Ce livre au titre racoleur ne tient pas ses promesses. Aucune révélation sur le "choc des civilisations", sur l’Orient et sa tectonique.
 

L’argument de Orient-Occident, le choc ? ne consiste pas à dire qu’il y a un choc entre l’Orient et l’Occident, une thèse en vogue depuis le fameux article de Huntington sur le "choc des civilisations"   , mais à montrer que le monde arabe est en crise. Rien de nouveau sous le soleil. Nombreux sont ceux qui ont tenté d’analyser les facteurs de cette crise généralisée   , avec plus ou moins de succès. L’essai journalistique de Christian Chesnot et Antoine Sfeir n’apporte rien de nouveau ni sur le plan des faits, ni sur celui de leur interprétation.

Les auteurs ont fait le choix d’une présentation thématique : la crise d’identité, la sclérose politique ("les héritiers"), Israël, l’eau, le pétrole, l’islam, Al-Qaida, les nouveaux média ("génération Al-Jazira"), les Chiites, l’Irak, l’interventionnisme occidental. C’est dans ce dernier chapitre qu’il faudrait trouver la motivation au titre de l’essai : l’interventionnisme américain, et son soutien à Israël, comme facteur de crise et de choc en Orient – un Orient sclérosé par des régimes autoritaires, un niveau de développement humain déplorable, une économie inefficace et des idéologies rétrogrades.

Pourtant aucun fil rouge ne relie vraiment les différentes parties. La première faiblesse du livre vient précisément de cette absence de problématique. Le lecteur se trouve face à un état des lieux qui se veut accessible mais qui, à force de raccourcis (historiques) et de grands écarts (géographiques), laisse une impression de confusion.

Pour commencer, on ne sait pas bien de quel "Orient" il est question : celui défini par la Ligue arabe (monde arabe), qui court de la Mauritanie à l’Irak en passant par les Comores ? ou celui défini par le département d’État américain (Great Middle East) qui englobe le Maroc, l’Iran (qui n’est pas un pays arabe, les auteurs prennent soin de le rappeler), ce qui les sépare dans un même ensemble ? Les rapprochements géographiques ne sont pas justifiés, aussi les remarques sur le Maghreb tombent un peu à plat dans un essai consacré essentiellement au Machrek : quel lien entre le Maroc et le Liban, sinon ceux établis par la politique étrangère américaine, qu’il faudrait alors expliciter ?

Il manque d’autre part une justification des choix thématiques : on ne sait pas bien de quelle crise il est question : crise politique, crise économique, crise culturelle ? Pourquoi par exemple ne pas avoir consacré un chapitre entier à la jeunesse ? Aux migrations ? Aux structures économiques et à leur évolution ? Les paradis commerciaux du Golfe sont ainsi complètement passés sous silence alors qu’ils constituent un lieu clé de réflexion sur la modernité dans la région   .



Les auteurs apportent des développements intéressants sur certains sujets: on peut signaler le chapitre sur la question de l’eau (qui aurait gagné à être illustré de cartes), et le chapitre sur le conflit irakien (qui n’est cependant pas à jour des récentes évolutions de la politique américaine notamment).

Cependant, avec un double souci d’exhaustivité et de simplicité mal conciliés, on en reste à des idées reçues qui permettent mal d’appréhender les changements en cours. Par exemple concernant le développement humain : certes les taux d’alphabétisation dans le monde arabe sont parmi les plus bas du monde selon le PNUD ; il n’en reste pas moins que l’éducation s’est considérablement développée, que de plus en plus de jeunes ont accès à l’université, et que ces évolutions sont porteuses de forts changements aussi bien au niveau social que politique (natalité, travail féminin, accès aux nouvelles technologies etc.   .) Un regard sociologique aurait été utile pour rendre compte par exemple du conflit libanais, et de l’importance du Hezbollah pour une population traditionnellement défavorisée et laissée pour compte   . Il est regrettable que les auteurs, qui tiennent compte d’aspects politiques, économiques et culturels soient restés totalement aveugles à la question sociale. Une perspective qui ne permet de rendre intelligible ni l’"Orient", ni ses relations, ambiguës, avec l’"Occident"