La maison Flammarion souffrirait-elle à ce point de la crise pour refourguer, sous des dehors mensongers, des ouvrages déjà publiés et à peine remaniés ?

La publication du recueil Interventions 2 est le résultat d’un double mensonge, qui implique à la fois malhonnêteté de l’éditeur, et complicité coupable de l’auteur. Le lecteur, lui, joue le rôle du dindon de la farce.

Interventions 2 sous-entend, si l’on s’en tient aux mathématiques élémentaires, qu’on a affaire à un deuxième recueil, succédant à un premier, publié en 1998 sous le titre Interventions. Comme pour les Rocky, ou les Alien, on s’attend à retrouver le même héros, mais lancé dans de nouvelles aventures. C’est ce qu’on appelle une suite, qui prend toujours le risque de la déception. Or que découvre-t-on dès l’ouverture de l’ouvrage ? Les mêmes mots, les mêmes articles, exactement. Recopillés, intégralement, du premier volume. Sur les vingt-huit articles que comprend le “2”, onze proviennent du “1”.

La quatrième de couverture, il est vrai, prévient : “Les textes de ce recueil, entretiens ou articles, ont été publiés depuis 1992 dans des publications diverses, de la NRF à Paris Match, 20 ans ou Les Inrockuptibles. Ils n’étaient plus disponibles.” Mais ce constat s’appliquait déjà au volume précédent, et son pillage est ainsi habilement dissimulé. Certes, il est plus difficile pour le lecteur de se procurer des articles parus dans des magazines ou revues  éphémères, mais il est facile pour une maison d’édition, si la demande s’en fait sentir, de republier une “édition augmentée” d’un volume épuisé. La présentation sur le site des éditions Flammarion se veut un peu plus honnête, mais reste mystérieuse : “Après Interventions, épuisé, M. Houellebecq propose une nouvelle version de l'ouvrage en partie refondue, avec suppression et ajout de plusieurs textes.”

Du reste, le pillage a effectivement donné lieu à un discret écrémage, puisque entre les deux Interventions, deux entretiens sont passés à la trappe. Profitons-en pour interroger cette trace subtile d’une “intervention” éditoriale. Scrupules de l’éditeur, qui se refuse à recopier l’intégralité de l’ouvrage ? Demande expresse de l’auteur, qui regrette ces confidences ? Contentons-nous simplement de remarquer que les deux journalistes auteurs des entretiens, aujourd’hui écartés du récent volume, peuvent être soupçonnés de subir un vague règlement de compte.

Sabine Audrerie est traitée de “pouffiasse” par Houellebecq dans son blog pour avoir fomenté le projet de constituer un dossier sur les “femmes de sa vie”. Et Valère Staraselski, a publié depuis un recueil d’articles dans lequel, semble-t-il, il éreinte particulièrement l’auteur des Particules Elémentaires.



Sur les dix-sept restants, sept proviennent d’ouvrages déjà publiés et disponibles, et même bon marché. Deux textes sont tirés du recueil Rester vivant, et trois du recueil Lanzarote et autres textes, publiés chez Librio. Par ailleurs, on retrouve deux textes liminaires, composés pour encadrer et commenter les œuvres d’autres écrivains, et qui du coup, hors contexte, perdent de leur pertinence : “Humanité second stade” (un très beau texte pourtant, mais à lire dans la continuité de la prose déjantée de Solanas), la postface au Scum Manifesto de Valérie Solanas, publié par les éditions Mille et une nuits ; et “Préliminaires au positivisme”, présenté comme la préface du livre de Michel Bourdeau sur Comte, publié chez Kimé en 2003, et qui a en fait été l’objet d’une réédition, toujours chez Mille et une nuits, comme préface à la Théorie générale de la religion de Comte en 2005. Restent deux textes “de commande” : un article sur Neil Young, écrit pour le Dictionnaire du rock de Michka Assayas, et un autre écrit pour les cinquante ans des éditions J’ai lu. Présentant un intérêt assez limité, ces deux textes nuisent à la cohérence déjà douteuse du recueil, qui sent foutrement les fonds de tiroir. Le journaliste des Inrockuptibles, qui peine d’ailleurs à la révéler, cette cohérence, présente du coup son éloge sous forme de liste : on évite ainsi les détails gênants et les synthèses impossibles.

Nous voilà réduits à une petite dizaine de textes répondant véritablement à la description de la quatrième de couverture, c'est-à-dire “plus disponibles”, parce que publiés dans des journaux ou des revues (Die Zeit, L’opinion Indépendante, Le Figaro, Paris Match, ou ArtForum). Et encore ! Que penser du fumeux article décrit comme une “publication sur Internet”, et qui donc par définition doit pouvoir se retrouver “sur Internet” ! Or que ne découvre-t-on pas avec surprise après une recherche rapide : cet article, mais en appendice du “Philippe Muray en 2002”, originellement publié par Le Figaro.

Interventions 2 sous-entend aussi qu’il y a eu véritablement “intervention”. Or c’est là que réside le second mensonge, et le vrai scandale. Dans cette récupération abusive de vieilles “interventions”, on ne trouve précisément aucune intervention apparente de l’auteur dans l’élaboration de ce nouveau recueil. L’avant-propos, qui est précisément censé mimer le geste auctorial de présentation de l’œuvre, ne se contente pas d’être la pure et simple reproduction de celui qui figurait dans le premier recueil. Bien pire, l’éditeur s’est octroyé le droit de le signer “M.H, 2008”, alors qu’il date de 1998 ! Et modifier la date de rédaction d’un texte, cela relève du pur mensonge.



Houellebecq est en fait parvenu à réaliser son fantasme : il se clone et se reproduit sans la moindre “intervention” nécessaire. Ses “œuvres” se génèrent d’elles-mêmes dans un processus quasi mécanique et inédit de parthénogénèse éditoriale. Processus qui implique d’ailleurs l’invention d’une nouvelle catégorie littéraire : à l’emplacement où se trouve habituellement, sur la couverture (sous le titre de l’ouvrage), l’indication générique (du type “roman”), on trouve le terme “traces”. Là encore, on ne peut s’empêcher de saluer la pertinence du procédé pour un romancier qui ne fait que rêver de sa propre disparition (il faut relire par exemple, les fins de roman de Houellebecq, qui évoquent toujours une forme de dissolution du moi : dans le dernier en date, le fameux “J’étais, je n’étais plus. La vie était réelle”). Le volume prend ainsi place, à part, dans la collection “Littérature française”, et pas dans celle intitulée “documents et essais” qui lui correspondrait mieux, et où l’on retrouve le fameux Ennemis publics cosigné avec BHL, et copublié avec Grasset, qui a fait les choux gras de la précédente rentrée.

Coup de pub, coup de bluff, c’est aussi remarquable que déplorable. Un tel ouvrage, dont le contenu, hétérogène et irrégulier, et l’intention, fumeuse et malhonnête, sont hautement discutables, ne fait pas honneur à un auteur, dont la production, à la fois romanesque et poétique (y compris les incursions dans les domaines du cinéma et de la musique), peut pourtant se revendiquer d’une véritable cohérence, esthétique et idéologique. Cette publication, qui contient pourtant des textes de valeur (le dernier, “Coupes de sol”, un portrait-charge admirable de Robbe-Grillet est une vraie trouvaille, par exemple), porte préjudice, dans sa démarche éditoriale, aussi bien à l’éditeur qu’à l’auteur, transformé en fonds de commerce, dont on exploite au maximum la rentabilité, jusqu’à le recycler