Une approche nuancée de l'ouvrage de Lequesne, qui ne tiendrait pas toutes ses promesses d'ouverture face à la "Nouvelle Europe".

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La présidence française de l’Union européenne a suscité un grand nombre de parutions sur la France et l’Europe. Après Le bal des hypocrites de Thierry Chopin et avant l’ouvrage que prépare pour les éditions De Boeck l’historienne Marion Gaillard, Christian Lequesne propose, dans la collection "nouveaux débats" des Presses de Sciences Po, un petit ouvrage sur la France dans l’Union européenne élargie. Directeur de recherche au CERI (Centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po), Christian Lequesne a bénéficié de plusieurs années d’expatriation et d’observation distanciée de la France pour mûrir cet ouvrage : il a dirigé le Centre français de recherche en sciences sociales de Prague et enseigné à la London School of Economics and Political Science.

Dans La France dans la nouvelle Europe, Assumer le changement d’échelle, Christian Lequesne reprend et développe les idées qu’il avait présentées dans un article du Monde de décembre 2007   : "il n’y a pas que les eurosceptiques qui, en France, n’ont jamais accepté l’élargissement. C’est hélas aussi le cas d’une partie des pro-européens traditionnels qui y voient, à tort, la fin de toute Europe politique". Et de fustiger notamment Jean-Louis Bourlanges et Jacques Delors : si les pro-européens ne continuent pas "à faire espérer sur l’avenir de l’Europe (…) les eurosceptiques (…) auront gagné."

La thèse est séduisante, elle explique et déplore un certain recul de l’influence de la France dans l’Union européenne et même son retrait. En s’accrochant à une vision dépassée de l’Europe, la France aurait notamment compromis ses relations avec les pays d’Europe centrale et orientale, et aurait au-delà perdu sa capacité à être un moteur des évolutions de l’Union.
L'oouvrage de Christian Lequesne semble ainsi déboucher sur une solution : c’est en dépassant la nostalgie de la petite Europe, du "fonctionnalisme tranquille" et du fédéralisme, c’est en démontant le fantasme d’une grande Europe à l’anglaise et libérale, et en surmontant l’angoisse d’une Europe dont on ne sait plus où s’arrêtent ses frontières, que la France pourra retrouver un rôle actif dans une Union européenne transformée. La France, ses élites et sa population doivent s’adapter à la Grande Europe. Il reste à dire comment…

Mais si la thèse est séduisante, elle souffre de manques. Christian Lequesne n’entend pas raconter "l’Union européenne dans le temps long" (pour reprendre le titre du bel ouvrage de Jean-Louis Quermonne). Le livre commence par un chapitre très narratif sur les années 1980… mais qui ne retrace pas vraiment les événements de 1989-1991, pourtant à l’origine de la "révolution du nombre" (de douze Etats membres en 1989 à vingt-sept aujourd’hui). De même la réunification allemande est trop vite traitée, et presque rien n’est dit sur les conflits de l’ex-Yougoslavie ou sur les transformations de la Russie qui ont sans doute renforcé certaines craintes françaises devant les évolutions à l’Est de l’Europe. Il manque aussi une véritable analyse de l’attitude des entreprises françaises vis-à-vis des marchés Est-européens et une comparaison avec leurs homologues allemandes et italiennes. Le chapitre consacré aux craintes d’une Europe libérale paraît en revanche bien long alors même qu’il propose une explication assez caricaturale du rejet par les Français du traité établissant une Constitution pour l’Europe.
Enfin, on s’amuse de notes de bas de page très franco-françaises et notamment peu ouvertes… aux idées et travaux de l’Est de l’Europe ! Encore un effort Christian pour "assumer le changement d’échelle"…

 

* À lire également sur nonfiction.fr : 

- Christian Lequesne, La France face à l'Europe (Presses de Sciences Po), par Alina Girbéa

- Ivo Sokatchev, La France face à la nouvelle Europe (10.12.08)