Un livre dévoilant mille vilennies au coeur de la Chiraquie. Pari réussi !

Il y a deux ans, Guy Birenbaum se présentait comme un "blogueur en déroute, éditeur à la rue, universitaire en disponibilité"   . Mais l'animal a repris du poil de la bête et sort un livre qui devrait connaître un joli succès en librairie. Son précédent bouquin, Nos délits d'initiés. Mes soupçons de citoyen (Stock, 2003), s'est vendu à plus de 70 000 exemplaires.

Le cabinet noir connaitra-t-il un tel succès ? On peut en douter, car les révélations sont moins croustillantes pour le grand public. On peut le penser, car Guy Birenbaum a désormais une belle notoriété... Et un plan médias réglé comme du papier à musique : teasing sur son blog Plage privée de Guy Birenbaum, mise en ligne du site web La rumeur de la ville, création d'un compte Facebook   , nombreux passages dans la presse...

L'éditeur-chroniqueur gouailleur connaît son job, et charité bien ordonnée commence par soi-même. Après avoir fait des coups médiatiques en publiant des livres aussi retentissants que celui du juge Éric Halphen   , d'Arnaud Montebourg   ou de Claude Ribbe   , il fallait lever un gros lièvre pour jeter un pavé dans la mare. L'actualité lui aura servi de complice bienveillante.

 

L'égout des autres

La nature aimant les clins d'œil, c'est un succès littéraire qui permet à Guy Birenbaum d'en engendrer un autre : l'œuvre désormais fameuse du commissaire Yves Bertrand ! Quoique dépourvu de titre, cet "ouvrage" de 2000 pages a bénéficié de nombreuses recensions, dont la plus amusante fut sans doute celle de François Reynaert dans le Nouvel Observateur   .

En substance, les cahiers de celui qui dirigea les Renseignements généraux pendant une douzaine d'années sont un condensé d'informations réelles ou inventées, parfois farfelues ou inutiles, sur la vie des hommes politiques. On y apprendrait par exemple que Lionel Jospin "aurait acheté un pantalon rose" dans les années 70   .

Mais le tourbillon médiatique de l'affaire "Clearstream" offre une occasion en or à Guy Birenbaum, qui avait renoncé à ce projet deux ans plus tôt. Raconter par le menu comment Yves Bertrand intoxiquait éditeurs et journalistes pour le service du "clan" Chirac. Objectifs : liquider les adversaires personnels et politiques du gang de Corrèze. À savoir Lionel Jospin en son temps, puis Nicolas Sarkozy...

Le cabinet noir est un livre d'autant plus efficace que le style est fluide. Les habitués du Domaine d'Extension de la Lutte (blog tenu par l’auteur sur le site du journal 20 Minutes, de février 2006 à septembre 2007) y reconnaîtront la prose de Guy Birenbaum et ses habitudes de blogueur : beaucoup de paragraphes qui ne font qu'une seule ligne, des chapitres excédant rarement les six pages, un ton potache et agréable... Bref, un livre de 230 pages qui se lit comme un bouquin de 100 pages.

Au passage, le facétieux témoin des coulisses du pouvoir ne se gêne pas pour écorcher les personnages qu'il rencontre, notamment Yves Bertrand qui "boit du petit-lait (entre les verres de vin quand même...)"   ou Nicolas Sarkozy qui précise qu'il n'a "jamais, vous m'entendez, jamais été... [blanc] institutionnellement avec Claude" Chirac   . "Institutionnellement" ? Sans commentaire.

 

L'égout et les couleurs

La thèse de Guy Birenbaum est simple : une officine, dirigée par Yves Bertrand, est au service de Jacques Chirac. Il organise son réseau pour détruire la réputation de ses ennemis ou empêcher le lancement d’un livre contre le président de la République. Le vol, l’anonymat et la diffamation étant les principaux attributs de ce cabinet noir, tout se passe dans le secret.

Prenons le cas de Lionel Jospin. On se rappelle que son passé trotskiste fut révélé pendant la campagne présidentielle de 2002. Et pour cause : Yves Bertrand aurait fait appel à l'époque à deux journalistes en leur confiant la mission de rédiger un livre intitulé "Un passé qui ne passe pas – Les cauchemars en rose et brun qui hantent Lionel Jospin". Tout un programme.

L'objectif de la manœuvre était de faire accroire que le candidat socialiste avait fait partie des trotskistes pour compenser le fait que son père aurait été une sorte de collaborateur pendant la Seconde Guerre mondiale... Rien que ça ! Pas besoin de prouver quoi que ce soit, il suffisait alors de semer le doute sur son passé et ses véritables motivations politiques.

Les preuves avancées par Guy Birenbaum ? L'éditeur approché par le "cabinet noir" a, selon l’auteur, refusé de publier le livre et l'a fait savoir à son contact : Hubert Marty-Vrayance, au Secrétariat général de la Défense nationale. Par ailleurs, l'un des auteurs, qui se cachait derrière le pseudonyme de Didier Mathis, était en fait Didier Rouch... le chef du cabinet des affaires réservées du directeur des RG, Yves Bertrand !

 

Les gouttes de poison

Parmi les méthodes peu reluisantes du cabinet noir, le poison de la rumeur est au cœur du système Yves Bertrand. Ce sera l'arme utilisée contre Nicolas Sarkozy. Doublée de falsification, elle déclencha le feuilleton politico-judiciaire de ces dernières années : l'affaire "Clearstream", où des mensonges plus gros les uns que les autres sont proférés chaque jour.

En juin 2006, Yves Bertrand affirmait qu'il n'était pour rien dans tout ce micmac et qu'il ne voyait plus Dominique de Villepin, après avoir assuré qu'il n'avait jamais enquêté sur Nicolas Sarkozy   . C'est ubuesque au regard du déjeuner de mai 2004 raconté par Guy Birenbaum : le patron des RG lui proposait alors de relire et valider un livre expliquant que l'arrestation d'Yvan Colonna était un coup monté...   .

Plus ridicule encore : un ancien taulard, soudard zélé du commissaire graphomane, aurait tenté, selon l’auteur, de lui faire croire que la prise d'otages dans l'école maternelle Commandant-Charcot de Neuilly en 1993 était aussi une fumisterie. Sa source : un ami exilé en Afrique à qui on aurait proposé de jouer le rôle du forcené et qui serait prêt à raconter cette histoire dans un livre.

En résumé, "le cabinet noir" n'essaye ni plus ni moins que de faire publier un récit expliquant que la clique balladurienne de Nicolas Sarkozy, alors jeune ministre du Budget, aurait organisé une prise d'otages fictive dans une école maternelle afin de mettre un coup de projecteur sur le jeune poulain des Hauts-de-Seine, avant de faire tuer leur complice jouant Human Bomb. Plus c'est gros...

Enfin, le poison de la rumeur n'étant parfois pas suffisant, Yves Bertrand n'aurait pas hésité  à envoyer ses gros bras pour bousculer les récalcitrants. Ainsi le 12 octobre 2005 où Guy Birenbaum rencontre Gérard Willing   , un consultant dont la spécialité est équivoque : "arranger les problèmes". Venu pour effrayer l'éditeur, l'homme se rendra vite compte qu'il a lui aussi été manipulé.

 

Les gouttes du succès ?

L'histoire n'est pas terminée. L'affaire "Clearstream" suit son cours. Yves Bertrand menace (voir notamment le blog de Philippe Madelin). Le cabinet noir est-il un témoignage sincère ou un habile pamphlet contre la Chiraquie ? Toujours est-il que personne n'a (encore) porté plainte pour diffamation ou n'a apporté de preuves pouvant faire douter de la véracité du récit.

Contacté trois semaines après la sortie de son livre, Guy Birenbaum s'amuse des retours de la presse, car si "l'accueil des médias est bon", "il est amusant de constater que certains journaux n'ont absolument pas remarqué la sortie de mon livre. Souvent, il s'agit de publications dont les journalistes qui auraient pu en traiter figurent en bonne place dans les carnets d'Yves Bertrand. Il y a vraiment des coïncidences amusantes..."  

Par ailleurs, si Dominique de Villepin a nié l'existence d'un cabinet noir, il n'a pas commenté les scènes décrites dans Le cabinet noir. Et pour cause, selon Guy Birenbaum : "comment pourrait-il nier ce que je démontre preuves matérielles à l'appui ?"   . Enfin, ni Jospin ni Sarkozy ne l'ont contacté, et il ne sera pas entendu dans l'affaire "Clearstram". Guy Birenbaum a quitté les éditions Ramsay. Le trublion de l'édition continue sa route...