Pour mieux comprendre la réthorique Obama.
Il est toujours mieux de revenir aux textes que s’en tenir aux commentaires. Ce petit livre est un recueil de sept discours prononcés par Barack Obama pendant la campagne présidentielle de 2008 et avant sa prise de fonction effective en 2009. L’ouvrage est signé Obama mais pourrait aussi bien l’être par le binôme Obama/Favreau. Jon Favreau, jeune diplômé en sciences politiques de moins de trente ans, était le speechwriter attitré d’Obama durant la campagne ; il supervise désormais l’équipe de rédacteurs des discours du Président.
Il est dommage que le recueil ne soit pas bilingue. Il n’offre qu’une version en français des textes. La traduction a été assurée, d’une part, par un enseignant à l’université de Fribourg, Alain Chardonnens, pour les discours du candidat, d’autre part, par le département d’Etat des Etats-Unis pour les deux discours post-élection et pour celui sur « l’Amérique et la question raciale » dont la portée équivaudrait pour certains au I have a dream de King. Préalablement à chaque discours, en quelques pages concises, Alain Chardonnens présente le contexte, analyse brièvement le contenu du discours et met en exergue les phrases les plus frappantes. Justifiant l’ouvrage, il précise avec justesse dans l’introduction : « Outre les circonstances socio-économiques, politiques et militaires, l’une des raisons de la victoire d’Obama réside dans la personnalité et les convictions de cet avocat, que reflètent pleinement ses discours ».
Sept discours bien choisis
Après le discours du 27 juillet 2004 devant la Convention démocrate de Boston (« Keynote address ») qui fit passer Obama de parfait inconnu à star en devenir, on revit, par le verbe, la campagne blitzkrieg de 2008. Le discours du 18 mars 2008 prononcé à Philadelphie, ville-symbole où furent rédigées la Déclaration d’Indépendance puis la Constitution fédérale, est consacré à la question raciale. Ce discours est un tour de force du « cabinet de guerre politique » du candidat pour couper court aux effets collatéraux des propos antiaméricains du pasteur noir Jeremiah Wright, longtemps intime du couple Obama. Par ce discours, Obama transforme une épreuve potentiellement dévastatrice pour son image en un discours visionnaire. Il y relie la question raciale à la question sociale et identifie les préoccupations communes aux Noirs et aux « petits Blancs » tout aussi lésés au cours du temps. Le 24 juillet 2008, près de la colonne de la Victoire à Berlin, le candidat en tournée européenne rappelle ce qui avait échappé aux néo-conservateurs : les Européens sont les alliés naturels des Etats-Unis. Dans son discours devant la Convention démocrate de Denver (28 août 2008) qui lui octroie l’investiture partisane, Obama se présente comme l’homme de la rupture avec la politique républicaine qui a discrédité la promesse du rêve américain fondée sur la réussite individuelle par le travail. Le parcours se termine par le court discours de la victoire (4 novembre 2008), au port d’attache du candidat, Chicago. Si ce discours est peut-être légèrement en-deça des autres, Obama y revient tout de même sur ses thèmes de campagne et appelle à l’esprit de service et de sacrifice.
Deux derniers discours du début 2009, cette fois-ci prononcés par le Président élu mais pas encore en fonction, donnent la tendance de la nouvelle administration. Dans celui prononcé le 8 janvier 2009 dans une université de Fairfax (Virginie) consacré au redressement économique par temps de crise, Obama dévoile les grandes lignes de son propre New Deal en faveur de l’énergie, de l’éducation, de la santé et des nouvelles infrastructures. Dans son discours d’intronisation du 20 janvier 2009, sur les marches du Capitole à Washington, il insiste sur ses priorités (l’économie et la sécurité) autour d’un thème central : la préservation de l’unité du peuple américain - les pro-européens déploreront l’absence de mention de l’Union européenne…
Les ressorts de la super-rhétorique obamanienne
D’aucuns soutiendront que les discours doivent être dits par l’orateur, comme une pièce de théâtre doit être jouée, pour être appréciés. On objectera que, d’un certain point de vue, lire des discours permet plus que la vidéo, car le papier autorise le retour au texte et l’annotation. Ce recueil est donc l’outil de base pour comprendre cette super-rhétorique de meeting. Disciple d’Aristote et de Cicéron, Obama apparaît comme un virtuose des figures qui aurait prêté une oreille attentive aux préceptes de Ted C. Sorensen : « Speaking from the heart, directly, not too complicated, relatively brief sentences, words that are clear to everyone » [La parole doit venir du plus profond de soi, sans trop de complexité, avec des phrases relativement courtes et des mots clairs pour tout le monde]. Si ce recueil est vite lu, c’est qu’un bon discours est bref. Mais ce qui est simple est dur à produire – demandez à Hemingway ou à Carver…
L’analyse du contexte des discours révèle le bon sens d’Obama : chaque lieu est choisi pour ancrer le candidat dans la géographie et l’histoire du pays. On se rappelle que Reagan aimait parler adossé à un symbole, que ce fût un drapeau américain flottant dans le vent ou un gros chêne bien solide. L’analyse de texte montre un tribun qui se sert de tous les registres (ethos, pathos, logos) sur un rythme souvent ternaire, joue avec le dialogisme et la narration (presque ad nauseam pour un lecteur français…), les anaphores et épiphores, les digressions et exhortations. La rhétorique peut être du grand art si elle évite l’emphase et si le message reste clair - il est ici limpide. L’analyse du contenu dévoile un mélange d’idéalisme et de pragmatisme (par la prise en compte des préoccupations concrètes des gens) suivi de l’annonce de solutions volontaires et ambitieuses. L’écho de ces paroles produit une ligne mélodique invariable suscitant l’espoir, appelant à l’effort collectif des citoyens mobilisés contre le déclin, à la responsabilité individuelle et à l’éthique des agents économiques pour préserver la compétitivité de l’Amérique dans un monde global, à la tolérance, notamment religieuse, à la réhabilitation du multilatéralisme… Tout cela ne forme-t-il pas une vision quand d’autres gèrent leur pays comme s’il s’agissait d’une collectivité territoriale ? Mais Alain Chardonnens n’a pas tort de terminer sa présentation par une prévention : « L’audace d’espérer, très mobilisatrice en 2008, sera-t-elle toujours aussi vive en 2012, année des prochaines élections présidentielles américaines ? ».
À lire :
Barack Obama, De la race en Amérique, édition bilingue français-anglais, Grasset, 2008.
Brève sur nonfiction : Cicéron, « speechwriter » d’Obama ? : l’éloquence revient à la Maison Blanche.
À voir :
Roxanne Frias et Perrine Dutreil, Barack Obama, l’homme que l’on n’attendait pas, Naïve, 2009
Barack Obama : l’histoire d’une victoire, Warner vision France / Nacarat, 2009 ;
Les grands discours du général de Gaulle, présentés par Max Gallo, Arcades Vidéo, 2008.