la danse au cinéma

Jeune enfant rêveuse et imaginative, née en Belgique en 1929, Audrey Kathleen Ruston est vouée à devenir une grande danseuse. Son goût pour cet art délicat l’aide tout d’abord à supporter les années de pension en Angleterre, dans le Kent, où l’envoient des parents moins désireux de lui offrir une éducation convenable que soucieux de l’éloigner d’une cellule familiale en crise. Lorsque la jeune femme retourne vivre avec sa mère en Hollande, que celle-ci croit être un pays sûr alors que s’annonce à l’Est l’orage de la Seconde Guerre mondiale, ses parents ont déjà divorcé et le père a déménagé pour Albion. Le rapprochement géographique ne les aide en rien : Audrey ne le voit qu’à de rares occasions. Crise de l’absence du père ? L’auteure ne souligne pas un point important : le fait qu’Audrey tombera régulièrement amoureuse d’hommes plus âgés, à la vie comme à l’écran : alors que le scénario de Sabrina la propulse successivement dans les bras de William Holden puis d’Humphrey Bogart, la jeune comédienne s’éprend du premier, coureur notoire, pourtant marié, avec lequel elle entretient une relation discrète. Dans un autre film de Billy Wilder, Ariane, joliment titré en anglais Love in the Afternoon, Audrey séduit un Gary Cooper de quasiment trente ans son aîné, ce qui a le don de faire jaser longtemps avant la sortie du film. Pendant ce temps, à la ville elle épouse le comédien Mel Ferrer, son âme sœur, né douze ans avant elle.

Avant de débuter cette belle carrière à Hollywood qui l’a rendue célèbre, Audrey aurait pu devenir la grande danseuse qu’elle promettait d’être depuis l’enfance – si la nécessité de gagner de l’argent, à Londres, ne l’avait pas forcée à mettre ses projets entre parenthèses et à courir les castings des photographes de mode. Repérée par Alec Guiness au cours d’un tournage, recommandée au réalisateur Mervyn LeRoy, la jeune femme est poussée à traverser l’Atlantique. Elle est d’abord choisie par Colette elle-même pour interpréter le rôle de Gigi dans l’adaptation de son roman éponyme qui doit être montée à Broadway. La romancière a vu la jeune femme dans un film médiocre, Nous irons à Monte Carlo de Jean Boyer, dans lequel Audrey tient un tout petit rôle : sa silhouette élégante et son regard de lutin aux yeux sombres interpellent l’écrivain, qui y reconnaît sans faute "sa" Gigi. C’est le point de départ de l’aventure américaine d’Audrey, qui débarque à New York à 22 ans, des rêves plein la tête et son petit ami James Hanson au bras. La découverte de la vie noctambule new-yorkaise occasionne d’abord une période de débauche : le couple écume les night clubs et Audrey arrive épuisée aux répétitions, sans connaître son texte, incapable de jouer. Par ailleurs, l’adorable silhouette s’est lestée de quelques kilos malvenus. Il faut une bonne colère du metteur en scène Raymond Rouleau pour qu’Audrey prenne pleinement conscience de sa situation et débute une métamorphose radicale, maigrissant en quelques semaines et travaillant comme une acharnée pour améliorer son jeu. Résultat : le soir de la première, Gilbert Miller, le producteur de Gigi, la trouve affreusement mauvaise ; mais les critiques, eux, sont subjugués. Quelques années plus tard, lorsque la MGM produira une adaptation de la pièce pour le cinéma, dirigée par Vincente Minnelli, la production, plutôt de qu’engager Audrey, fera appel à Leslie Caron, qui partage avec sa concurrente cette grâce et cet indémodable air de jeune fille innocente qui n’auraient pas déplu à Colette.

La création d'une étoile du grand écran

L’essentiel de l’ouvrage réside dans la succession des films qui firent le succès d’Audrey, devenue Hepburn après la guerre. Et puisque le premier rôle important de la comédienne a immédiatement lancé sa carrière, l’auteure laisse une large place aux Vacances romaines de William Wyler, où Audrey côtoie l’une des étoiles masculines d’Hollywood : Gregory Peck. Le réalisateur désirait une jeune femme sans accent américain, "une fille dont on puisse croire qu’elle avait vraiment été élevée comme une princesse"   , afin d’endosser, justement, le costume d’une princesse de visite en Italie qui échappe à la vigilance de ses gardes du corps pour vivre vingt-quatre heures de liberté en compagnie d’un journaliste américain. Grand succès public et critique, le film, qui rapporte à Audrey, dès son premier rôle important, un Oscar de la meilleure actrice, lui vaut l’admiration du sénateur Kennedy, futur président des Etats-Unis, et scelle définitivement son avenir d’icône populaire et d’actrice fétiche de toute une génération. En sus, le rôle de la princesse libérée de ses carcans sociaux peut être lu comme manifeste du parcours de la comédienne : sous les apparences se dissimule souvent une personnalité bien différente de ce que l’on attend, et Audrey incarnera régulièrement des femmes vouées à une complète transformation.

Car, s’il est bien un point commun à de nombreux rôles de sa carrière, c’est bien celui de la métamorphose de la femme : sous les mains expertes de certains des plus grands cinéastes d’Hollywood, de Wyler à Wilder en passant par George Cukor, King Vidor et Stanley Donen, Audrey se drape d’une apparence qui ne demande qu’à être modelée, triturée, recomposée. C’est là le sujet de ses plus gros succès : My Fair Lady, bien sûr, adaptation pour le cinéma de la comédie musicale avec Rex Harrison et Julie Andrews, elle-même tirée de la pièce de George Bernard Shaw inspirée du mythe grec. Les transformations de la vulgaire Eliza Doolittle en femme du monde finiront d’asseoir la notoriété de la comédienne ; puis ce sera Sabrina, déjà évoquée ; puis Drôle de frimousse, l’une de ses nombreuses collaborations avec Stanley Donen, cinéaste surtout connu pour ses comédies musicales (Chantons sous la pluie) mais qui réalisa également d’élégants polars tels que Charade (encore avec Audrey) ou Arabesque. Dans ce dernier film, l’actrice incarne une jeune bibliothécaire trop sérieuse qu’un photographe de mode (Fred Astaire sur ses vieux jours) métamorphose en reine des défilés. Citons encore ces productions où la femme se fait passer pour ce qu’elle n’est pas, comme Vacances romaines (une princesse qui devient une mademoiselle-tout-le-monde) et son reflet inversé, Ariane (une mademoiselle-tout-le-monde qui se donne le rôle d’une princesse).

Autre point commun qui réunit ces films très divers : le style Hepburn, reconnaissable entre tous au premier coup d’œil. Ce style a son origine : c’est Sabrina, encore, et l’audace de Wilder, qui décide de confier la confection des robes parisiennes d’Audrey à un jeune couturier encore peu connu, Hubert de Givenchy. Pour elle, c’est la rencontre d’une vie : désormais le couple esthétique Hepburn – Givenchy est inséparable, la jeune actrice se drapant des créations du couturier aussi bien à la ville qu’à l’écran. Ce style a aussi son socle indémodable : l’image d’Audrey habillée d’une robe noire seyante, les cheveux coiffés en chignon, une paire de gants aux mains et son célèbre porte-cigarette au bout des doigts, image créée pour et diffusée par l’un de ses rôles les plus célèbres, celui d’Holly Golightly dans l’adaptation d’un court roman de Truman Capote devenu, à l’écran, Diamants sur canapé. Il est notoire que Capote désapprouvait le choix d’Hepburn pour incarner son personnage, lui préférant une femme aux formes plus "imposantes" telle que Marilyn Monroe ; il est pourtant indéniable que l’élégance et la beauté d’Audrey contribuèrent en grande partie au succès inaltérable du film de Blake Edwards.

Le plus étonnant, avec le "style Hepburn", c’est qu’il ait pu s’imposer en si peu de films et malgré une carrière en dents de scie, alternant gros succès et mémorables prises de risque. Car le parcours cinématographique d’Audrey ne fut pas de tout repos, loin de là, pour une comédienne qui sut éviter la répétition des rôles et privilégia, dans ses choix, la qualité du personnage et la personnalité du metteur en scène. Fidèle, Audrey travailla régulièrement avec les mêmes : William Wyler et Stanley Donen (trois films chacun), Billy Wilder et Terence Young (deux films). Et, sur les conseils de son mari Mel Ferrer, qui resta toujours son proche confident même après leur divorce et que d’aucuns trouvaient trop impliqué dans sa carrière, elle sut s’engouffrer dans des brèches délicates au risque de décevoir un public peu adepte de la nouveauté. Par exemple, en acceptant le rôle d’une nonne dans Au risque de se perdre (Fred Zinnemann), d’une aveugle martyrisée par trois brigands (Seule dans la nuit, Young) ou d’une enseignante amoureuse d’une collègue et confrontée à l’opprobre publique (La rumeur, Wyler). Des personnages difficiles, aux prises avec le réel et donnant de la comédienne une image aux antipodes de la vision éthérée qu’elle donna d’elle au début de sa carrière. C’est qu’Audrey se démarqua toujours des autres actrices hollywoodiennes par la lucidité dont elle faisait preuve, sur son propre statut d’artiste et de femme : assumant pleinement son âge, elle accepta ainsi des rôles que d’autres auraient rejetés avec virulence, comme celui d’une Marianne vieillissante dans La Rose et la Flèche de Richard Lester. Ou encore le rôle – le dernier de sa vie – d’un ange parfaitement androgyne que Spielberg lui propose dans Always en 1989. Elle y prenait en charge l’éducation du personnage de Richard Dreyfuss, décédé en combattant les flammes : la métaphore d’une existence nouvelle, non plus centrée sur elle-même, mais vouée aux autres ?

Une icône intouchable ?

Moins connue que sa carrière hollywoodienne, la reconversion de l’actrice dans l’humanitaire, une fois prise sa retraite des plateaux, clôt l’ouvrage sur une image ouvertement fantasmée : celle d’une sainte faite femme qui renaît pour une "nouvelle vie" vouée à autrui. A la suite d’une nombreuse fratrie d’artistes, Audrey devient, en 1988, ambassadrice pour l’Unicef ; une décision sans doute motivée (c’est ce que sous-entend l’auteure) par le profond traumatisme de la Seconde Guerre mondiale et la fascination ressentie, à la Libération, lors de l’arrivée en Hollande de l’aide humanitaire. Voyageant du Soudan à l’Ethiopie, du Vietnam à la Somalie, Audrey va jusqu’à prendre la parole devant les Nations Unies afin d’éveiller les consciences sur la vaccination des populations pauvres du tiers-monde. Divorcée deux fois, liée désormais à Rob Wolders qu’elle rencontra à l’époque d’Always, Audrey aurait pu finir sereinement ses jours à La Paisible, sa maison de Suisse où elle trouva le repos après les vicissitudes de son mariage tourmenté avec Andrea Dotti ; mais elle choisit de partir en conquête d’une nouvelle tranquillité d’esprit.

L’icône Audrey reste donc un peu lisse sous la plume de Corinne Pouillot : celle-ci dessine, ni plus ni moins, les traits de l’être parfait. À l’exception d’une brève référence à la paranoïa familiale de la comédienne, qui craignait tant qu’il arrivât quoi que ce fût à ses enfants qu’elle passait le maximum de temps à leurs côtés – l’une de ses ambiguïtés, l’auteure ne parvient pas vraiment à trouver cette distance critique qui eût donné un livre certes plus équivoque (à l’image de la biographie récente d’Ava Gardner par Lee Server par exemple) mais aussi plus surprenant ; il semblerait plutôt que l’ambition des ouvrages des éditions Timée reste clairement de proposer des portraits dorés