La persistance de la question du logement va-t-elle finalement donner raison à Friedrich Engels, qui écrivait à la fin du XIXe siècle que  la crise du logement n’était pas un hasard, mais une institution nécessaire ? S’il le pouvait, l’Abbé se retournerait lui aussi dans sa tombe. Comme tous les ans en février, la fondation Abbé Pierre vient de rendre son rapport annuel 2009 : tous les indicateurs sont au rouge. Par rapport à ses petits frères des années précédentes, (rapports de 2008, 2007, 2006 etc.), la nouveauté, si l’on peut dire, c’est  la persistance du malaise. En prime, le rapport consacre cette année un chapitre à un public qui risque de connaître des difficultés de logement grandissantes : on attendait les jeunes, ce sont les vieux, dont le nombre, lui, ne risque pas de baisser.

Sur fond de crise des sub primes, c’est toute l’économie du logement qui semble s’être grippée. Mais la chute du  nombre de mises en chantier et surtout celle des mutations (achat-vente) ne doit pas cacher un mouvement de restructuration du secteur du bâtiment qui rejoue un air déjà connu : liquidation des petites entreprises incapables de survivre à la baisse des commandes au profit des plus grosses, qui absorbent et se redéployent. Ce qui ne saurait pour autant annoncer une baisse des prix du logement, les acteurs intéressés s’évertuant à maintenir les loyers et même les prix à l’acquisition hors de portée des ménages modestes. Le numéro de décembre 2008 du Monde diplomatique présente quelques vues intéressantes.

Ignorant le rapport Pinte (du nom de son rapporteur, le député UMP des Yvelines) qu’il avait lui-même commandé en décembre 2007, le gouvernement poursuit une politique que l’on peut qualifier d’impopulaire. Ce rapport, remis le 5 septembre 2008, rappelle que la France compte environ 100.000 sans-abri, 600.000 logements indignes, 900.000 personnes sans domicile personnel et 3,5 millions de mal-logés. Et que pour sortir de cette situation, il faudrait construire 500.000 logements par an, dont 120.000 logements sociaux. Il suggère de "consolider les efforts budgétaires de l'État en matière d'hébergement et de logement tant que la crise ne sera pas résorbée". Il chiffre ainsi à 1,256 milliard d'euros les crédits nécessaires au programme budgétaire "hébergement". Il demande également le maintien du financement budgétaire des aides à la pierre à hauteur de la dotation votée en 2008, soit 800 millions d'euros. Au-delà des aspects budgétaires, le rapport suggère d’améliorer le pilotage de la politique du logement, en renforçant l’autorité des préfets et de leurs collaborateurs, notamment par la disposition du droit de préemption et la délivrance de permis de construire (réservé en principe aux maires) et en conditionnant les aides fiscales au logement (9 milliards d'euros tout de même !) à de vraies contreparties sociales. Pour prévenir les expulsions, le rapport propose une obligation pour le propriétaire de signaler les impayés de loyer, mais aussi de maintenir temporairement, en cas d’impayés, l'allocation logement jusqu’à la solution amiable. En matière d'effort de construction, il propose de proroger jusqu'en 2014 l'effort de construction prévu par le plan de cohésion sociale, et de reconduire l'exonération de 25 ans de taxe foncière sur les propriétés bâties. Concernant l’obligation des 20% de logements sociaux prévus par l’article 55 de la loi SRU de 2000, le rapport propose d’aller plus fort et plus loin.



En dépit de ces recommandations, que la FAP reprend à son compte pour une bonne part, le gouvernement poursuit une politique qui danse disgracieusement sur trois pieds : le premier pied, disproportionnellement développé, n’est pourtant pas en mesure de satisfaire les besoins, en particulier dans les territoires à forte demande : c’est le marché privé sur lequel se vend, se loue et s’échange le logement "marchandise". Le deuxième pied, affaibli depuis le milieu des années 70, correspond à la part socialisée du logement, à savoir les aides à la pierre pour le logement social, auxquelles on préfère les aides personnalisées au logement dont le pouvoir solvabilisateur s’avère cependant décevant. Troisième pied enfin, le volet très social et de l’urgence où se mêlent logement et hébergement, financé par le Ministère du logement mais aussi des affaires sociales : les dépenses y augmentent à un rythme vertigineux, alimentant le procès souvent mal intentionné intenté aux soi-disant marchands de sommeil, tandis que la multiplication des formules d’hébergement suffit de moins en moins à pallier le manque de logements ordinaires. Le "parcours d’insertion par le logement" s’avère un leurre que la plupart des professionnels du social dénoncent.

Reste, les faits sont têtus, que depuis une dizaine d’années, le prix du logement a été en moyenne multiplié par deux tandis que le nombre de logements sociaux disponibles pour les plus bas revenus n’a cessé de décroître dans le total de la construction. Résultat, la demande se faiblit pas, et le nombre d’expulsions a été, lui aussi, multiplié par deux. Quant à la DALO, le dernier rapport du comité de suivi annonce des résultats décevants : quelques centaines de relogés pour 60 000 demandeurs, chiffre représentant à peine 10% de la demande attendue. À ce rythme, faute d’agir sur les prix, et donc sur l’offre, le rapport 2010 sur le mal-logement en France risque de réitérer les mêmes constats calamiteux